Pas de malentendu : nous ne faisons pas ici l’apologie de la brutalité en amour. Mais avant d’être une forme de communication, la sexualité est une pulsion. Sauvage, animale. Qui gagne parfois à être sollicitée.
Trois idées clés à retenir
Aujourd’hui, l’agressivité fait peur…
…Pourtant, elle est une composante essentielle de la sexualité.
Dans une relation reposant sur le respect, on est libre de la libérer.
Avant sa rencontre avec Louis, Véronique, 33 ans, avait, selon ses mots, « une sexualité basse tension ». Comme si une part d’elle était en sommeil : « Je sentais en moi une énergie immense, mais je n’en utilisais qu’une petite partie. J’avais du plaisir, je savais en donner, mais c’était plat. Avec Louis, ç’a été tout de suite autre chose, nous avons fait l’amour avec une intensité inouïe. C’était comme si nos corps avaient été affamés et qu’ils pouvaient enfin se nourrir à profusion. Je ne m’étais jamais sentie aussi femme – j’allais dire femelle –, ni aussi puissante. »
Wild sex, c’est de façon que les Anglo-Saxons appellent les relations sexuelles instinctives, « sauvages », celles qui nous rappellent qu’avant d’être une forme de communication, la sexualité est d’abord une pulsion. Envahissante, brutale et primaire, elle exige son dû de jouissance en réveillant la part animale qui sommeille en chacun.
« Aujourd’hui, lorsque l’on évoque les conditions d’une sexualité satisfaisante, on a un peu trop tendance à ne mettre l’accent que sur la tendresse et l’intimité, en oubliant une composante essentielle : l’agressivité, constate Brigitte Martel, psychothérapeute. Si le mot “agressivité” a une connotation négative, c’est parce qu’on en fait, dans le langage courant, un synonyme de violence. La violence est toujours alimentée par un sentiment d’impuissance ou de toute-puissance, où l’autre est soit vécu comme un ennemi qu’il faut détruire, soit réduit à un objet que l’on peut utiliser à sa guise.
L’agressivité, au contraire, part d’un sentiment de puissance personnelle, c’est-à-dire de la conscience de ses capacités, qui fait que l’autre est reconnu comme un sujet à part entière, un égal. La saine agressivité est une énergie qui favorise le contact, la rencontre intime et l’échange. Elle est l’expression première de l’énergie vitale, sans elle le désir ne peut pas se maintenir. » Et de rappeler que Fritz Perls, le fondateur de la gestalt-thérapie, donne à l’agressivité une place centrale dans la croissance de la personne.« Pour comprendre à quel point cette notion est essentielle, il utilise la métaphore de la nourriture : pour s’alimenter, l’homme doit agresser l’aliment, il le mord, il le mâche afin de prendre les substances nécessaires à la croissance. Dans le domaine de la sexualité, l’agressivité pousse à aller prendre chez l’autre ce qui est nécessaire à la satisfaction de ses besoins dans le respect du cadre de la relation. »
Des fantasmes à assumer
Le secret d’une sexualité épanouissante résiderait donc dans la bonne gestion de l’agressivité. Si elle est inhibée, elle affadit la relation sexuelle et génère des frustrations ; si elle est excessive, elle se transforme en violence. Pour trouver le bon équilibre, il est nécessaire, pour les hommes comme pour les femmes, de se connecter à ses désirs profonds et, dans un premier temps, de reconnaître et d’accepter ses fantasmes. Ceux-ci créent une énergie qui alimente le désir et libère le corps. « Trop de gens ont peur de leurs fantasmes et les refoulent, car ils portent sur eux un jugement moral, explique Brigitte Martel. Je reçois des hommes et des femmes paniqués d’avoir des fantasmes de viol. Mon travail consiste à les aider à faire la différence entre fantasme et passage à l’acte. Dans une relation cadrée, basée sur le respect et la complicité, on se sert de ses fantasmes pour libérer sa bonne agressivité. »
Annelise, 39 ans, reconnaît avoir mis du temps à admettre qu’avoir du plaisir avec un homme « très actif, voire dominateur » ne faisait pas d’elle une femme soumise. « Dans ma vie professionnelle, je gère une équipe de dix personnes, je suis “chef”, mais au lit, j’aime être dominée. C’est très politiquement incorrect, mais j’aime être l’objet sexuel de mon homme. » Simon, 36 ans, a trouvé avec sa compagne Elodie le « cocktail sexuel parfait ». « On peut passer trois heures à faire l’amour de manière très lente, très sensuelle, en se parlant, en se faisant des petits scénarios, comme on peut juste assouvir la pulsion du moment de manière très primaire. »
Pulsion, domination, soumission… le discours dominant sur la sexualité fait aujourd’hui l’impasse sur ces termes, comme si la seule sexualité acceptable était une sexualité policée, totalement débarrassée de sa composante animale. « C’est oublier que nous sommes des prédateurs. La sexualité a à voir avec l’instinct de survie, et le rapport de force est inhérent au rapport sexuel », avance la sexologue Mireille Dubois-Chevallier. Si l’on a aujourd’hui tendance à refouler la dimension agressive de la sexualité, c’est avant tout parce qu’elle a été pendant des siècles synonyme d’oppression pour les femmes. Il a fallu en passer par la révolution sexuelle, féministe, pour qu’elles puissent enfin faire entendre leur voix et leur droit au plaisir.
