La capitale sénégalaise a accueilli, du 9 au 11 février 2023, la 4e édition du Dakar music expo (Dmx) sous le thème « La digitalisation de l’industrie musicale ». Dans cet entretien accordé au journal Le Soleil, le chanteur, producteur, présentateur d’émission sur Radio France internationale et France 24, Claudy Siar, revient sur les enjeux qui entourent le monde de la musique en Afrique.
Entretien réalisé par E. Massiga FAYE
L’actualité des musiques africaines, c’est la tenue de la 4e édition du Dakar music expo (Dmx). Quel sens donnez-vous à ce rendez-vous inscrit dans l’agenda culturel du continent ?
Il y a des femmes et des hommes qui sont rompus au monde de la culture et pour qui un festival est un festival. Le Dmx n’est pas un festival comme les autres. C’est un évènement bicéphale avec cette dimension où les artistes se produisent sur scène et ce volet rythmé par des rencontres professionnelles. Ce sont des gens qui sont dans l’encadrement des artistes qui n’ont pas forcément tous les rudiments de la commercialisation et de l’accompagnement des créateurs établis sur le continent. Ces artistes ont besoin de l’expérience de personnes venues d’ailleurs et qui sont plus aguerries à la digitalisation. La participation aux ateliers ne signifie pas qu’ils sont plus performants que les autres dans tel ou tel domaine. Le principal, c’est de dire voilà mon expérience, voilà ce que je peux vous apporter, comment conjuguer nos talents, créer des réseaux pour être plus performant. Il en va de l’avenir de nos musiques. Il n’y a pas de crise en termes de création musicale. En revanche, il y a un déficit de plus en plus criant dans le domaine de la commercialisation de nos musiques.
Comment est-ce qu’on fait pour aller beaucoup plus loin ?
Pour moi, la culture, c’est l’identité. Aujourd’hui, il est essentiel pour nous de valoriser nos identités. C’est redonner de la dignité à nos populations. Et on est dans l’estime de soi. Nous sommes des peuples qui avons subi l’oppression depuis des siècles. Dans la façon dont certains abordent nos cultures, la manière dont nous-mêmes nous nous présentons culturellement, nous ne mesurons pas l’importance de valoriser nos patrimoines musicaux. Et surtout de valoriser nos artistes en leur permettant d’être plus pertinents sur le marché international de la musique.
Des professionnels et personnalités de la musique ont fini de donner un cachet international au Dakar music expo (Dmx)…
Lorsque l’on sait qu’on est dans un cadre où il y a des rencontres professionnelles, des prestations musicales, on a une attention particulière quand on va voir un artiste programmé au Dmx. On n’attend pas du Dakar music expo qu’il nous offre l’artiste à la mode sur la scène. On a envie de voir des artistes vrais, sincères. C’est cela qui fait la force de ce festival.
Avec tout le chemin parcouru, avec autant de présence sur la scène mondiale, peut-on avancer que l’Afrique s’est alignée sur les standards mondiaux ?
Non seulement l’Afrique est désormais dans les standards internationaux, mais je voudrais qu’elle aille beaucoup plus loin. Je ne veux pas qu’elle soit juste dans une logique : on doit rattraper un temps perdu et être dans le peloton avec les autres. J’ai envie que le continent imagine autre chose, une autre course, un autre peloton. Parce que nous sommes des peuples différents, nos identités ont été lacérées, laminées depuis longtemps. Nous ne serons jamais ce que nous aurions pu être s’il n’y avait pas l’esclavage, la colonisation. L’idée, ce n’est pas d’essayer de revenir en arrière. On essaie d’inventer, d’imaginer autre chose avec d’autres avec leur maîtrise, leur savoir-faire. Aujourd’hui, la réalité est qu’il n’y a plus de grandes maisons de disque africaines. Les deux grands du secteur à l’international que sont Universal et Sony prennent le marché. Je n’ai rien contre. Mais si on permet qu’il n’y ait que ça, au fil du temps, ces maisons de disques vont formater nos musiques. Si elles les formatent, on en revient au même carcan néocolonial. Parce que ce sont des volontés venues d’ailleurs qui vont régir nos musiques et la façon dont elles seront commercialisées.
Cela aura forcément un impact sur la création…
On doit éviter cela. Politiquement, c’est préjudiciable à l’Afrique. Si le panafricanisme politique met du temps à se concrétiser, le panafricanisme culturel existe. On ne va pas le tuer celui-là. On va essayer de lui donner une chance de perdurer et d’être un exemple pour d’autres domaines de la vie des êtres humains.
Sur la même ligne, est-il permis de dire qu’il existe une industrie musicale sur le continent ? Qui dit industrie, dit marché…
On sait qui fait quoi. Le fait-il bien ? C’est pour cela que le Dmx est important. Si les choses étaient bien faites, le Dmx n’aurait pas sa raison d’être ou bien son orientation serait différente. Le marché existe mais il n’est pas structuré. J’ai pensé qu’avec les maisons de disque, il y avait une professionnalisation qui s’était faite parce qu’il existe des professionnels. Tout cela s’est délité avec la fin des maisons de disque. Forcément, il y a des intermédiaires, des interlocuteurs qui n’existent plus.
Et cela se déteint sur l’écosystème…
Totalement. Je ne crois pas que les artistes ne sont pas influencés lorsqu’ils savent qu’ils seront signés chez Sony ou Universal. Ce que l’on appelle l’afrobeat aujourd’hui, on ne sait plus qu’est-ce que c’est réellement. Est-ce que ce n’est pas quelque chose que l’on fabrique pour vendre ? On fabrique de la musique pour vendre de la musique. Forcément, le créateur se dit il faut que je fasse comme cela pour vendre. Est-ce que cette logique commerciale est bénéfique ou préjudiciable à plus ou moins long terme ?
Le thème de cette 4e édition du Dmx portait sur « La digitalisation de l’industrie musicale ». Comment les artistes africains peuvent profiter des plateformes de streaming ?
Je pense que l’Afrique peut tirer profit de cela. Parce que ces plateformes, nous permettent de sauter quelques étapes. Je crois que cela ne sera réellement bénéfique que si cette nouvelle technologie est contrôlée par les Africains. Qui peut imaginer que le marché musical d’Europe occidentale soit contrôlé par des structures chinoises ? Qui peut penser à un moment donné qu’il n’y ait pas une influence sur la création musicale ? C’est une évidence. L’enjeu de souveraineté est prégnant. L’indépendance commence par la culture.
Cette dimension a été longtemps évoquée par Cheikh Anta Diop…
Tout le combat de Cheikh Anta Diop, c’était pour réparer des identités piétinées par l’histoire. À juste titre, il disait « Armez-vous de connaissance et de science ». C’était aussi pour rétablir des vérités afin qu’elles soient partagées au plus grand nombre. À ces peuples qui ont été oppressés, dominés par l’Occident colonial, esclavagistes, il est essentiel d’apporter sa réflexion en se disant : qu’est-ce que je fais de ma culture aujourd’hui ? Je la livre aux autres pour qu’il la commercialise et que culturellement, je sois prisonnier ? Je ne suis pas contre ces grandes maisons de disque. Je ne suis pas dans le repli identitaire. Je suis pour une pluralité dans laquelle les artistes ont la possibilité de choisir. Cela permet à la production africaine de rivaliser avec les autres. Le but, c’est d’aller plus loin. Pour cela, avec les politiques publiques, il s’agira de réfléchir et d’agir autrement.