À Dagana, ancienne capitale du Walo, Ndatté Yalla Mbodj ou Ndete Yalla, héroïne de la résistance coloniale, disparue en 1860, est toujours présente. Une grande statuette en bronze est érigée en face de la préfecture, sise au quartier Ndeugueum. Cette architecture fait l’objet de convoitise des visiteurs…
Il est 14 heures lorsque l’équipe du Soleil arrive à Dagana, sous une chaleur accablante. Ce lundi 4 septembre 2023, jour de Magal de Touba, les rues propres sont désertes. Les Daganois ont sans doute répondu à l’appel de Cheikh Ahmadou Bamba. À l’image des autres Sénégalais issus d’autres horizons, la plupart des habitants sont partis pour le grand Magal. Après un petit tour dans la ville avec ses habitations modernes, nous arrivons au quartier Ndeugueum. Les commerces et plusieurs maisons situés le long de la route principale sont fermés.
Devant la Préfecture, une présence s’impose. Celle de Ndatté Yalla Mbodj. Sa statue est érigée sur la place éponyme. L’image est la représentation de la photo prise par Abbé David Boilat, le 2 septembre 1850. Cette héroïne du Walo qui a su tenir tête aux colons est assise sur une sorte de lit en bambou, avec sa longue d’honneur de pipe à la bouche. Sa pipe qu’elle a retrouvée (elle était cassée et réparée) contraste avec le reste de la statue dont la couleur bronze a subi l’usure du temps. Il est terni et devenu gris sur certaines parties. Même la couleur rouge s’y est invitée. Sœur de Ndjeumbeut Mbodj, la dernière souveraine du Waalo a été intronisée reine, à Nder, le 1er octobre 1846, après la disparition de sa frangine aînée, suite à une maladie pulmonaire. Malgré son statut de femme, elle a régné en véritable « Brack », nom donné aux souverains du Walo.
Parcours d’une reine-chef de guerre
La cheffe de guerre a opposé une farouche résistance aux colons français et achève le processus du contrôle du pouvoir initié par les « Linguère », dès le 17e siècle. Car, à partir de 1846, le nom de Ndatté Yalla a commencé à figurer sur les accords et actes officiels signés entre le Walo et les Français. Auparavant, il n’y avait que la signature des hommes. Et à travers toutes ces correspondances adressées à la colonie, elle ne cessait de réaffirmer sa volonté de défendre sa souveraineté sur toute l’étendue du Walo.
En 1847, elle impose un blocus autour de l’île de Saint-Louis et revendique ses droits sur les îles de Boyo et de Sor. « Nous vous prévenons aussi que nous n’avons vendu l’île de Sor à personne et que nous n’avons pas l’intention de la vendre. On aurait dit que les gens du Sénégal y ont établi des lougans sans nous demander et sans notre consentement, nous vous demandons des explications à cet égard », écrit-elle dans une de ses lettres référencées aux archives nationales du Sénégal. C’est la lettre n°95 parvenue au Gouverneur de Saint-Louis le 27 février 1851.
Elle revient à la charge dans une autre correspondance en date du 23 mai de la même année. « Le but de cette lettre est de vous faire savoir que l’île de Boyo m’appartient depuis mon grand-père jusqu’à moi, aujourd’hui. Il n’y a personne qui puisse dire que ce pays lui appartient, il est à moi seule. Je n’ai pas vendu ce terrain à personne, je ne l’ai confié à personne ni à aucun blanc ».
Désobéissance civile
Le 5 novembre 1850, elle interdit tout commerce dans les marigots de sa dépendance. Au-delà de défendre sa souveraineté, Ndatté Yalla n’avait cure des menaces du Gouverneur. Elle continue les pillages autour de Saint-Louis et refuse de rembourser les dommages commis comme le réclamaient les Français. Avec cette mesure, la guerre devenait inévitable, car les Français voulaient assurer la sécurité de leur commerce dans la vallée du fleuve. C’est dire que c’est le début du déclin.
Car, outre les Français et les menaces grandissantes aux frontières du Walo, à l’intérieur du royaume, la « Linguère » devait faire face à l’hostilité des chefs de province, notamment les « kangam » qui voyaient d’un mauvais œil le pouvoir grandissant de l’étranger, notamment le mari de la reine, appelé le Maarosso.
Avec l’arrivée de Faidherbe en 1854, le Walo va être le premier à subir les coups de la politique de conquête du Sénégal. Le 5 février 1855, Faidherbe déclencha la bataille et les troupes du Walo seront finalement battues le 25 février 1855 par la puissance technologique de l’ennemi.
Le Gouverneur Faidherbe partit de Saint-Louis avec une colonne de 1.100 hommes pour atteindre le 25 février les environs de Nder où il bâtit les troupes de la Linguère Ndatté Yalla. La capitale Nder fut prise et brûlée ainsi que plus de 40 villages, dont Ndombo, Thiago, et Mbilor. Plus de 100 résistants walo-walo furent tués et près de 150 faits prisonniers. La Reine et ses partisans s’exilèrent à Ndimb, à la frontière du Walo avec la province du Ndiambour.
Cependant, même si elle fait partie du quotidien des Daganois, par sa présence, Ndatté Yalla Mbodj que la sociologue Fatou Sow Sarr considère comme « le symbole de l’égalité et de l’équité du genre au Sénégal », est-elle connue par l’actuelle génération ?