La finalité de la règlementation de l’acte de construire et du processus qui le consacre est de préserver l’ordre public. Au cœur de cette préoccupation de sécurité et de paix sociale se trouve l’homme ou le citoyen, dans ses multiples rapports avec les biens qui l’entourent.
De l’idée de sa création, déjà, à son exploitation en passant par sa réalisation, un immeuble est un des symboles même du génie dominateur de l’homme, celui de sa capacité à inventer mais aussi à détruire. Tantôt cadre de vie, par moments lieu de travail ou espace de loisir, sa relation avec l’homme dépasse le simple lien fonctionnel ou patrimonial pour être un trait de sa culture.
Mais si l’homme n’hésite pas à détruire les immeubles quand ils vieilliront du poids infini de la tristesse des choses selon Raymond QUENEAU, il lui arrive d’en subir, mortellement, l’effondrement à cause de son laxisme dans la gestion de tels ouvrages. Les récents sinistres relayés par la presse en sont la parfaite illustration. Et leur marginalité statistique ne saurait servir de prétexte à l’indifférence ou à la résignation, tant une telle attitude serait porteuse de fatalisme coupable et rétrograde.
Certes, ces catastrophes peuvent être différentes par leur nature ou leurs causes techniques. Mais elles n’en gardent pas moins un dénominateur commun : leur survenance dans un contexte national de connaissances certaines du personnel d’encadrement du BTP, sous-tendu par un cadre législatif et réglementaire qui a le mérite d’exister, quoiqu’incomplet.
Au commencement du processus est la conception du bâtiment à réaliser, un travail en principe réservé à un professionnel au profil académique respectable appelé Architecte et dont la noblesse de l’art est de donner forme et vie aux idées. Sa mission est, en résumé, d’organiser l’agencement des espaces et, le cas échéant, veiller à la bonne exécution des ouvrages commandés, en réponse avisée aux besoins exprimés par son client. En règle générale, sa profession est libérale et plurielle. Le Sénégal n’en compte pas moins de deux cents, affiliés à un Ordre National et le recours à leurs services est obligatoire pour tout projet de construction pour lequel un permis de construire est exigé.
A ce stade, il convient de dissiper une équivoque vulgairement présente dans les esprits en rappelant que la délivrance d’un permis de construire n’est pas une fin garantissant la qualité vitale d’un ouvrage, encore moins une licence à la malfaçon donnée à son bénéficiaire. La portée de cet acte administratif est d’attester la conformité d’un projet aux règles d’urbanisme, d’hygiène et de sécurité (par rapports aux risques naturels et technologiques) en vigueur. Elle est à inscrire dans la cohérence de la démarche d’aménagement du territoire avec la politique de développement économique et social en cours. Pas plus !
Comprendre, autrement, ce qui précède signifie qu’on fait partie des laissés pour compte de l’éducation citoyenne sur le sujet. Car, au fond, c’est de devoir citoyen qu’il est question, de légitimité individuelle et active dans la conduite du projet social décliné par l’Etat au moyen de lois moralement admises et cohérentes.
Pour la plupart d’entre elles, la marginalisation évoquée n’est pas le choix des personnes qui en sont victimes. Elle est le résultat d’une conception des lois qui ne met pas en œuvre, suffisamment, une stratégie de gestion de l’efficacité de leur application. A l’image de l’entreprise qui vend un produit ou un service, l’Etat pourrait promouvoir ses lois par des actions de sensibilisation, d’information et d’éducation avec l’objectif d’ériger la spontanéité de leur respect, par les citoyens, en règle de conduite. Pour cela, sa présence opportune sur le terrain de la communication au service de l’éducation est nécessaire, une communication de souveraineté pour installer, dans la société, les changements qu’il souhaite. D’autant qu’il trouverait, facilement, des alliés naturels auprès des principaux acteurs et animateurs du secteur du BTP que sont les collectivités locales (transfert de compétences oblige), les organisations patronales, les entreprises, bureaux d’études, bureaux de contrôle, compagnies d’assurance, bailleurs, etc. Car, appliquer une loi, quelle qu’elle soit, à une population non avisée et très peu préparée relève d’une brutalité inutile. Comme il est aussi hasardeux, dans ces conditions, de s’attendre à ce que cette même population se l’approprie sans délai. Pourtant, le pays a connu de belles initiatives publiques qui sont allées dans le sens d’une bonne communication. Il est à espérer qu’elles aient le mérite de l’exemple.
Acolyte de l’Architecte, l’Ingénieur de structure complète le travail de conception par la production des composantes ou plans d’exécution technique du projet de construction. Les connaissances qui fondent sa compétence sont variées et comprennent la géotechnique, la résistance des matériaux, la mécanique des fluides, les calculs de structure, etc. Il dimensionne les ouvrages et éléments d’ouvrage pour leur permettre de résister aux sollicitations auxquelles ils sont soumis du fait de leur utilisation ou de leur environnement, tout en restant stables. Son intervention, en amont des travaux, est indispensable et s’appuie sur la règlementation en cours et dont l’évolution intègre, de plus en plus, les exigences de développement durable et d’accessibilité des bâtiments aux handicapés. Elle aide à fiabiliser et optimiser les coûts de construction et de réalisation des projets, autant qu’elle l’installe dans un processus où sa responsabilité civile délictuelle pourrait être engagée en cas d’effondrement.
Hélas, la bonne qualité de ses études ne garantit pas celle de la mise en œuvre des ouvrages concernés, quand bien même elle en constitue le préalable ou la condition de base.