Hommes : une masculinité à se réapproprier
Si cette liberté est heureusement aujourd’hui acquise, l’onde de choc provoquée par le bouleversement des rôles continue à déstabiliser les hommes. « Ils ont du mal à se situer dans leur masculinité, à gérer leur puissance sexuelle, constate ainsi le psychanalyste Didier Dumas, auteur de Et si nous n’avions toujours rien compris à la sexualité ? (Albin Michel, 2004).
Ou ils l’inhibent et se comportent en “petits garçons” désireux de combler leur partenaire sans l’effrayer. Ou bien encore ils se laissent guider par leur pulsion, ne recherchent que leur satisfaction et sont sexuellement violents. Seule une femme qui sait dire le plaisir que lui procure le sexe de son partenaire peut l’aider à vivre sa virilité, sans inhibition ni violence. »
Nombreux sont les sexologues à le constater : la grande majorité des hommes qu’ils reçoivent en consultation se sentent prisonniers d’une double exigence féminine qu’ils ne savent pas comment satisfaire. « Les femmes veulent un partenaire dans la vie quotidienne, mais sexuellement, elles désirent un homme entreprenant et puissant, mâle, explique Mireille Dubois-Chevallier. Les hommes se plaignent de cette double demande alors qu’ils devraient y voir une possibilité de vivre leur masculinité de manière plus riche. C’est à leur tour de développer une parole revendicative, d’exprimer leurs désirs et leurs besoins sexuels, sans se fondre dans ceux des femmes ni retomber dans les anciens schémas masculins. »
Une animalité à libérer
Pour que l’agressivité sexuelle puisse s’exprimer librement chez chacun, encore faut-il lui faire de la place. Sylvie, 39 ans, s’est rendu compte au cours d’une psychothérapie que tout en se pensant « sexuellement libérée », elle avait repris à son compte, plus ou moins consciemment, des croyances qui l’empêchaient de s’abandonner vraiment.
« Plusieurs fois, je me suis entendue dire à mon thérapeute, lorsque nous parlions de sexualité : “On n’est pas des animaux.” J’ai réalisé que je n’étais pas très à l’aise avec les bruits et les odeurs du corps, avec le côté pulsionnel de la sexualité. Avec des amants de passage, je pouvais me laisser vraiment aller, mais avec un partenaire régulier, c’est comme s’il fallait que je garde le contrôle et une certaine tenue. »
Or, une bonne gestion de son agressivité exige que l’on reconnaisse et accepte ses pulsions primaires. « Il faut se les approprier, explique Mireille Dubois-Chevallier. Une mauvaise agressivité est soit subie soit dominatrice. Apprivoisée, elle cesse d’être une arme pour devenir un outil du désir et du plaisir. »
A l’heure où l’on fait la promotion de mille et une techniques pour relancer le désir et pimenter les relations sexuelles, il est peut-être temps de redonner à l’agressivité sexuelle la place qu’elle mérite en la considérant comme le plus naturel et le plus puissant des aphrodisiaques.
Tout ce qui inhibe l’agressivité sexuelle
C’est une énergie qui ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Mais pour bénéficier de son effet « booster », il faut d’abord repérer en soi tout ce qui la bride.
