Alors que le conflit russo-ukrainien a révélé l’ampleur de la dépendance du continent aux importations de blé, des alternatives existent pour inverser la tendance.
L’utilisation des farines locales issues de céréales, de légumineuses, de tubercules ou encore de certains fruits comme la banane plantain constitue la voie la plus judicieuse pour réduire la dépendance de l’Afrique au blé importé, souligne un rapport publié le 3 novembre par Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels.
Intitulé « Comment l’Afrique peut se passer du blé importé », le rapport rappelle que le blé est devenu la seconde céréale la plus consommée en Afrique, derrière le maïs. Sa consommation a progressé à un rythme annuel de 2% entre 2013 et 2021 contre une moyenne mondiale de 1,6%.
Le volume de blé absorbé par le continent a ainsi augmenté de plus de 10 millions de tonnes sur cette période, passant d’environ 69 millions de tonnes à 80 millions de tonnes, soit 10% de la consommation mondiale.
La demande est tirée par l’Afrique du Nord, où le blé représente plus de 60% de la consommation humaine de céréales. Sous l’impulsion de l’Egypte, l’Algérie et le Maroc, les trois plus gros consommateurs du continent, la région a absorbé 47 millions de tonnes de la céréale en 2021/2022, soit quasiment 60% du stock total du continent.
La consommation est cependant sur une courbe ascendante en Afrique subsaharienne avec les changements des habitudes alimentaires, la hausse de la croissance économique et l’urbanisation. Le blé occupe actuellement la seconde place dans le classement des principales graminées consommées en Afrique du Sud, au Kenya et en Ethiopie, derrière le maïs.
L’essentiel de la demande africaine est satisfait par des importations massives. Le continent est aujourd’hui dépendant à hauteur de près de 60% des approvisionnements extérieurs en blé, ce qui en fait la première zone d’importation mondiale avec plus de 50 millions de tonnes chaque année. De ce fait, le blé est devenu le premier produit alimentaire acheté par l’Afrique sur le marché mondial avec une enveloppe annuelle de 11,6 milliards de dollars déboursée en moyenne sur la période 2018-2020, principalement au profit des pays de la mer Noire, de l’Union européenne, des États-Unis et du Canada.
Deux options pour réduire la facture des importations
D’un point de vue géographique, c’est en Afrique subsaharienne que la dépendance au blé importé est la plus prononcée. Contrairement à l’Afrique du Nord où le blé est une céréale historique bien ancrée dans les traditions agricoles, peu de pays situés au sud du Sahara disposent des attributs biophysiques (climat et sol) nécessaires pour produire du blé à un prix compétitif.
Alors que la consommation africaine de blé devrait encore croître sur la prochaine décennie avec l’augmentation de la population et l’urbanisation galopante, le rapport indique que le continent dispose de deux options pour réduire ses importations de cette denrée de base.
Il s’agit en premier lieu d’une hausse durable de la production locale du blé, ce qui requiert des investissements massifs pour assurer une croissance des rendements et des superficies cultivées, dans la perspective d’une intensification à travers l’utilisation d’intrants, de meilleures pratiques agricoles, l’accès à des variétés résistantes et l’adoption de nouvelles technologies. Ce scénario reste cependant très optimiste, en raison du faible potentiel d’augmentation de la production en Afrique subsaharienne découlant de contraintes naturelles et de facteurs structurels, comme les investissements publics limités dans la filière. En Afrique du Nord, l’augmentation de la production se heurte principalement au manque de terres arables et à la hausse fréquence des sécheresses dans un contexte de changement climatique.
La deuxième option pour l’Afrique, en particulier pour la zone subsaharienne, reste la substitution du blé importé non pas avec un blé qui serait produit localement, mais plutôt par des farines produites à base de denrées locales comme les tubercules (manioc), les céréales dites indigènes (sorgho, le mil, fonio etc.), les légumineuses (niébé) ou encore des fruits tels que la banane plantain. Pouvant être mélangés avec la farine de blé commerciale pour former des farines composites utilisées en boulangerie artisanale ou semi-industrielle, ces produits alimentaires ont été de tout temps la base de l’alimentation des populations africaines. Ils bénéficient en outre de prix moins volatils et présentent un profil nutritionnel plus intéressant que le blé grâce à l’apport en protéines, en vitamines, en fer et en fibres, du pain qui peut résulter de leur utilisation en de différentes proportions.
Plusieurs défis restent à relever
Bien que la valorisation des farines locales en panification ne soit pas récente sur le continent, les initiatives émanant des gouvernements et du secteur privé se multiplient dans certains pays, dont le Nigeria, la RDC et le Burkina Faso, depuis la flambée des cours du blé provoquée par la guerre en Ukraine.
Le rapport souligne cependant que le développement à grande échelle de l’usage des farines locales dans la filière meunerie-boulangerie se heurte à plusieurs obstacles, dont l’absence d’une véritable volonté de la part des gouvernements qui continuent à appliquer des taxes faibles sur les importations de blé ainsi que la réticence des meuniers et des consommateurs face à l’incorporation des farines locales dans la composition de mélanges composites destinés à l’industrie.
L’incorporation des farines issues de certains produits peut également créer de nombreux conflits au niveau de l’usage surtout quand les besoins humains ne sont pas déjà satisfaits par la production. C’est le cas par exemple de la banane plantain. Dans certains pays d’Afrique de l’Ouest ou du Centre, le fruit occupe une place non négligeable et fait partie intégrante des rations alimentaires, alors que les quantités produites annuellement ne suffisent qu’à satisfaire la moitié des besoins.
D’autre part, l’intégration des farines locales provoque une résistance de la part du lobby des minotiers industriels dans certains pays où les principaux minotiers sont aussi engagés directement dans l’importation du blé.
A cela s’ajoutent la faiblesse de l’accompagnent techniques des acteurs impliqués dans la fabrication des farines composites et l’instabilité de l’offre de certains produits de base qui peuvent être transformés en farines. En 1979, par exemple, quand le gouvernement du Sénégal avait décidé de rendre obligatoire l’incorporation du mil dans le pain, l’arrêté ministériel a été suspendu moins d’une semaine plus tard, en raison d’une pénurie de cette céréale indigène. Au Nigeria, de nombreuses études indiquent que les agriculteurs n’ont pas pu répondre à la demande de farine de manioc de haute qualité (FMHQ) émanant du secteur de la boulangerie pour satisfaire à la politique d’incorporation de 10% du gouvernement.