Le premier catalyseur de sinistres est le manque de préparation des chantiers alors que la prise en charge de leur sécurité commence par ce travail. Pour prévenir les risques professionnels, il faut savoir anticiper les situations de co-activité par des options techniques de construction appropriées et des délais réalistes, sans oublier l’environnement du chantier. Sur ce point, d’ailleurs, les circulations horizontales et verticales ne sont pas souvent correctement organisées, si bien que les chutes de hauteur et de plain-pied ont fini par figurer parmi les principales causes d’accidents du travail tant en fréquence qu’en gravité.
Mais la pire cause est dans les malfaçons et/ou erreurs de mise en œuvre des ouvrages, de plus en plus courantes, banalisées et imputables à l’insuffisance de compétence et d’expérience dans les fonctions d’exécution des travaux de bâtiments. Danger pour l’intégrité d’un immeuble et la sécurité de ses occupants, certaines d’entre elles ne sont révélées qu’avec la survenance des dégâts qu’elles engendrent.
Il est devenu presque normal que, par souci d’économie de coûts et/ou de temps, les règles de bonnes pratiques constructives soient ignorées au nom d’une certitude de l’exécutant fondée sur un empirisme suranné. Dans ce registre, il n’est pas rare de voir des ouvriers enterrer des gâchées de béton pour les réutiliser le lendemain, ferrailler un poteau comme un simple raidisseur, armer une console sans considération de la bonne position des aciers, de leur section ou de leur répartition, décoffrer un plancher sans respecter le délai minimum requis et y entasser du sable, etc. Pourtant, la manière de traiter et combiner les matériaux répond à une utilisation fonctionnelle des éléments d’ouvrages qu’ils forment, dans des conditions de résistance et de stabilité étudiées et quasi parfaites.
Mais hélas, rien qu’à voir le rendu des façades de certains immeubles ou l’appareillage des maçonneries, on en arrive à penser que les professionnels constructeurs ont cessé toute capacité de s’émouvoir devant tant d’ignorance et de légèreté. A mon humble avis, quand on ne peut pas faire le moins, on ne doit pas prétendre à faire le plus.
Le travail bien fait est le travail accompli dans les règles de l’art qui, à la différence de l’usage, comportent une exigence de performance et ne s’accommodent pas de la répétition pour être reconnues. Elles encadrent et dictent les pratiques professionnelles, pour la qualité et la sécurité des ouvrages : textes législatifs (lois, décrets, ordonnances…) et les textes normatifs et techniques (DTU établis par l’AFNOR).
Dans tous les contrats, les règles de l’art sont considérées comme des obligations contractuelles implicites et constituent le ‘’savoir-faire’’, un ensemble de pratiques professionnelles qu’un corps de métier doit respecter pour que les ouvrages qu’il exécute soient correctement réalisés. Le non respect de ces références peut engendrer une faute susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de son auteur. Elles servent aussi à apprécier la responsabilité délictuelle.
De nos jours, quoique l’évolution du droit et le progrès technique tendent à les rendre désuètes, elles gardent leur valeur professionnelle. Car, certaines juridictions européennes admettent que les indications des fabricants ou des inventeurs de certaines techniques se substituent aux règles de l’art dès lors que ces règles sont incompatibles avec les nouveaux produits.
Fort heureusement, des signaux d’espoir sont encore perceptibles, au regard de certaines initiatives en place. Je n’en retiendrai que le cas du centre BTP de DIAMNIADIO qui est un exemple type de ralliement public/privé pour le renforcement de la qualification des ressources humaines du secteur par la formation, avec le concours d’instruments de la coopération internationale. Le soutien qu’il mérite devrait donc lui être apporté.
Dans le contexte actuel où les domaines, l’urbanisme et l’habitat font partie des compétences transférées aux collectivités locales, le moment est venu de renforcer les moyens humains et matériels susceptibles de les aider à bien assumer les responsabilités administratives que la loi leur reconnaît, sans préjudice du contrôle, a postériori, de l’état d’exécution de la délégation ainsi reçue de l’Etat par les propres services de ce dernier. Car, s’il est vrai qu’il n’y a pas de responsabilité sans liberté, il est juste de penser qu’il n’y a pas de liberté absolue dans la gestion de la chose publique.
Il ne s’agira pas de doubler du personnel en invitant les collectivités locales au recrutement alors qu’elles manquent de ressources financières pour leur fonctionnement, mais d’optimiser l’utilisation de la ressource disponible en résorbant la sous-activité qui a longtemps caractérisé les administrations publiques.
Chaque collectivité doit maîtriser son périmètre géographique de compétences, son territoire, ne serait-ce que pour les besoins de la gestion de son propre plan de développement. Dans ce cadre, l’existence d’un plan local d’urbanisme (PLU) reposant sur des outils de gestion foncière performants, comme des cadastres et livres fonciers locaux, est un préalable nécessaire à la régulation de l’offre foncière et de la forme urbaine. Les interventions foncières en seraient facilitées.
La technologie offre, pourtant, des moyens de surveillance de l’espace dont le couplage avec la gestion de base de données (cartographie du relief, permis de construire, notamment) fiables permet de détecter toute construction nouvelle et intervenir efficacement dans le but de prévenir tout désordre ou manquement aux règles établies. Les visites de terrain régulières et bien organisées complètent le dispositif technique en place.
Pour finir, la sanction juste et équitable gagnerait à être systématiquement appliquée à tout contrevenant aux textes et règles de sécurité de la construction en vigueur, de manière à dissuader les velléités d’indiscipline, conscientes ou ignorées, qui dorment encore en nous. C’est pourquoi il est temps de produire les arrêtés et décret d’application de la Loi n° 2009-23 du 8 juillet 2009 portant Code de la Construction.
Mamadou GUEYE Jr
Ing.Polytechnicien-DES-Banque