La décision du G20 de prolonger de six mois son initiative de suspension du service de la dette des pays pauvres divise. Elle est jugée insuffisante pour certains, et inadaptée pour d’autres.
La décision du groupe des 20 pays les plus riches d’accorder un nouveau moratoire de 6 mois sur la dette des pays les plus pauvres comme geste de solidarité internationale face à la covid-19 est critiquée par plusieurs organisations de la société civile internationale. Ces réserves sont exprimées dans un rapport publié par Eurodad, le Réseau européen pour la dette et le développement.
Le rapport estime que tout comme le premier volet de cette initiative, le second ne permettra pas de dégager des ressources suffisantes pour que les pays éligibles et qui en font la demande mènent à bien une relance post-covid-19. Pour la première partie de cette initiative, sur 12 milliards $ de suspension de remboursement disponibles, seulement 5,3 milliards $ ont été validés.
Pour Eurodad, cette somme ne représente qu’une fraction insignifiante des remboursements de dette que doivent effectuer les pays bénéficiaires (1,6%). Il relève aussi que les institutions internationales de financement comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ainsi que le secteur privé occidental ne font pas assez le jeu de la solidarité internationale.
« En 2018, la Banque mondiale détenait à elle seule 103,73 milliards de dollars de dettes des pays éligibles àl’ISSD [Initiative de suspension du service de la dette, Ndlr]. De mai à décembre 2020, période pendant laquelle l’ISSD s’applique pour l’instant aux créanciers bilatéraux, l’annulation des paiements à la Banque mondiale libérerait 2,46 milliards de dollars. Ce montant pourrait atteindre plus de 4 milliards supplémentaires si l’annulation se prolongeait toute l’année 2021 », estime Eurodad.
La rivalité Chine / Etats-Unis rend complexe toute solution sur la dette des pauvres
La Zambie qui s’est retrouvée non éligible à l’initiative, en raison de la difficulté à trouver un accord avec le FMI, est presque dans un défaut de paiement sur sa dette privée internationale. Des pays comme le Ghana et le Kenya ont refusé l’initiative expliquant que cela leur ferait plus de tort. Le Kenya est présenté comme étant en risque de surendettement.
Vera Songwe, la secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) a estimé que le prolongement de l’initiative du G20 rend les choses encore plus complexes. En effet, la plupart des pays, notamment ceux d’Afrique, élaborent leur budget sur un an. Il est donc difficile pour eux de planifier en comptant sur une initiative qui ne couvre qu’une partie de l’année, pour des montants qui ne sont même pas si représentatifs.
Le FMI a récemment plaidé pour une nouvelle architecture de gestion de la dette internationale. Mais l’institution est bien limitée dans sa capacité à proposer des réformes efficaces, en raison du véto des Etats-Unis, dont les dirigeants sont susceptibles à toute initiative qui pourrait donner un avantage à la Chine.
La CEA a fait des propositions visant à mettre en place un mécanisme qui permettrait de réduire les coûts d’endettement pour l’Afrique, mais le continent dont le stock de dettes est limité, avec un faible historique de défauts de paiement, est toujours perçu comme très risqué par les investisseurs, à cause de l’intransigeance des agences de notation.
« Ce qui manque clairement à un continent comme l’Afrique, c’est une Banque centrale susceptible d’apporter de solides garanties aux investisseurs avec une monnaie forte. Regardez l’Italie et d’autres pays européens qui peuvent aujourd’hui emprunter à des taux négatifs parce qu’il y a un fort engagement de la Banque centrale européenne à intervenir. Les pays africains n’ont pas une telle solution », a fait savoir Vera Songwe.
Idriss Linge