L’île de Gorée était un passage obligé pour Seydina Limamou Laye (a.s). Ce lieu hautement symbolique, au regard des siècles de souffrance de la race noire, faisait partie de la mission du Mahdi.
Comme tous les saints du pays de son époque, Seydina Limamou Laye (a.s) a eu à se heurter à l’autorité coloniale. Les persécutions contre lui débutèrent trois ans après son appel lancé aux hommes et aux djinns en 1884 en se déclarant Al Mahdi Mountazar (le Bien guidé attendu). Toutes ces épreuves, le Saint-maître les avait prédites à travers sa célèbre formule codée « Trois ans, trois jours, trois mois ».
Couvert de quolibets par ses parents lébous hostiles à son appel, dont Moussé Yesse Diagne, Limamou Laye fut arrêté le 14 septembre 1887 par ces derniers à Nguédiaga (Malika) avant d’être remis aux blancs. Sur un ton audacieux et plein d’assurance, Limamou Laye leur adressa ces propos : « Allons maintenant vers les Blancs, que vous croyez capables d’anéantir mon appel au service de Dieu. »
C’est le même jour que les colons ont décidé de son transfert à Gorée. Au port de Dakar, Limamou Laye, animé d’une foi inébranlable, a rassuré ses partisans inquiets de son sort : « Ces blancs aux mains de qui je suis aujourd’hui ne peuvent rien contre moi, si ce n’est la volonté du Seigneur. »
Le récit des trois mois passé sur l’île
Son séjour à Gorée est relaté par Tafsir Cheikh Makhtar Lô dans son célèbre livre Bushral muhibbine, qui relate la vie et l’œuvre de Seydina Limamou Laye. L’auteur raconte qu’à son arrivée à Gorée, Limamou Laye fut enfermé dans une prison, mais une forte pluie diluvienne, accompagnée de violents vents, s’abattit la nuit. Un ermite blanc sortit alors et se mit à courir dans les rues, frappant les murs et criant tout haut : « Faites sortir le saint que vous avez emprisonné, si vous ne le faites pas, vous allez vite être frappés d’une malédiction. »
Effrayés par cette tempête, les blancs firent sortir Limamou de prison et l’installèrent dans un grand bâtiment à côté de l’église, avec toutes les commodités nécessaires. Depuis 2009, une plaque commémorative est accrochée sur le mur de la maison par la commune de Gorée pour témoigner du passage de Seydina Limamou Laye. On y lit : « Dans cette maison a séjourné Seydina Limamou Mahdiyou Al Mountazar (Psl) en 1887. »
Les colons avaient recruté une dame du nom de Michèle Sène, grand-mère de Boubacar Joseph Ndiaye, pour s’occuper de lui. D’ailleurs, l’ancien conservateur de la Maison des esclaves, par ailleurs disciple layène, aimait le rappeler : « J’appartiens à une famille qui a reçu Limamou Laye en la personne de ma grand-mère pendant trois mois. C’est elle qui faisait la cuisine ; lavait le linge. Avant de partir de Gorée, Limamou, le vénéré, a prié pour ma famille. »
Durant son séjour dans cette maison, les blancs envoyèrent auprès de lui un abbé pour l’observer. Lorsqu’il termina son examen, il déclara aux autorités :« C’est un fils de Dieu. Que lui voulez-vous ? Laissez-le rentrer chez lui. Si vous lui causez le moindre préjudice, vous subirez rapidement une malédiction. » Limamou Laye venait juste de passer trois jours à Gorée et les autorités coloniales lui demandèrent alors de rentrer chez lui. Il leur répondit :« Je ne peux pas partir sans amener avec moi Tafsir Abdoulaye Diallo. » En effet, ce dernier, tout comme son guide, était arrêté et incarcéré à cause des calomnies des ennemis. Les colons rejetèrent la demande. Ainsi, Limamou affirma : « N’eût été le refus de libérer Tafsir Abdoulaye Diallo, qu’on m’opposa, je ne resterais pas plus de trois mois à Gorée. » Mais il passa trois mois à Gorée et confirma sa formule : « Trois ans, trois jours, trois mois. ».
Le procès et l’acquittement
Après sa libération, Limamou resta neuf mois dans la maison de son ami Ababacar Sylla, à Dakar, car les autorités françaises lui avaient dit : « Vous ne retournerez pas chez vous à Yoff avant les assises du tribunal qui doit statuer sur le différend qui vous oppose à ceux qui vous ont calomnié auprès de nous. » Limamou Laye fut jugé devant le tribunal de Dakar. Un non-lieu a été prononcé à sa faveur. Le juge Gilbert Desvallon, dans son rapport, déclare que l’instruction a démontré que, loin de prêcher la guerre sainte et les doctrines subversives, ce marabout enseignait au contraire la crainte de Dieu, l’obéissance aux parents et au maître et la fidélité conjugale. Poursuivant, le juge souligna que Seydina Limamou Laye comptait peu de partisans à Yoff et qu’il « suffira d’intimer l’ordre au chef du village de Yoff d’en interdire le séjour aux étrangers pour que la puissance de Limamou soit à jamais annihilée ».
Sens et signification du séjour de Limamou Laye à Gorée
« Le Tout-Puissant m’a envoyé et m’a investi d’une mission prophétique que je dois accomplir en ce lieu (Gorée). Si je ne pose pas les pieds sur cette île de la souffrance de la race noire, Dieu ne va point couper la ficelle de l’esclavage dont sont victimes les noirs », avait déclaré Seydina Limamou lors de son exil. Ainsi, le sens de son séjour de trois mois à Gorée était de réhabiliter la dignité de l’homme noir, longtemps marginalisée au nom de préjugés raciaux, voire même spirituels. L’esclavage a été la pire injustice subie par les Noirs. En tant que Mahdi attendu à la fin des temps, il avait pour mission de remplir la terre de justice et d’équité.
Dans la même dynamique, il renonça à son nom de famille Thiaw et demanda à ses adeptes de faire de même et de répondre par celui de Lahi (dérivé de Allahou) afin de neutraliser les contrastes liés aux castes. Le port du blanc entre dans ce cadre de dissimuler aussi l’origine sociale des uns et des autres.
La grotte de Gorée, lieu de retraite spirituelle du Saint Maître
Durant son séjour de trois mois à Gorée, Seydina Limamou Laye passait souvent son temps dans une grotte. Il s’y rendait pour faire ses prières. C’était pour lui un lieu de dévotion et d’adoration de Dieu. Cette grotte est nichée au sud-ouest de l’île (à Castel) en bas de la falaise faisant face au cap Manuel. L’accès à ce lieu n’est pas chose aisée. Le chemin est barricadé de roches qu’il faut escalader.
La grotte est profonde et spacieuse. Elle a une forme assez particulière. Les rochers sont verdâtres à certains endroits. L’intérieur demeure sombre. Les rares rentrées de lumières n’ont lieu qu’à la déclinaison du soleil à 17 heures.
Encadré 2
Trois ans, trois jours, trois mois, une prophétie
Limamou Laye répétait souvent cette formule parabolique dont il était le seul à connaitre la signification. Cette formule renvoie aux épreuves que Limamou et sa communauté devaient subir. Les trois ans marquent le début des persécutions en 1887, soit trois ans après avoir lancé son appel le 24 mai 1884 à Yoff. Ces persécutions vont le conduire à s’exiler à Nguédiaga (Malika) la nuit du 10 au 11 septembre. Il y resta trois jours, puis il fut arrêté le 14 septembre et interné à Gorée pour trois mois.