Le Premier ministre haïtien Garry Conille est en voyage aux États-Unis, dans sa première visite à l’étranger depuis sa prise de fonction. Avant de rejoindre New York, il était à Washington où il s’est notamment entretenu avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken et avec plusieurs partenaires internationaux, notamment sur des questions financières. La priorité pour le Premier ministre est de rétablir la sécurité dans un pays dont la majorité du territoire est contrôlée par les gangs. Entretien exclusif avec RFI.
RFI : Bonjour Garry Conille. Vous avez été nommé il y a tout juste un mois. C’est votre premier voyage officiel. Qu’est-ce que vous êtes venu chercher à Washington ? Des appuis financiers ? Des conseils pour diriger Haïti ?
Garry Conille : J’ai été nommé depuis un mois mais cela fait à peu près deux semaines que je suis installé. Et cela fait à peu près une semaine, une semaine et demie que j’ai un gouvernement. La démarche de Washington rentre dans le cadre d’un effort que nous sommes en train de faire pour regalvaniser, dans une certaine mesure, la communauté internationale autour du dossier haïtien. Premièrement pour rappeler la situation d’Haïti où 80% du territoire de la zone métropolitaine est contrôlé par les gangs et où la moitié de la population est en insuffisance alimentaire. Nous avons des problèmes qui sont très très sérieux. Cela fait partie de la démarche que nous sommes en train d’entreprendre pour nous assurer que la communauté internationale continue à nous accompagner.
Vous avez promis que l’État haïtien reprendrait le contrôle des quartiers occupés par les gangs avec l’appui de la Mission internationale de soutien à la police nationale haïtienne. Il y a un premier contingent de policiers kényans qui est arrivé la semaine dernière à Port-au-Prince. Combien sont-ils à ce jour sur le sol haïtien ?
Ils sont un peu plus de 200 dans le premier contingent et on s’attend à ce que dans les prochaines semaines, ce chiffre augmente de manière significative.
2 500 policiers de la force internationale doivent arriver à terme. Quand est ce qu’elle sera au complet ?
C’est un processus qui est en cours. Je préfère ne pas parler de date exacte. Ce que je peux vous dire, c’est que les partenaires haïtiens sont très engagés. Et ils sont en train de prendre toutes les dispositions pour que cela se fasse le plus rapidement possible.
Il y a des problèmes logistiques, des problèmes de logement notamment pour ces policiers kenyans ?
Dans ce genre d’opération en général, il y a toujours énormément de choses à résoudre. Mais ce que j’ai vu et ce que l’on a compris dans les conversations que nous avons avec nos partenaires, c’est qu’ils comprennent bien l’urgence. Ils sont très engagés à pouvoir offrir le support et l’appui qu’il faut pour que cela se concrétise.
Pour l’heure, ces policiers kenyans notamment font quelques patrouilles, mais il n’y a pas d’opération d’envergure. Quand est-ce que cette force va commencer réellement à remplir ses missions ?
La mission de cette force, c’est évidemment d’accompagner la police nationale qui n’a jamais cessé de faire des opérations. Donc la reprise de ces territoires qui sont aujourd’hui occupés par les gangs, cela sera toujours la police et l’armée d’Haïti. C’est nous qui allons décider à quel moment, dans quel contexte et comment cet accompagnement sera nécessaire et aura une valeur ajoutée. Évidemment, nous allons discuter avec eux pour voir comment est-ce qu’ils vont pouvoir nous aider.
Il y a 2 500 hommes pour appuyer une police qui est en sous-effectif. En face, on estime qu’il y a plusieurs milliers de membres des gangs. Est-ce que c’est suffisamment dimensionné ?
Je pense qu’il y a trois considérations. La première, c’est que la sécurité n’est pas seulement une affaire de police. C’est une intervention qui doit être beaucoup plus complète. Le succès de l’opération et sa pérennité ne pourront se matérialiser que lorsque l’on aura pleinement réconcilié la police avec la communauté. Quand on envisage les efforts que nous sommes en train d’entreprendre, on a cette vision-là. Il nous faut vraiment renforcer la capacité de notre police. Ce que ces contingents nous permettent de faire, c’est de nous appuyer en même temps que nous sommes en train de renforcer nos effectifs. On vient de graduer 455 policiers et des forces spécialisées. On va continuer à le faire de manière systématique. Ce n’est pas une fin l’accompagnement de la mission. C’est surtout un accompagnement bien spécifique et limité dans le temps, on l’espère. Et qui nous donne l’espace qu’il nous faut pour renforcer nos propres capacités.
Est-ce que cette lenteur relative du déploiement de la mission internationale de soutien va permettre aux gangs de s’adapter, de voir comment s’adapter à la force qui va leur être opposée ?
Comme je vous disais tout à l’heure, la police nationale d’Haïti n’a jamais cessé de faire des interventions et n’a jamais cessé de protéger la population. Évidemment, avec les limitations que vous connaissez. Et donc en ce sens, probablement oui, je présume que les gangs sont en train de se positionner. Mais ça, je ne sais pas. Mais ce qui est sûr c’est que, quel que soit ce qu’ils sont en train de faire, je vous assure que dans un délai pas trop lointain, l’État reprendra le contrôle de tout le territoire national.
