L’exploitation de l’or fait partie du modèle économique du groupe de mercenaires russes. Son récent passage sous la tutelle du Kremlin ne l’a pas empêché de continuer à fournir des prestations de sécurité, de formation et de combat à des acteurs étatiques en échange d’un accès au précieux métal jaune, au grand dam des mineurs artisanaux.
Le groupe paramilitaire russe Wagner a gagné plus de 2,5 milliards de dollars grâce à l’extraction illicite d’or, notamment dans des pays africains, depuis le début de la guerre en Ukraine, souligne un rapport publié le 18 novembre par le Conseil mondial de l’or (WGC).
Intitulé « Le silence est d’or : un rapport sur les mineurs artisanaux exploités dans le but de financer la guerre, le terrorisme et le crime organisé », le rapport précise que cette somme provient essentiellement des bénéfices tirés des mines et des raffineries sous contrôle de Wagner dans des pays déchirés par des conflits comme la République centrafricaine, le Mali, la Libye et la Syrie, ainsi que des honoraires versés par les régimes à cette société militaire privée, aujourd’hui incorporée dans l’armée russe, en contrepartie de service de sécurité.
Le métal précieux pillé par Wagner peut être ramené en Russie directement via la base militaire russe de Lattaquié, en Syrie, ou indirectement via des centres internationaux de commerce de l’or comme Hong Kong, l’Inde, la Suisse, la Turquie et les Émirats arabes unis. Les recettes issues de ce commerce international illicite servent essentiellement à financer la machine de guerre russe.
Loin de réduire ses activités depuis la mort de son fondateur, Yevgeny Prigozhin, et son passage sous la tutelle des forces armées russes, Wagner étend son contrôle sur les ressources aurifères du Mali, notamment en prenant le contrôle d’une mine artisanale à Intahaka en février 2024.
Le rapport élaboré par l’ex-vice-Premier ministre britannique Dominic Raab indique également que les gains colossaux engrangés par les mercenaires de Wagner grâce au commerce illicite de l’or constituent un exemple frappant de l’exploitation de l’activité minière artisanale dans le secteur aurifère par des acteurs mal intentionnés pour financer des conflits, faciliter le blanchiment d’argent et l’enrichissement d’entreprises criminelles. Mais toute la filière de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle de l’or (ASGM) n’est pas toxique et des millions de foyers, souvent dans les communautés les plus pauvres et les plus marginalisées, en dépendent.
Des gouvernements privés d’une précieuse source de revenus fiscaux
Cette filière particulièrement concentrée en Afrique, en Asie et en Amérique latine représente environ 20 % de l’approvisionnement annuel mondial en or et 80 % de la main-d’œuvre totale des mines d’or dans le monde. La production de l’ASGM a connu une croissance spectaculaire, passant de 304 tonnes en 2002 à 669 tonnes en 2018.
En 2022, on estimait que la filière fournissait des moyens de subsistance directs à quelques 15 à 20 millions de personnes, et qu’elle soutenait indirectement 270 millions de personnes supplémentaires.
Selon certaines estimations, 80 % de l’activité évolue dans l’économie parallèle. Cette situation est source de nombreux risques et défis. Les mineurs d’or locaux sont souvent la cible de gangs criminels, de groupes armés, d’organisations terroristes et de fonctionnaires corrompus. L’extorsion des entités de l’ASGM fait partie intégrante de l’expansion stratégique des affiliés de l’État islamique et d’Al-Qaeda opérant au Sahel. En Colombie, le Clan del Golfo et d’anciens groupes paramilitaires, l’Armée de libération nationale (ELN) et des dissidents des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), financent leurs activités par l’exploitation illégale de l’or.
Les communautés de l’ASGM sont également souvent exploitées par des intermédiaires peu scrupuleux qui se spécialisent dans l’exportation clandestine de l’or, privant ainsi les gouvernements nationaux d’une précieuse source de revenus fiscaux. Au Soudan, la spoliation des communautés des mineurs artisanaux d’or a par exemple privé le gouvernement d’un montant estimé à 2 milliards de dollars en une seule année.
D’autres risques menacent la filière de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle de l’or. Le mercure est utilisé comme un moyen bon marché par les mineurs artisanaux pour séparer l’or du minerai. Or, l’exposition au mercure peut endommager les reins, réduire l’ouïe, nuire à la vue et causer des dommages neurologiques.
Quand les mineurs artisanaux ne peuvent trouver de mercure, il existe des cas très nombreux d’utilisation de cyanure qui nuit à la santé respiratoire et cardiovasculaire. L’exposition au plomb et au cadmium représente aussi un risque courant pour les personnes travaillant dans l’ASGM. L’absence d’autres normes de sécurité de base au sein de l’ASGM entraîne par ailleurs des taux élevés de mortalité, notamment en raison de glissements de terrain et d’effondrements, en plus de cas disproportionnés de pertes auditives, de déficiences de langage, de maladies respiratoires et d’autres affections.
Une approche concertée entre les acteurs nationaux et internationaux
Plus l’Etat de droit est faible, plus les risques sont grands que l’ASGM donne lieu au travail d’enfants et à de graves violations des droits de l’homme. En 2015, Human Rights Watch a documenté la pratique généralisée du travail des enfants dans les mines d’or artisanales au Ghana. En RDC, l’ONG Southern Africa Resource Watch (SARW) a révélé que des milices et des bandits ont déplacé les mineurs artisanaux dans la province du Nord-Kivu, les obligeant ainsi à adopter un mode de vie nomade.
Les instruments internationaux et nationaux destinés à protéger l’ASGM ne manquent pas, notamment les Principes directeurs des Nations Unies concernant les droits de l’homme et les affaires 2011, la législation de l’Union européenne sur les minerais de conflit et la loi américaine Dodd-Frank. On observe toutefois un manque saisissant de transparence entre entreprises et gouvernements concernant l’application des normes légales prescrites, ainsi qu’une dangereuse inertie dans l’application des lois pénales envers certains des auteurs des infractions les plus graves contre les mineurs artisanaux.
Troisièmement, en l’absence d’une approche concertée et coordonnée entre les différentes autorités nationales et agences internationales pour la protection des communautés de l’ASGM en difficulté, l’activité continue à causer des souffrances et des pertes humaines absurdes, tout en profitant à des organisations dangereuses qui menacent directement la paix et la sécurité régionales et internationales.
Pour éliminer ces menaces, les gouvernements, les organisations internationales et les acteurs du secteur de l’or doivent coordonner l’action menée pour démanteler les réseaux criminels (saisie des actifs provenant du commerce illégal de l’or, interdictions de visa des officiels qui collaborent avec le groupe Wagner ou toute organisation comparable, renforcement de la coopération judiciaire pour augmenter le nombre de poursuites, surveillance des raffineries et des centres de traitement…) et intégrer l’ASGM dans des chaînes d’approvisionnement légales (formalisation de l’activité minière artisanale, développement des systèmes d’alerte précoce pour les communautés minières vulnérables, élargissement des programmes d’achat d’or par les banques centrales, sensibilisation des acheteurs à se renseigner sur la source de l’or vendu en magasin, etc.).