Directeur général de la Lonase (Loterie nationale sénégalaise), Lat Diop évoque dans cet entretien la situation du pays, sans langue de bois. Pour le responsable de l’Apr à Guédiawaye, Ousmane Sonko est le principal responsable de la violence notée dans le pays, et doit être poursuivi pour appel à l’insurrection.
Le verdict du procès Ousmane Sonko-Adji Sarr a été rendu, et Sonko condamné à deux ans de prison, quel commentaire en faites-vous ?
Je dois préciser que je suis un diplômé en droit, et de ce point de vue, je peux dire que la requalification d’un crime en délit est une pratique usuelle dans les tribunaux. Donc pour moi, il n’y a rien de surprenant. La justice est rendue au nom du peuple, et elle est opposable à tout le monde, et je pense qu’il appartient à qui de droit de prendre toutes les dispositions nécessaires pour que cette peine soit appliquée. Pour moi, il n’est pas question de revenir sur ça, pas de négociations ou de dialogue sur ce point, parce qu’il y va de la stabilité et de la crédibilité de l’Etat de droit qui nous sécurise tous. Je considère que cette affaire est derrière nous, Ousmane Sonko a été accusé, jugé et condamné, la justice doit continuer à faire son travail.
Ne pensez-vous pas qu’il y a une injustice contre lui, vu que le viol dont il a été accusé n’a pas été prouvé ?
Je ne pense pas non, tous les jours, on voit devant les tribunaux des personnes poursuivies pour crime ou assassinat et qui, à l’arrivée, sont condamnées pour coups et blessures par exemple, ce sont des pratiques usuelles. Et Ousmane Sonko est un citoyen et un justiciable comme les autres. Pour moi, il n’y a rien d’extraordinaire, certains sont peut-être déçus par ce verdict, mais j’estime que ce procès est la preuve que le pouvoir n’a pas une mainmise sur la justice comme on le suppose. Beaucoup de gens auraient peut-être souhaité que Sonko soit condamné pour les faits de viol, mais le juge en a décidé autrement, de manière tout à fait souveraine et libre. Donc nous ne pouvons que nous en tenir à cette décision de justice qui, à mon avis, doit être exécutée. Parce qu’il n’est pas permis à qui que ce soit de négocier l’application de cette décision de justice, il faut l’appliquer de façon absolue tel que décidé par la justice, au nom du peuple.
A votre avis, pourquoi jusqu’à présent, la décision n’est pas encore exécutée, n’est-ce pas un signe de faiblesse de la part de l’Etat ?
Non il y a peut-être des critères ou des points de droit que je ne maîtrise pas. Il appartient à ceux qui doivent exécuter cette décision d’apprécier, mais dans tous les cas Ousmane Sonko devra être arrêté. S’il n’est pas arrêté, on peut ouvrir les prisons et que les gens ne soient plus poursuivis pour rien du tout. Parce qu’il est un citoyen et un justiciable comme tous les autres. Il ne peut pas passer entre les mailles du filet. Et à part ces faits de viol, je pense que Sonko doit répondre de toute cette tuerie au Sénégal, tous ces saccages et destruction de biens privés et publics, il en est le principal auteur, et les faits sont constants. Sonko a toujours appelé au gatsa-gatsa, à la confrontation, au soulèvement, à l’insurrection, et il doit répondre de ces délits. Aujourd’hui, une nouvelle procédure doit être ouverte contre Sonko pour appel à l’insurrection.
6 morts et d’énormes dégâts matériels constatés suite au verdict du procès, Sonko en est le responsable, à vous entendre ?
Il en a une pleine et entière responsabilité, il a récemment demandé à tous les jeunes de venir à Dakar pour la dernière bataille. Et nous avons tous constaté ce qui s’est passé, donc il en porte l’entière et pleine responsabilité. Il doit être poursuivi pour appel à l’insurrection, complicité de pillage et de destruction de biens publics et privés, les faits sont constants et personne ne peut le nier. Même les militants de Pastef appellent à l’insurrection. Et à mon avis, c’est l’occasion d’asseoir un Etat fort ou alors de fermer boutique, et que les Sénégalais qui sont épris de justice et de paix déménagent ailleurs.
Concernant ces manifestations toujours, le ministère de l’Intérieur a évoqué la présence de forces occultes dans le pays, qu’en pensez-vous ?
Cela relève du travail du ministère de l’Intérieur, et quand ils le disent, je ne peux que m’y fier. Ce sont des structures habilitées de l’Etat qui se prononcent sur cette question. Et même si on n’en a pas la certitude, personnellement je subodore aisément d’où elles peuvent venir et qui en sont les commanditaires. Donc il n’y a pas débat de ce point de vue pour moi, je m’en tiens strictement aux faits, Ousmane Sonko a été condamné pour un délit et il doit purger sa peine. Et ce quel qu’en soit le prix. Il y va de la stabilité et de la crédibilité de l’Etat.
Et qui serait les commanditaires de ces forces occultes, selon vous ?
Mais c’est Ousmane Sonko et ses acolytes qui ont toujours appelé à l’insurrection. Les faits sont là, il a appelé à l’insurrection et il doit être poursuivi pour ça. Il est à la base de tous ces saccages, ces tueries et ce désordre que l’on a connu dernièrement. Donc il devra en payer le prix. L’Etat doit rester stable, debout et droit dans ses bottes. Aucun dégât collatéral ne sera de trop pour que l’Etat reste debout.
La présence de nervis aux côtés des forces de l’ordre a également été signalée par la population…
Je préfère un nervi qui soutient les forces de l’ordre dans leur travail, pour le maintien de l’ordre et la préservation des biens, qu’à des pilleurs et casseurs qui s’en prennent aux institutions du pays et aux biens d’autrui.
