Le rapport souligne que les expériences des pays africains qui ont mis en œuvre une politique sans visa pour tous les citoyens du continent sont mitigées, aussi bien en ce qui concerne les flux touristiques que dans le domaine des échanges commerciaux.
Les mesures d’assouplissement des politiques de visas qu’adoptent de plus en plus de pays africains depuis quelques années ne permettront de développer les échanges intra-régionaux que si elles s’accompagnent d’investissements conséquents dans les infrastructures de transport, d’une facilitation des procédures de contrôle aux frontières et d’une amélioration de la sécurité sur les corridors transfrontaliers, selon un rapport publié le 25 mars dernier par Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels.
Intitulé « Les politiques de visas sont essentielles pour renforcer les échanges intra-africains mais… », le rapport précise que 42 pays africains accordent l’entrée sans visas aux citoyens d’au moins cinq pays du continent. 33 d’entre eux le font pour les citoyens d’au moins 10 pays africains.
Les politiques sans visas visent essentiellement à améliorer les flux touristiques même si les motivations varient d’un pays à l’autre. En fonction de ses intérêts, chaque Etat adopte une politique de visas ciblant des pays précis. Ainsi dans un premier temps, certains pays signent des accords bilatéraux d’exemption de visas entre eux afin de mieux développer leurs relations économiques ou commerciales. Fin novembre 2023, la Sierra Leone a par exemple signé un accord d’exemption de visas avec l’Afrique du Sud, pour les titulaires de passeports diplomatiques et de service. L’objectif était de faciliter les échanges de haut-responsables et d’investisseurs de secteurs clés pour la coopération économique entre les deux pays comme ceux de l’éducation, de la sécurité alimentaire, de l’énergie, des mines et du tourisme.
En octobre 2023, le Ghana et l’Afrique du Sud ont signé un accord d’exemption de visas pour tous les citoyens des deux pays en vue de favoriser les échanges dans le secteur des affaires et du tourisme.
En outre, plusieurs Etats ont annoncé des mesures d’exemption de visas pour les citoyens d’autres Etats aux fins d’accélérer le processus d’intégration du continent, qui est entré dans une phase active depuis la signature de l’accord de création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). C’est le cas par exemple du Botswana qui a signé en 2023, des accords bilatéraux d’exemption de visas pour les citoyens de la Namibie et du Zimbabwe.
Notant que quatre pays ont mis en œuvre une politique sans visa pour tous les citoyens africains (le Bénin, la Gambie, le Rwanda et les Seychelles), le rapport indique d’autre part que l’expérience des trois principaux pays précurseurs dans ce domaine, reste mitigée.
Les Seychelles étaient le premier pays du continent à lever l’obligation de visa pour les visiteurs africains. L’objectif de l’archipel était de doper son secteur touristique. Mais aucun pays du continent ne figure dans le top 10, voire le top 15 des pays émetteurs de touristes vers les Seychelles.
Au Bénin, l’adoption d’une politique sans visas pour tous les citoyens africains n’a pas non plus impacté le classement des principaux marchés pourvoyeurs de touristes vers le pays, en l’occurrence le Nigeria, le Niger et le Togo.
Déficit d’infrastructures
Sur le plan commercial, les effets restent également difficiles à analyser. D’après les données de la Banque mondiale, en 2022, les Seychelles, premier pays africain à avoir adopté la politique sans visas n’a reçu de l’Afrique subsaharienne qu’à peine 5% du total des marchandises importées en 2020 (contre 7,16% en 2018). Côté exportations, ce chiffre n’est que de 0,96%, à peu près le même niveau qu’en 2018.
Malgré l’exemption de visa, aucun pays africain ne figure dans le top 10, voire le top 15 des pays d’origine des touristes qui visitent les Seychelles.
L’assouplissement des régimes de visas apparaît ainsi bien insuffisant pour régler le problème de la libre circulation des Africains sur le continent et développer les échanges économiques intra-régionaux. L’un des principaux obstacles à la libre circulation entre les pays africains reste l’absence d’infrastructures permettant de fluidifier les échanges non seulement d’un territoire à l’autre, mais également au sein d’un même territoire.
En Afrique, le secteur du transport est largement dominé par les routes qui représentent 80 à 90% du trafic de passagers et de marchandises. Pourtant, une grande partie du réseau routier reste très peu développée. D’après la Banque africaine de développement (BAD), l’Afrique nécessite un investissement annuel compris entre 130 et 170 milliards de dollars pour résorber son déficit en infrastructures.
La libre circulation des personnes dans plusieurs régions du continent demeure également entravée par les difficultés liées à la complication des procédures de contrôle aux frontières, auxquelles peuvent s’ajouter les rackets des agents des postes frontaliers. De plus, l’insécurité sur certains corridors transfrontaliers et les foyers de conflits sont également des défis à relever.
Le rapport fait remarquer par ailleurs que d’énormes chantiers attendent encore les Etats, dont le Protocole sur la libre circulation des personnes, qui a été signé par 32 pays africains. Cet accord, qui vise à libéraliser successivement le droit d’entrée, le droit de résidence et le droit d’établissement, n’a été jusqu’ici ratifié que par quatre pays.
Les experts estiment que les préoccupations concernant la sécurité nationale, la gestion des frontières et le contrôle de la politique migratoire nationale ont probablement ralenti le processus de ratification, tout comme les malentendus sur les obligations et le calendrier de mise en œuvre.
Et last but not least, une mutualisation des efforts dans le secteur du transport aérien devrait accompagner les politiques de visas, étant donné que les voyages intra-africains sont également freinés par les coûts élevés des billets d’avion. Le marché du transport aérien sur le continent reste, en effet, fractionné avec des taxes qui représentent parfois jusqu’à 100% voire plus du tarif effectif perçu par les compagnies aériennes pour chaque client. A cela s’ajoute le fait que le continent est celui où le coût du carburant pour les avions continue d’être le plus élevé, avec un écart de près de 20% par rapport aux pays d’Amérique du Nord.