Le rapport souligne que près de la moitié des ports construits ou exploités par Pékin sur le continent possèdent des caractéristiques physiques et techniques, qui leur permettent d’accueillir des flottes de la marine chinoise.
Les entreprises d’État chinoises sont impliquées dans 78 ports africains en tant que bailleurs de fonds, constructeurs ou opérateurs, soit 33% de l’ensemble des infrastructures portuaires du continent, dans le cadre d’une stratégie visant à booster les flux commerciaux bilatéraux et à servir des objectifs géostratégiques liés à la transformation de l’ordre mondial, selon un rapport publié le lundi 10 mars 2025 par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA).
Intitulé « Mapping China’s strategic port development in Africa », le rapport précise que les projets de développement portuaire auxquels participe Pékin sur le continent sont situés dans 32 pays, avec un focus particulier sur l’Afrique de l’Ouest (35 ports) contre 17 en Afrique de l’Est, 15 en Afrique australe et 11 en Afrique du Nord.
La présence chinoise dans le secteur portuaire en Afrique est nettement plus importante que partout ailleurs dans le monde. À titre de comparaison, la région Amérique latine & Caraïbes accueille 10 ports construits, financés ou exploités par la Chine, tandis que les pays asiatiques en abritent 24.
Dans certains ports africains, les entreprises d’Etat chinoises dominent l’ensemble des maillons de la chaîne du développement portuaire, du financement à la construction, en passant par l’exploitation et l’actionnariat. De puissants conglomérats comme China Communications Construction Corporation (CCCC) remportent des contrats en tant que maîtres d’œuvre avant de confier des contrats de sous-traitance à des filiales comme China Harbor Engineering Company (CHEC), tout en prenant soin de mobiliser les fonds nécessaires à la construction du port et d’y contrôler des parts ultérieurement. C’est, entre autres, le cas de l’un des ports les plus actifs d’Afrique de l’Ouest, le Lekki Deep Sea Port, au Nigeria. La CHEC s’est chargée de l’ingénierie et de la construction. Cette même entreprise a également obtenu un prêt de la China Development Bank (CDB) pour financer les travaux, avant de prendre une participation de 54 % dans le port qu’elle exploite dans le cadre d’un bail de 16 ans.

Port de Lekki
Le rapport souligne d’autre part que l’attachement de l’empire du Milieu à s’impliquer d’une façon ou d’une autre dans des projets portuaires sur le continent se situe dans le cadre d’une stratégie répondant à des objectifs économiques et géostratégiques. Tout d’abord, la Chine gagne jusqu’à 13 dollars en recettes commerciales pour chaque dollar investi dans les ports africains, selon les estimations du cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers (PwC). Mais une entreprise titulaire d’un bail d’exploitation ou d’un accord de concession récolte non seulement des recettes sur tous les échanges commerciaux transitant par ce port, mais peut également en contrôler l’accès. L’opérateur détermine l’attribution des jetées, accepte ou refuse les escales et peut offrir des tarifs et des services préférentiels pour les navires et les marchandises de son pays.
Eviter les alignements géopolitiques
Les priorités stratégiques de la Chine concernant les ports étrangers sont définies dans les plans quinquennaux élaborés par le gouvernement. L’actuel plan quinquennal (2021-2025) parle d’un « cadre de connectivité de six corridors, six routes et plusieurs pays et ports » pour faire avancer l’initiative des « Nouvelles routes de la soie ». Trois de ces six corridors traversent l’Afrique pour atterrir en Afrique de l’Est (Kenya et Tanzanie), en Egypte ainsi qu’en Tunisie.
Le développement des ports africains est également un élément central de la stratégie chinoise « Go Global », une initiative gouvernementale visant à fournir un soutien de l’État – y compris des subventions massives – aux entreprises publiques afin qu’elles conquièrent de nouveaux marchés à l’étranger, en particulier dans les pays en voie de développement.
Mais les visées de Pékin ne se limitent pas à la sphère économique et commerciale. Son empreinte croissante dans les ports africains sert aussi des ambitions géostratégiques liées au remodelage de l’ordre mondial souhaité par le géant asiatique. Sur les 78 ports africains dans lesquels des entreprises chinoises sont impliquées, 36 ont déjà accueilli des escales ou des exercices militaires des forces navales de l’armée populaire de libération (APL). Il s’agit, entre autres, des ports de Maputo (Mozambique), de Dar es Salaam (Tanzanie), de Lagos (Nigeria), de Durban (Afrique du Sud) et de Port-Gentil (Gabon). Cela prouve que ces ports possèdent les caractéristiques physiques et techniques nécessaires pour accueillir des flottes navales chinoises, ce qui en fait des candidats potentiels pour de futures bases navales de l’APL.
Le développement par la Chine du port de Doraleh à Djibouti, qui a été longtemps présenté comme un projet purement commercial, a été déjà étendu en 2017 pour accueillir la première base militaire chinoise à l’étranger. L’ancien commandant de la marine de l’APL, Wu Shengli, a d’ailleurs fait remarquer que les « points forts stratégiques maritimes à l’étranger » ont toujours été envisagés comme des « plateformes pour la construction d’une présence chinoise intégrée ».
Organisme rattaché au département de la Défense des États-Unis, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique fait remarquer dans ce cadre que le débat public sur les infrastructures portuaires construites ou exploitées par la Chine en Afrique a tendance à se concentrer sur l’impact que ces ports peuvent avoir sur la croissance économique sur le continent et leurs conséquences sur la dette publique de certains pays, mais ne s’attarde pas trop sur les dimensions liées à la souveraineté et la sécurité, notant que les pays africains doivent avant tout éviter les alignements géopolitiques et promouvoir leurs propres intérêts stratégiques lors des négociations avec Pékin sur les projets de développement portuaire.