Jetés en pâture par les organisations de défense des droits de l’Homme, traînés dans la boue par certains politiciens et les populations, les Forces de défense et de sécurité essaient de rester debout et concentrées, pour rétablir l’ordre un peu partout au Sénégal. Depuis le 2 juin, ils n’ont ni la possibilité de permission, ni d’aller rendre visite à leurs familles, sans parler des nombreux blessés et même des morts enregistrés de leurs côtés.
Ils sont mal vus par beaucoup de Sénégalais. Rares sont ceux qui se soucient en de pareilles circonstances de leurs situations en tant que citoyens, pères ou soutiens de familles, être humains tout court, issus autant que tous les autres de la même société, des mêmes localités, des mêmes familles. Eux, ce sont les éléments des forces de défense et de sécurité, réquisitionnés depuis vendredi dernier, à Dakar et un peu partout à travers le pays. Dans une note de service portant consigne générale des membres de la Police nationale, la DGPN a décidé de retenir l’ensemble des personnels, pour parer à toutes les éventualités. ‘’Depuis jeudi, témoigne cet officier, nous ne pouvons même pas rentrer chez nous pour voir nos familles. Durant cette période, tous les fonctionnaires de police sont en service 24H sur 24H. C’est difficile mais c’est la situation qui le requiert. Nous le faisons pour notre pays.’’ Selon notre source, même les services non opérationnels comme la DAF et le Bureau des passeports sont mis à la disposition de la sécurité publique en renfort. Aussi, tous les congés et permissions ont été annulés.
Sur le terrain, les difficultés sont nombreuses. Selon une source proche de la Police, il a été noté des attaques très virulentes au niveau de plusieurs brigades, aussi bien de la Police que de la Gendarmerie. A Bargny, rapporte un élément, la Police a été confrontée à une situation infernale, qu’il a fallu beaucoup de tact et de bravoure pour éviter la catastrophe. ‘’Les pierres venaient de toutes parts. Des gens se mettaient sur les terrasses pour les caillasser ; d’autres en bas. Ils étaient donc attaqués aussi bien horizontalement qu’obliquement depuis les terrasses. Il leur a fallu du renfort pour rompre le siège.’’ A l’arrivée, une perte en vie humaine a été notée, regrette le limier qui laisse à l’enquête le soin de déterminer les circonstances de ce drame. ‘’Ce qui est évident, c’est que les éléments des FDS ne tirent jamais sur des manifestants, tant qu’ils ont le choix. Vous avez même vu des éléments de la Police et de la Gendarmerie préféré battre en retrait plutôt que de tirer pour se défendre. Evidemment quand ça arrive, certains s’en glorifient, alors qu’ils auraient dû être applaudis.’’
Pendant qu’ils triment sur le terrain, les forces de l’ordre sont vilipendées, traînées dans la boue, jetées en pâture sans même le droit d’être entendues. Parfois, certains jugements sont simplement blessants, soutient ce Commissaire ; surtout quand ça vient de proches, amis ou parents. ‘’Au début de ma carrière, j’avoue que ça me faisait mal de voir certains commentaires et statuts de proches. Mais avec le temps, je me suis habitué. Je me dis que ces gens jugent les FDS sur des comportements pris isolément. Parfois, je me dis : ces gens m’ont-ils oublié ? Ignorent-ils que je suis la même personne qu’ils ont connu au village, à la Fac, au Dahira et que rien n’a changé… Cela fait mal, mais on est habitué maintenant’’, soutient le Commissaire.
Cela dit, ils sont nombreux les éléments des FDS à être affectés par ces jugements. ‘’Je connais pas mal de collègues qui ont juré de ne plus rendre un service à leurs amis proches qui les qualifient d’assassins sur les réseaux sociaux. Dans les rangs, on dit que les FDS ne sont aimées que par leurs mères. Tout le reste les déteste. On a tendance à y croire surtout dans les moments comme ça.’’
Issa est un jeune Rufisquois. Il revient sur une anecdote qu’il a personnellement vécue avec des éléments de la Gendarmerie nationale. ‘’J’étais allé leur offrir des sachets d’eau ; ils se sont arrachés le sachet en un laps de temps. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est qu’il y avait un Gendarme qui était dans la voiture ; il pleurait à chaudes larmes. Il y avait ses collègues qui essayaient de le consoler. Cela m’a beaucoup touché et on se rend compte que ce sont des hommes comme nous, des êtres sensibles comme nous tous. C’était le jeudi, au premier jour des manifestations’’, témoigne Issa, qui se réclame ‘’patriote’’ modéré.