Jimmy Chérizier, c’est un puissant chef de gang que l’on appelle « Barbecue ». Il a fait savoir qu’il était prêt au dialogue la semaine dernière. Est-ce que vos équipes ont des contacts avec lui ? Quand on est le gouvernement d’Haïti est-ce que l’on discute avec les gangs ?
J’ai répondu à cette question il y a déjà quelques semaines : il faut d’abord déposer les armes et reconnaître l’autorité de l’État avant tout dialogue. C’est cela la première démarche et ensuite on verra.
Au-delà de la sécurisation du pays, l’économie, le système de santé sont à terre en Haïti. Ils n’existent pratiquement plus. Plus de 5 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire. Comment est-ce que votre gouvernement compte répondre à ces urgences ? Quelle priorité vous définissez ?
Le gouvernement de transition est en place sur la base d’un accord qui est l’accord du 13 avril et qui définit clairement les grands axes d’intervention et les priorités. Évidemment, il y a la sécurité, il y a la crise humanitaire, il y a les problèmes de corruption, entre autres, et certainement les élections. Nous venons de terminer deux jours de retraite où les différents ministères ont complété des feuilles de route qui identifient très clairement comment nous allons avancer vers ces différentes priorités de manière organisée. Et justement, le but de cette visite, c’est de voir dans quelle mesure est-ce que nos partenaires peuvent nous accompagner de manière très systématique dans la mise en place de différentes stratégies qui, à notre avis, devraient pouvoir aboutir. Je dois vous dire qu’en fait, ce qui nous donne beaucoup d’espoir, c’est qu’au cours de ces dernières semaines, les partis politiques qui en général ne s’entendent pas, ont pu arriver à un consensus pour construire le système de gouvernance. Le Conseil présidentiel a maintenant neuf membres. Ces neuf membres ont pu s’entendre sur un Premier ministre. Nous avons pu mettre en place un gouvernement en sept jours. La force est arrivée. La population a accepté plus ou moins cette formule transitoire. La communauté internationale est très mobilisée, beaucoup plus qu’elle ne l’était il y a quelques mois. Donc je suis assez confiant : avec cet accompagnement, nous allons réussir.
Vous avez passé plusieurs années à l’étranger comme dans la coopération internationale avec les Nations unies notamment. Si vous prenez un peu de recul, comment est-ce que vous, d’un point de vue presque technique et professionnel, vous jugez l’état de de votre pays aujourd’hui ?
La situation est excessivement complexe. Et ce n’est pas seulement parce que les gangs contrôlent la majorité du territoire. Ce n’est pas seulement parce que nous avons près de 5 millions de personnes en insécurité alimentaire ni à cause des problèmes de développement, mais c’est parce que justement il y a une faiblesse institutionnelle. Les instruments qu’un gouvernement se donne en général pour pouvoir approcher ces problèmes n’existent plus. Et en même temps, je dois vous dire que l’accompagnement que nous avons reçu jusqu’ici de la communauté internationale, à mon avis, mérite d’être revu. Mais ce que je crois fondamentalement pour avoir fait ce travail un peu partout à travers le monde, c’est qu’en premier lieu, il n’y a pas de fatalité haïtienne. La seconde chose, c’est que malheureusement jusqu’à présent, la population haïtienne n’a pas encore eu un gouvernement qui reflète sa générosité, sa résilience et sa capacité de travail. La troisième chose, c’est qu’il nous faut le leadership et la vision qui est avant tout haïtienne. Et la quatrième chose, c’est qu’il faut un accompagnement qui est beaucoup plus durable et qui nous amène à terme jusqu’à la résolution de nos problèmes, ce que l’on n’a jamais eu jusqu’à présent.
Est-ce que vous allez pouvoir tenir le délai d’organisation d’élection d’ici à 2025, alors qu’il n’y en a pas eu depuis 2016 en Haïti ?
Nous sommes déterminés à le faire. Je pense que ceci est absolument indispensable. Il faut que nous puissions avoir le plus rapidement possible un gouvernement élu pas plus tard que le 7 février 2026.
Comment organiser des élections dans un pays qui compte à ce jour près de 600 000 déplacés internes et où il y a une méfiance, sans doute d’une partie de la population pour des raisons de corruption que vous avez-vous même qualifié de mauvaise gouvernance enracinée ?
La première chose, c’est qu’il faut rétablir la confiance de la population dans ces institutions et la capacité de cette transition à pouvoir effectivement créer un environnement qui lui permette d’aller valablement vers les élections. Ce que nous pouvons et croyons pouvoir faire. Nous avons pu mobiliser des hommes et des femmes qui sont connus pour leur intégrité, pour leur capacité de travailler, pour leur professionnalisme et pour leurs compétences. Et nous allons continuer à le faire avec le CEP. Nous sommes en train de travailler avec le partenaire et nous allons avoir une conversation constante avec la population et énormément de transparence. On lui dira exactement ce que l’on peut et ce que l’on ne peut pas faire. On espère l’impliquer de manière constante dans ce que l’on est en train de faire. Et on espère que c’est comme ça qu’on l’on pourra arriver à terme.
Rfi