Les croyances limitatives
Pour les identifier, il suffit de se poser la question : « Qu’est-ce que je ne m’autorise pas à faire (à être, à demander ou à refuser) et pourquoi ? » Nos croyances limitatives peuvent être issues de notre histoire personnelle (« L’homme doit être actif », « Cette position est dégradante pour une femme »), mais elles peuvent aussi être alimentées par le discours ambiant sur la sexualité (« Pour être sexuellement libéré, on doit expérimenter toute la gamme des pratiques érotiques », « Une bonne fréquence
sexuelle implique au moins trois rapports par semaine »).
Les conflits souterrains
La colère et les reproches refoulés sont, dans le couple, des poisons qui pervertissent la relation sexuelle. Cette (mauvaise) agressivité, libérée ou contenue, fait obstacle
à une vraie rencontre intime.
Un corps sous contrôle
Lorsque le mental est aux commandes, le corps se tend et se ferme, bloquant la circulation de l’énergie sexuelle. Complexes physiques, anxiété de performance et incapacité à lâcher prise, physiquement et émotionnellement, sont les principaux inhibiteurs de l’agressivité sexuelle.
Exercice à faire à deux
Aux couples qui ont des difficultés à exprimer leurs désirs profonds, la psychothérapeute Brigitte Martel propose un jeu de rôle.
« Chacun à son tour dispose d’une soirée au cours de laquelle il demande à son partenaire de satisfaire ses désirs. Ce scénario permet non seulement de casser la routine, mais aussi de prendre le temps d’explorer son imaginaire fantasmatique et de le faire découvrir à l’autre. Les jeux sexuels permettent au couple de ne pas rester enfermé dans la frustration ou le reproche. En créant dans la relation sexuelle un espace de jeu, on se donne les moyens de s’exprimer sans censure, et donc de libérer
sa saine agressivité. »
psychologies.com
Les gestes brutaux témoignent de la force de la pulsion sexuelle. Mais attention à ne pas aller trop loin.
« Une symbiose entre les deux partenaires »
Dans le feu de l’action, il est parfois difficile de réprimer nos ardeurs. Sans même y réfléchir, nous pinçons, mordons ou griffons notre partenaire. « Ces gestes s’imposent d’eux-mêmes avant tout parce qu’ils sont agréables, voluptueux », avance Philippe Brenot, psychiatre, directeur des enseignements de sexologie à l’université Paris-Descartes.
Il est alors facile de penser que s’abandonner à la brutalité est la preuve d’un penchant sado-maso. « Il y a une nuance importante, tempère Marie-Line Urbain, sexologue. Dans la sexualité SM, la jouissance est conditionnée à la souffrance qu’un dominant impose à un dominé. Il y a une intellectualisation de la sexualité. A l’inverse, les gestes brutaux sont spontanés. Ils ne font pas partie d’un dispositif clairement énoncé mais sont l’expression de la symbiose entre les deux partenaires. »
Des pulsions violentes par nature
Bien loin de la rationalisation poussée à son paroxysme de la sexualité SM, se jeter sur notre partenaire témoigne de la force brute du désir. Point de réflexion ici mais une expérimentation avide, impérieuse. Au lieu de maîtriser soigneusement nos faits et gestes, nous nous abandonnons à nos pulsions. « Elles sont violentes par nature, appuie Philippe Brenot. Dans un autre domaine, on constate que lorsque l’on a très faim, on se jette sur la nourriture, on dévore. »
Pour être au plus près possible de notre partenaire, nous le « maltraitons ». Nos gestes agressifs révèlent la nature primitive et profondément archaïque du rapport sexuel. « On peut parler d »agressivité saine’, reprend Marie-Line Urbain. Marquer ainsi son territoire sur le corps de l’autre prouve également notre besoin de sécurité. Nous nous agrippons à lui comme un enfant à sa mère. » Comme dans notre petite enfance, nous exprimons corporellement notre besoin de fusion. Nous cherchons à incorporer l’autre, à l’absorber.