Malgré leurs déclarations, la présence des responsables de l’Apr ne s’est pas fait trop sentir sur le terrain, qu’est-ce qui explique cela ?
C’est une question de responsabilité individuelle, ceux qui sont sur le terrain sont sur le terrain. Certains ont pris leurs responsabilités, d’autres n’ont pas été sur le terrain pour des raisons que le président de la République devra apprécier. Parce qu’il est anormal que le Président donne des responsabilités et des moyens à certaines personnes qui refusent de les remettre au service de l’Etat et du parti, ce n’est pas normal, pour le bien-être et la préservation de l’ordre et de la paix sociale.
Mais est-ce que le chef de l’Etat peut être rassuré avec cette quasi absence de riposte de son camp ?
Je pense que globalement la situation est maîtrisée, même s’il y a des responsables qui sont défaillants. Mais encore une fois cela relève de leur responsabilité personnelle. Mais la situation a été maîtrisée, l’Etat a pris des dispositions, au-delà de la posture que devaient avoir le parti ou la coalition, pour maîtriser la situation. Jusqu’à la preuve du contraire, Macky Sall est majoritaire dans ce pays parce qu’il a été élu avec 58% des voix. Donc que les gens s’engagent ou pas, il s’agit de leur responsabilité personnelle. En ce qui me concerne, je suis un commis de l’Etat, je suis administrateur civil, je dois à l’Etat tout ce que j’ai, donc je ne laisserais personne fouler aux pieds les principes et les fondamentaux de l’Etat de droit.
Vous dites que la situation est maîtrisée, mais le F24 annonce d’autres manifestations ces 9 et 10 juin…
Ce ne sera pas la première fois que l’on manifeste au Sénégal. Si ces manifestations sont autorisées, qu’ils les tiennent. Et ce n’est pas parce que des manifestations sont organisées que la situation n’est pas sous contrôle. De toute façon, toute personne qui serait tentée de semer le désordre ou de tirer les ficelles pour déstabiliser le pays fera l’objet de poursuites. Toutes les personnes qui sont mêlées de près ou de loin à ces saccages et actes de vandalisme seront traquées et jugées.
Ne pensez-vous pas que le chef de l’Etat devrait se prononcer sur son mandat une bonne fois pour apaiser la tension ?
J’ai toujours dit que la question du 3e mandat est une question de responsabilité. Libre au président Macky Sall de se présenter, libre au Conseil constitutionnel de déclarer sa candidature recevable ou non, libre aux populations de voter pour lui ou pas, personne n’a le droit de dire à tel ou tel citoyen qu’il ne participera pas aux élections. Si quelqu’un ne doit pas participer aux élections, ce sera sur la base des dispositions légales et réglementaires en vigueur dans ce pays, et non suivant la volonté de X ou Y.
Mais s’il clarifiait sa position maintenant, ce serait peut-être un déclic pour ramener la paix
Mais cela dépend de sa liberté individuelle, personne ne peut l’y forcer. J’entends aussi les gens dire qu’il doit sortir pour parler aux Sénégalais, mais pour leur dire quoi ? On ne peut pas tolérer qu’un citoyen, quelle que soit sa posture ou son envergure politique, puisse défier l’Etat et créer une insurrection dans ce pays. L’Etat va devoir faire face.
Pensez-vous que le dialogue national qui a été lancé pourra permettre de stabiliser le pays ?
Ce n’est pas la première fois que l’on organise un tel dialogue au Sénégal, et à chaque fois il y a eu des retombées bénéfiques pour la démocratie. Les conclusions des différents dialogues ont abouti à des avancées notoires dans notre marche vers une démocratie plus ou moins perfectible. Pour moi, il faut toujours dialoguer tant que cela permet aux différents acteurs politiques d’arrondir les angles. Je suis optimiste qu’à l’issue de ce dialogue, des solutions pourront être trouvées de part et d’autre.
Et que répondez-vous à ceux qui disent que le Président Macky Sall et Ousmane Sonko doivent se parler pour trouver une solution ?
Mais pourquoi Macky Sall devrait dialoguer avec Sonko ? Sonko est qui ? Quand le chef de l’Etat dialogue, il le fait avec les acteurs politiques du pays et pas avec une personne en particulier. Sonko a été invité au dialogue national, il n’a pas jugé nécessaire d’y participer, on ne peut pas le forcer. Et puis, Macky Sall n’est pas l’alter-ego de Sonko. Sonko est un délinquant, un bandit, quelqu’un qui n’a pas pu garder la tête sur les épaules pour gérer le succès qu’il a en politique. Il a tout fichu en l’air et il faut que ces partisans se rendent à l’évidence que Sonko ne peut plus participer aux élections, qu’ils tournent la page et cherchent un autre candidat. C’est mieux pour eux.
Qu’on le dise ou pas, le Sénégal traverse une crise assez grave en ce moment, que faudrait-il faire à votre avis pour résoudre cette situation ?
Il faut savoir que nous ne sommes pas dans une jungle, mais dans un Etat organisé avec des lois et principes qui sous-tendent la vie en communauté. Et il faudrait que tout un chacun respecte ces règles. A partir de ce moment, il ne devrait pas y avoir de problèmes. Le Sénégal a connu des crises beaucoup plus violentes, et cela s’est résolu d’une manière ou d’une autre. Je pense que le peuple sénégalais est assez mûr pour dépasser n’importe quelle crise. Mais pour moi, la solution à tous ces problèmes, c’est le respect de la légalité et de l’ordre. On ne peut rien construire dans un pays sans cela.
ADAMA DIENG
Tags: Lat DiopLonaseEmeutesJuin 2023
Auteur: L’Observateur (ADAMA DIENG)