La Guinée-Bissau est plongée dans une crise politique aiguë, marquée par un bras de fer entre le président Umaro Sissoco Embaló et l’opposition, exacerbée par des tensions avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette situation complexe menace la stabilité sociopolitique et diplomatique du pays.
Le point de discorde porte sur un mandat présidentiel contesté dans un contexte politique inquiétant. Élu en 2020, le président Embaló est au cœur d’une controverse concernant la durée de son mandat. L’opposition affirme que son mandat de cinq ans a expiré le 27 février 2025, tandis que la Cour suprême de justice a statué qu’il se termine le 4 septembre 2025. Cette divergence a intensifié les tensions politiques, l’opposition menaçant de « paralyser » le pays pour protester contre la prolongation du mandat présidentiel.
La dissolution du Parlement est également perçue comme une mesure controversée. En décembre 2023, le président Embaló a dissous le Parlement, invoquant des tentatives de coup d’État et des divergences irréconciliables avec l’Assemblée nationale populaire dominée par l’opposition. Cette décision a été perçue comme une atteinte à la démocratie parlementaire et a exacerbé les tensions politiques.
La mission de la CEDEAO se solde en une médiation en échec
Face à cette impasse politique, la CEDEAO a dépêché une mission de médiation à Bissau du 21 au 28 février 2025. Cependant, cette initiative s’est soldée par un échec, le président Embaló menaçant d’expulser la mission, accusée de partialité. La mission a quitté le pays sans parvenir à un consensus sur le calendrier électoral, laissant la crise politique sans solution.
L’attitude du président bissau-guinéen face à la CEDEAO est un paradoxe.
Ce refus catégorique de toute médiation de la CEDEAO est d’autant plus incompréhensible que lorsqu’il a été président en exercice de l’organisation régionale entre 2022 et 2023, Umaro Sissoco Embaló s’est illustré par une posture ferme face aux régimes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Il a exigé en son temps des transitions rapides et brandi la menace de sanctions pour contraindre les juntes à organiser des élections.
Lors du sommet de la CEDEAO à Accra en juillet 2022, il avait même adopté un ton martial en déclarant que l’Organisation « ne tolérerait pas d’interminables transitions militaires ». Il avait personnellement participé aux discussions avec les juntes, appelant à la restauration rapide de l’ordre constitutionnel.
La fougue de la jeunesse couplée au populisme de nouveau venu
L’on se souvient encore de la sortie tonitruante du président bissau-guinéen, Umaru Sissoco Embaló nouvellement élu à la tête de son pays lors d’une visioconférence des chefs d’État de la CEDEAO consacrée au coup d’État au Mali en août 2020. Il s’est permis de jouer au trouble-fête en suscitant un malaise en déclarant que « «les troisièmes mandats sont aussi des coups d’État ».
A travers cette remarque en référence aux présidents de la région qui modifient les constitutions pour se maintenir au pouvoir, il a été fortement applaudi par une grande partie de la population de l’espace régional pour avoir osé dénoncer à la face de ses pairs une pratique controversée en Afrique de l’Ouest. Bien que le président Embaló n’ait pas nommé directement le président ivoirien Alassane Ouattara en son temps, sa déclaration a été perçue comme une critique implicite de la décision de celui-ci de briguer un troisième mandat en 2020 en dépit des tensions et les violences que cette décision a engendrées en Côte d’Ivoire.
Aujourd’hui, il se retrouve dans une position où les rôles sont inversés. Accusé de vouloir prolonger son propre mandat au-delà des délais légaux et de concentrer les pouvoirs entre ses mains, il rejette toute ingérence régionale, précisément ce qu’il a prôné lorsqu’il a été à la tête de la CEDEAO. Cette posture illustre un paradoxe flagrant et met en lumière l’instabilité de la gouvernance politique en Afrique de l’Ouest, où les dirigeants dénoncent l’ingérence lorsqu’elle les concerne, mais la défendent lorsqu’elle sert leurs intérêts.
Un bras de fer diplomatique, des tensions avec la CEDEAO
Les relations entre la Guinée-Bissau et la CEDEAO se sont détériorées, le président Embaló accusant l’organisation régionale de s’ingérer dans les affaires intérieures du pays. Cette discorde affaiblit les mécanismes régionaux de résolution des conflits et isole davantage la Guinée-Bissau sur la scène diplomatique. Les implications sociopolitiques sont imprévisibles dans un pays habitué à des crises internes violentes tandis que les conséquences diplomatiques vont servir à jauger la crédibilité qui reste d’une organisation prise dans la tourmente comme la CEDEAO.
Les tensions actuelles ont des répercussions majeures sur la société bissau-guinéenne, exacerbant les divisions politiques et menaçant la paix sociale. Sur le plan diplomatique, l’isolement croissant du pays pourrait réduire l’aide internationale et les investissements étrangers, aggravant la situation économique déjà précaire.
L’évolution de la crise laisse croire à des lendemains incertains. Sans dialogue constructif entre le gouvernement et l’opposition, la crise risque de s’aggraver. La communauté internationale, notamment l’Union africaine et les Nations unies, pourrait intensifier la pression pour encourager une transition démocratique pacifique. Cependant, l’absence de compromis pourrait conduire à une instabilité prolongée, avec des conséquences imprévisibles pour la région.
La Guinée-Bissau se trouve à un carrefour décisif de son histoire politique. La résolution de cette crise nécessite une volonté politique forte, un engagement au dialogue et le respect des principes démocratiques pour éviter une escalade de la violence et assurer un avenir stable au pays. Reste à savoir si Embaló acceptera de jouer le jeu démocratique ou s’il persistera dans une logique d’affrontement, au risque de précipiter son pays dans une crise encore plus profonde.