« Renouer avec cette part animale en nous »
« On apprend au cours de notre vie à maîtriser nos envies, à les canaliser. C’est évidemment une bonne chose, affirme Philippe Brenot. Mais la sexualité est l’espace dans lequel on peut renouer avec cette part animale en nous. Elle nous permet de nous abstraire momentanément de la sphère sociale. »
Jongler entre personnalité dans et en dehors du lit n’est pas facile pour tout le monde. Certains couples peinent à trouver leur rythme de croisière, entre vie sexuelle débridée et vie sociale bien réglée. Ils s’entendent bien, sont amoureux, font des projets d’avenir mais ne parviennent pas à se lâcher complètement dans leur vie sexuelle.
Des rapports sexuels policés
« Certaines personnes craignent de faire peur à leur partenaire en ayant des gestes brutaux, explique Philippe Brenot. Ils les associent à un manque de respect, d’amour. Ils préfèrent museler leurs élans plutôt que de se heurter à l’incompréhension. La conséquence, ce sont des rapports sexuels policés, façonnés par les normes sociales. » Entre appréhensions et craintes du jugement, leur sexualité s’éteint progressivement. L’énergie ne circule plus entre les deux partenaires.
« A chaque fois que je suis installée dans une vraie histoire, j’arrête tout net de mordre, confie Fanny. Comme si je ne m’autorisais à laisser parler cette part de moi qu’avec des amants de passage, des personnes qui ne représentent rien pour moi. Dans ce contexte, je suis plus libérée, je n’ai pas peur du jugement. La première fois que j’ai couché avec mon partenaire actuel, je l’ai mordu. Il l’a très mal pris et m’a vertement remise à ma place en disant que je lui avais fait mal. Je ne me suis plus jamais laissée aller. »
« Je me suis sentie humiliée »
Laisser s’exprimer son envie de sexe sauvage ne doit pas faire oublier qu’il ne faut pas outrepasser les frontières érigées par son partenaire. Mieux vaut donc y aller progressivement, intensifier ses gestes petit à petit plutôt que de griffer ou mordre avec férocité.
Le contraire risque d’entraîner les amants bien loin des rives du plaisir. Coralie se souvient d’un autre épisode avec le partenaire qui lui avait donné tant de plaisir la première fois. « Je savais qu’il avait un côté jusqu’au-boutiste. Un jour, il est allé trop loin. Il m’a pincé les seins, donné des tapes sur les fesses sans retenue. J’étais un peu plus vulnérable à ce moment-là. Si douleur physique était largement supportable, ses gestes dénués d’empathie m’ont rappelé âprement mon statut de ‘plan cul’. Je me suis sentie profondément humiliée. De sujet actif, partie prenante d’une relation sexuelle débridée, je suis passée à ’bout de viande’ en un instant », se souvient la jeune femme.
Ajuster ses envies à celles de son partenaire
« Tout l’enjeu de la personnalité d’adulte, c’est de contrôler le degré de liberté que l’on s’octroie, répond Philippe Brenot. C’est un chemin qui prend toute une vie. Malheureusement, certaines personnes vont trop loin. Ils ne sont pas réceptifs au ressenti de l’autre. Il est toujours délicat de tracer une ligne rouge ou de donner des leçons car chaque cas est différent. Reste, qu’il faut être attentif au contexte et à son partenaire. La vigilance paye : elle permet de s’abandonner pleinement, d’être libre avec l’autre. »
Échaudée et vexée par l’attitude de son amant, Coralie a fini par dire stop en plein acte. « Il ne m’en a pas voulu et de mon côté, je n’en ai pas fait un drame. Je pense qu’il faut savoir accepter les ratés de la sexualité sans tout remettre en question au moindre couac. » Elle a revu le jeune homme deux fois après cela. « Sa manière de faire l’amour m’a fait réfléchir. Cela m’a encouragée à davantage écouter mes envies. »
Apprendre à être centré sur soi
Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est bien cet égocentrisme que préconise Marie-Line Urbain. Il ne s’agit pas d’oublier les envies de son partenaire mais de se concentrer sur son ressenti, sans être dans l’auto-analyse permanente.
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« Les gens se posent trop de questions, résume la spécialiste. Ils se mettent des freins et s’auto-censurent. A force de s’interdire le moindre geste, on crée plus de problèmes qu’autre chose. La sexualité fonctionne mieux quand on est centré sur soi, quand on se laisse aller. Il faut être un peu plus narcissique! », conclut-elle.