Depuis quelques heures, la situation s’est nettement stabilisée dans beaucoup de localités. Parfois, les forces de l’ordre ont aidé à préserver non seulement des vies, mais aussi des biens appartenant à des privés comme à l’Etat. Ce ne sont pas les agents de Coris Bank qui diront le contraire. Au niveau de Rufisque, lors de l’attaque de l’Agence sise à quelques jets de l’autoroute à péage, les manifestants ont essayé d’emporter le coffre-fort, après avoir essayé de l’enfoncer en vain. Selon nos informations, il y avait plus de 77 millions de francs CFA. Il en est de même des agences Sonatel et Senelec de Rufisque qui ont été sauvées de justesse. Dans la localité, on dénombre plus de vingt blessés, rien que pour la Police. Au plan national, le bilan de la Croix rouge fait état de 36 blessés ; un bilan qui pourrait être bien plus lourd.
A côté de ce professionnalisme noté chez la plupart des éléments déployés sur le terrain, il est aussi à déplorer des bavures et des images qui n’honorent pas les forces de défense et de sécurité. ‘’En ces périodes où la violence commence sérieusement à se généraliser, les citoyens ainsi que les forces de défense et de sécurité sont constamment menacés, notamment en ce qui concerne leur intégrité physique. C’est pourquoi, à mon avis, les autorités policières et militaires responsables du maintien de l’ordre doivent s’efforcer davantage de communiquer sur les mesures disciplinaires prises sur certains actes isolés de traitement inapproprié d’individus interpellés et même les circonstances de certains cas de décès. Je sais d’expérience que des sanctions sont prises dans de pareils cas, à chaque fois qu’une responsabilité personnelle est engagée. Et c’est d’ailleurs ce qui dédouane l’autorité susvisée de ses supérieurs ainsi qu’aux yeux de l’opinion nationale et internationale’’, soulignait dans un poste l’ancien capitaine de la Gendarmerie, Seydina Omar Touré.
Pour lui, beaucoup de citoyens ignorent la réalité et pensent, à tort ou à raison, que ces actes sont cautionnés au sein de la police, de la gendarmerie ou penser qu’il s’agit d’une violence systématique. ‘’Cela expose malheureusement le personnel et leurs familles à d’éventuelles représailles portant atteinte à leur intégrité physique. Je suis de ceux qui pensent que le ministre de l’Intérieur, qui est une autorité politique dont la posture fait souvent objet de controverses, ne devrait pas être seul à communiquer dans de pareils cas’’, a averti l’ancien officier de la Gendarmerie. A son avis, les Sénégalais doivent aussi comprendre qu’un policier ou un gendarme sur le terrain n’est qu’un agent d’exécution qui sert loyalement sa patrie, sans possibilité de remise en cause des ordres. ‘’S’ils reçoivent l’ordre d’agir, ils mettront en œuvre l’instruction reçue. J’en sais quelque chose et c’est à juste raison… En effet, la loi 70-023 du 06 juin 1970 portant organisation de la défense nationale et son instruction d’application précise qu’au maintien de l’ordre les forces de l’ordre sont requises par l’autorité administrative ……..et la loi prévoit des cas où l’usage de la force est obligatoirement mentionnée sur la réquisition’’, explique-t-il.
Par conséquent, soutient l’ancien capitaine, il serait injuste de vouloir faire payer à un agent sur le terrain les dérives de l’autorité politique ou des conséquences des décisions judiciaires. ‘’Il faut surtout jeter éviter de jeter du cocktail Molotov sur un homme en équipement au maintien de l’ordre, cela pourrait attenter à la vie d’un père de famille, d’un citoyen qui s’est engagé exclusivement à servir son pays. Nous devons protéger notre Police et la Gendarmerie de la contagion politique parce que c’est tout ce qui nous reste aujourd’hui. Personnellement, tout ce que je vous apprends aujourd’hui, je l’ai appris au sein de la gendarmerie et grâce mes formateurs et camarades, donc meilleur que moi, qui y sont encore. C’est pour vous dire la chance que nous avons d’avoir une ressource humaine de qualité au sein des forces de défense et de sécurité en dehors de toute considération éthique, politique et géographique.’’