« Bant ya » est une dibiterie bien réputée se trouvant dans les dédales de Sandaga. On y sert quelques prisés morceaux de viande agrémentés de « kankan » au beau milieu d’un espace qui n’est pas des plus salubres.
Le lieu, fourré dans l’avenue Jean Jaurès, passe presque inaperçu. Dans un immeuble noirci par la fumée, l’odeur de la viande grillée titille les narines des passants venus faire leurs emplettes. Il est bien connu par les « nandités » (connaisseurs). Une envie de viande grillée ! Et vite aux « Bant ya », « temple » de prédilection des amateurs de brochettes. Sur le pas de la porte, quelques clients, sandwich en main, préfèrent manger à l’air libre pour éviter la fumée à la fois appétissante et incommodante se dégageant de la dibiterie. La chaleur y est tout aussi étouffante. Des tas d’épluchures d’oignons, de pommes de terre et de détritus jonchent le sol. Les clients se délectent d’un bon appétit sans se soucier des ordures qui trainent par terre. Le plaisir de déguster quelques morceaux de viande est, semble-t-il, ici, plus important. Bureaucrates, étudiants ou encore commerçants viennent y prendre leurs aises en savourant une brochette de viande, environ trois petits morceaux à 50 FCfa.
Assise dans un coin de la dibiterie, Ndeye Fatou, accompagnée de sa petite sœur, se donne un grand plaisir à « dévorer » un sandwich. Habituée des lieux, elle discute gaiment. La fumée ne semble point l’importuner. Venue effectuer quelques achats, elle en a profité pour faire ripaille. « J’adore la viande grillée et les prix sont variés. Je viens ici depuis bientôt quinze ans », déclare-t-elle, toute souriante. Toutefois, cette dame, la quarantaine, fustige l’insalubrité des ces lieux bien prisés : « la fumée et l’hygiène sont vraiment déplorables », se désole-t-elle.
En ce qui concerne la qualité de la nourriture, elle préfère ne pas s’y attarder. « Après tout, c’est Dieu qui nous protège», se limite-t-elle à dire, un peu trop fataliste. Grâce et sa mère, Nathalie, quant à elles, ont été aiguillées par les échos favorables sur « Bant ya ». D’origine ivoirienne, elles y viennent pour la première fois. « J’apprécie bien la cuisine », s’enthousiasme Grace en croquant dans son sandwich. « Malgré l’hygiène qui fait défaut, cela change de ce que l’on mange d’habitude », tempère Nathalie.
Sophie Ndiaye n’est pas non plus une habituée. Assise sur l’un des bancs avec sa fille, elle attend sa grillade de viande qu’elle épie avec à la fois avidité et circonspection. Cette quinquagénaire a dû céder aux caprices de sa fillette. « Je viens pour la première fois afin de faire plaisir à ma fille ». Mais, la belle dame ne souhaite pas s’y éterniser. « La fumée est étouffante. J’attends ma commande à emporter », explique-t-elle. Sophie n’est pas la seule à vouloir quitter les lieux au plus vite. En compagnie de ses enfants, Alouine a hâte de repartir. « Ce n’est vraiment pas agréable de manger dans ces conditions », s’offusque-t-il, confiant y faire souvent un tour à chaque fois qu’il vient au marché Sandaga « car c’est plus pratique et plus rapide », admet-il.
Le « Kankan », l’ingrédient magique !
Les « tenanciers » de cette dibiterie sont à pied d’œuvre. Certains vendeurs servent les clients tandis que d’autres préparent les brochettes crues de manière presque machinale. L’endroit est bien rempli en cette fin d’après-midi. Les brochettes de viande et de poulet sont grillées à grand feu. La réputation de ce lieu, les vendeurs la doivent, en partie, au « Kankan ».Ce mélange de gingembre, de piment, de poivre et d’une « poudre secrète » fait la notoriété de ces vendeurs nigériens communément appelés « haoussa ». Lors de la préparation, ils se saisissent des brochettes, les saupoudrent de « Kankan » avant de les mettre sur le feu. Difficile de parler à ces âmes besogneuses occupées à satisfaire la clientèle. Les Haoussas n’ont pas l’air d’être dérangés par la fumée encore moins par la saleté.
Préparant les brochettes destinées à la cuisson, Daouda Diawara, tout droit venu du Niger, est dans le métier depuis bientôt dix ans. « Je ne me plains pas. Grâce à ce travail, je gagne bien ma vie et envoie de l’argent à la famille », indique-t-il. Sur un coin de la dibiterie, Souleymane Barry se charge de fabriquer le «Kankan» en grosse quantité. A l’aide d’un pilon et d’un mortier, il concocte la mixture en y ajoutant un bouillon après quelques manœuvres. « Cette poudre est destinée à la vente et fait notre réputation. Il y a beaucoup de secrets dans la préparation », avoue ce jeune homme âgé tout juste de 20 ans. Le « Kankan » est bien apprécié par les amateurs de brochettes. Dior, belle dame à la silhouette bien affinée, n’en est pas moins férue. Elle est spécialement venue pour se procurer la poudre. « J’ai acheté le kilogramme à 3.000 FCfa », dit-elle, heureuse d’en trouver. Cette « manne » vaut bien de garder secrète la recette.