L’affaire est révélée par une correspondance du préfet du département de l’Océan, unité administrative qui abrite le port en eau profonde de Kribi, dans la région du Sud du Cameroun.
Adressée le 17 novembre 2023 au chef de poste de police sanitaire du port de Kribi, la lettre du préfet Nouhou Bello ne fait pas mystère de soupçons de complaisance dans l’autorisation donnée par le chef de poste de police sanitaire, pour la sortie sous palan (livraison directe à l’importateur depuis les cales du navire, NDLR) du port de Kribi d’une cargaison de 2 000 tonnes de riz importée depuis la Chine, et faisant partie d’une cargaison globale de 10 000 tonnes.
« J’ai l’honneur de vous demander de vouloir bien me renseigner dans les brefs délais (sur) les raisons vous ayant conduit à marquer votre accord par lettre (…) adressée au directeur général de la société Avanti Cameroun, pour l’enlèvement sous palan, le 14 novembre 2023, de deux mille (2 000) tonnes de riz de marque Butter Brand, sur une cargaison de dix mille tonnes (10 000), à destination des régions de l’Extrême-Nord et de l’Adamaoua, sans au préalable que des analyses des échantillons prélevés sur cette cargaison ne soient effectuées », peut-on lire dans la correspondance.
Les soupçons de complaisance nourris contre le chef de poste de police sanitaire du port de Kribi tiennent de ce que, poursuit le préfet, « des informations abondamment répandues dans la place portuaire ont révélé que cette denrée en provenance de Nanjing, en Chine, serait impropre à la consommation humaine, et qu’elle aurait fait l’objet de refoulement en République démocratique du Congo (RDC) en octobre 2023 ». Ceci, après que ce riz ait causé des dégâts sur la santé des populations dans la ville de Kinshasa, renseigne par ailleurs le préfet Nouhou Bello.
Retour sur le refoulement en RDC
« Par sa décision judiciaire du 25 octobre dernier, le procureur de la République du parquet de grande instance de Matadi a ordonné le refoulement de plus de 6 000 sacs de riz de marque Butter Brand, importés par la société Socimex Sarl. Motif : ce riz durci est déclaré non conforme et nuisible à la santé publique. L’officier du ministère public s’est basé sur le rapport et le procès-verbal de constat, d’exécution et de consignation dressés par (…) l’inspecteur phytosanitaire officiel du Service de quarantaine animale et végétale au Port de Matadi. Selon les informations parvenues à Scooprdc.net, ce lot de riz (…) a été transporté par le navire MV VSC Triton, affrété par Socimex. Ledit bateau a accosté et passé deux semaines au port de Matadi avec ce riz. Des témoins affirment qu’après la prise de l’ordonnance par le procureur de la République, le navire a quitté le même 25 octobre le port pour une destination imprécise… », peut-on lire dans un article publié le 2 novembre 2023 par le journal en ligne Scooprdc.net.
Cependant, si cette plateforme d’information de RDC confirme le refoulement d’une cargaison de riz Butter Brand au port de Matadi, qui dessert notamment Kinshasa par route et voie ferrée, rien n’indique que c’est la même cargaison qui a été réorientée vers Kribi. De plus, le journal congolais ne fait mention nulle part de dégâts causés sur la santé des populations à Kinshasa par ce riz, qui, visiblement, n’a même pas été débarqué. « Les observateurs, qui émettent une forte crainte de voir ce riz être frauduleusement versé sur le marché dans de nouveaux emballages camouflés, se demandent pourquoi le parquet de Matadi n’a pas procédé à l’incinération de cette cargaison impropre à la consommation et nuisible à la santé, au lieu de la refouler », s’interroge d’ailleurs Scooprdc.net.
Découverte d’un pot aux roses ou sabotage ?
Au demeurant, un détail révélé par la lettre du préfet de l’Océan laisse interrogateur sur ce qui pourrait apparaître comme des manœuvres suspectes autour de la cargaison de riz querellée au port de Kribi. « Il a été constaté que les procès-verbaux d’inspection sanitaire à l’importation ont été signés les 8 et 9 novembre 2023, alors que le navire transportant cette cargaison a accosté au port le 12 novembre 2023.
Toutes incongruités qui devaient susciter une vigilance particulière de vos services », écrit le préfet au chef de poste de police sanitaire du port en eau profonde de Kribi. En d’autres termes, ce navire aurait parcouru la distance qui sépare le lieu d’importation (la Chine) au port de Kribi, au Cameroun, en l’espace de seulement quatre jours au plus. Pourtant, pour des sources contactées dans les milieux portuaires, il faut compter 21 jours pour une liaison directe avec Kribi et un mois pour une liaison avec escales dans d’autres ports situés sur le trajet.
Pour l’heure, ni le ministère de la Santé publique ni le ministère du Commerce n’ont officiellement communiqué sur cette affaire supposée d’importation de marchandises impropres à la consommation. Mais, au ministère du Commerce, l’on affirme que la brigade nationale de contrôle et de répression des fraudes s’est déjà saisie du dossier, et effectue actuellement les recoupements nécessaires.
Mais, bien qu’au sein de ce département ministériel l’on trouve « suspect » que cette cargaison ait été sortie du port un peu « manu militari », avec des documents d’importation tout aussi suspects, selon les termes de la correspondance du préfet, l’on affirme pour l’instant prendre l’affaire avec « de la réserve ». « À l’approche de la période de grande consommation qu’est la fin d’année, cela peut découler d’une simple opération de sabotage d’un concurrent », analyse une source autorisée au Mincommerce.
En attendant, à titre conservatoire, le préfet de l’Océan, lui, a déjà sommé le chef de poste de police sanitaire du port en eau profonde de Kribi de lui « indiquer la destination exacte et les lieux où ces deux mille tonnes de riz ont été acheminées, afin que des mesures appropriées soient prises pour empêcher leur écoulement sur le marché, en attendant que les résultats d’analyses physicochimique, microbiologique et bactériologique soient disponibles ».