Plus de 40 000 personnes avec des matricules acquis frauduleusement percevraient l’argent de l’État grâce à de faux documents. Le régime militaire a initié un toilettage du fichier qui compte 100 000 fonctionnaires déclarés.
Le cas de Louise illustre à lui seul la notion de fonctionnaire fantôme au Gabon. Elle n’a jamais mis les pieds dans son ministère depuis son affectation en 2019. Pour autant, elle a un matricule dans la fonction publique. La jeune dame doit son poste à une charitable haute personnalité de son village qui le lui a obtenu, pour lui permettre de prendre soin de ses deux enfants.
Celle qui se définit comme une »infirmière d’État » a pendant plusieurs années travaillé dans le secteur privé avec un diplôme d’assistante médicale. Un poste grâce auquel elle touchait 150 000 FCFA par mois. Ce salaire était, d’après elle, insuffisant pour joindre les deux bouts.
»Je ne pouvais pas m’en sortir avec mon maigre salaire. J’ai mes deux enfants à charge. Ce poste budgétaire à la fonction publique, ça a été un coup de grâce pour moi ‘‘, confesse-t-elle.
Aujourd’hui, Louise, 39 ans, continue de percevoir son salaire mensuel de 475 000 FCFA à la fonction publique alors qu’elle n’a jamais été recrutée officiellement. Elle fait donc partie des milliers de fonctionnaires fantômes qui profitent d’un système de gestion qui est aujourd’hui remis en question par le nouveau régime.
Des cas comme celui de Louise sont légion dans un pays où il y aurait, selon le ministère de la Fonction publique, près de 41 000 personnes qui percevraient indûment l’argent de l’État. Un mal que les autorités du pays tentent de traiter à la racine.
Selon les chiffres du gouvernement, en 2018, le pays comptait 55 fonctionnaires pour 1 000 habitants. Durant ces dix ans dernières années, la fonction publique gabonaise a subi une cure d’amincissement.
Plus de 683 milliards de FCFA de la masse salariale par rapport à 2018 (710 milliards de FCFA), soit une baisse de 4%, d’après l’actuel ministre de l’Économie, Mays Mouissi, qui juge tout de même insupportable cette charge, au regard des recettes du pays, alors que le plafond autorisé par le Cemac aux États membres est de 35%.
Le profil des fonctionnaires fantômes
Les fonctionnaires fantômes, qui très souvent ne viennent que rarement à leur poste, sont recrutés sur la base de diplômes falsifiés. Il peut aussi s’agir d’un enseignant qui a effectué un voyage sans retour à l’étranger. (selon qui? preuve?)
Ça peut être un médecin, assidu à son poste en clinique privée et invisible à l’hôpital public. Les fonctionnaires fantômes ne travaillent pas là où ils devraient le faire, mais sont chaque fin de mois rémunérés par l’État.
Sur les 100 000 agents publics que compte l’État, il y aurait plus de 20% qui sont donc des fonctionnaires fantômes.
»Les fonctionnaires fictifs, ce sont des personnes qui perçoivent des salaires de la part de l’État sans être fonctionnaires. Elles n’ont pas été recrutées officiellement, mais émargent au budget de l’État. Ces personnes sont soit à la retraite, soit décédées. Certaines ont déserté leurs postes ou ont démissionné, mais continuent de percevoir leurs salaires », explique à TRT Afrika, Claudine Nsi, chargée du recrutement à la fonction publique.
Dans le peloton de tête des ministères rongés par ces fantômes, cette cadre cite l’Éducation Nationale, la Santé publique, les Affaires Étrangères, qui battent tous les records selon elle.
» 5% des fonctionnaires se réclamant de ces ministères sont des fonctionnaires fantômes. Nous comprenons que derrière ce phénomène, il y a une volonté manifeste de détourner les fonds publics », a-t-elle dit à TRT Afrika.
Georges Mpaga, activiste anti-corruption, connaît bien la question. Il explique à TRT Afrika comment ces individus ont fait de l’administration publique leur vache à lait.
» Un tel phénomène ne peut exister depuis des années que grâce à la complicité de certains agents chargés de la gestion du personnel et leurs supérieurs hiérarchiques. Le système Bongo a mis au point des stratégies de corruption pour faire percevoir de l’argent à des personnes qui ne travaillent pas et dont le supérieur hiérarchique peut couvrir l’absence. Les numéros de matricule de personnes décédées se retrouvent ainsi attribués à des personnes fictives avec des noms et comptes sur lesquels les salaires sont virés », explique l’activiste.