La Casamance a souffert dans sa chair. Très calme avant 1982 comme une jeune fille timide, ce terroir a connu un passé douloureux. Des millions de superficies y ont été minées. Au fil du temps, beaucoup de localités ont été dépolluées des mines. Les statistiques révèlent que, 2.033.000 m2 de terres ont été déminés. Il ne reste que 1.700.000 mètres carrés. Aujourd’hui, la Casamance jouit d’une accalmie qui fait renaître une exigence chez les populations : rentrer au bercail et retrouver les terres de leurs ancêtres. Cela a commencé d’ailleurs dans des zones complètement libérées à l’image de Bissine dans le département de Ziguinchor. Pendant ce temps, les opérations de déminage se poursuivent dans l’arrondissement de Nyassia où l’autorité de l’État du Sénégal a récemment été restaurée au terme des opérations de sécurisation menées par les armées. Focus sur cette Casamance, longtemps meurtrie, qui veut se débarrasser de toutes ses mines pour permettre à ses enfants de reprendre de plain-pied, leurs principales activités économiques d’antan.
ZIGUINCHOR – Dans la carte renfermant les localités entièrement déminées du département de Ziguinchor et qui nous a été fournie par le Centre national d’actions anti-mines au Sénégal (Cnams), figure Mandina Mancagne. Une opération de déminage y avait été lancée par l’armée sénégalaise et les Marocains avant le retour des populations. Mandina ! Un gros village, jadis « blessé », dévasté un 19 août 1997 et complètement mis à genou. Vingt-six ans après cet épisode tragique, la vie a repris de plus belle dans cette localité de la commune de Niaguis, où les populations continuent de tendre la main à l’État du Sénégal pour plus d’investissements afin de les aider à faire de leur village, l’un des plus beaux et paisibles endroits du département de Ziguinchor.
Derrière les rizières de Kandialang, Mandina Mancagne. Un village qui compte sept à huit quartiers dont Kantène, en plus d’un hamo (Boucotte Mancagne) qui totalise quatre quartiers. Ce bourg peuplé de plusieurs ethnies a fini de se débarrasser des mines. C’est dans ces terres où sont tombés, sous les balles des porteurs d’armes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), il y a 26 ans de cela, 26 soldats de l’Armée nationale. C’était dans la nuit du 19 au 20 août 1997. Ce jour-là, le commando de l’armée est tombé sur une embuscade. Cet évènement douloureux a plongé Mandina Mancagne dans une page sombre.
Á compter de cette date, ce village était devenu inaccessible. Les habitants avaient été contraints de le quitter. Le premier déplacement de « ses » enfants intervînt le dimanche 03 août 1997. Les populations de ce hameau ont fui vers Ziguinchor et d’autres horizons. Une date que le chef de village de Mandina Mancagne n’oubliera jamais. « Alors que nos mamans se réveillaient pour aller à la messe à Tilène (Ziguinchor), des hommes armés leur ont demandé de ne pas s’y rendre. Les habitants ont été immobilisés et personne ne savait ce qui se passait. Pendant ce temps, le village était déjà occupé par les éléments du Mfdc. C’est vers 18 heures que Mandina s’est vidé de ses habitants », renseigne Richard Badiette, le sixième chef dudit village.
Á partir du 03 août 1997, personne n’avait accès à Mandina Mancagne. En temps de guerre, l’ennemi, après avoir conquis une zone, pense aussitôt à en miner certaines parties. Mandina n’y fut pas exclu. « Il y avait un conflit et c’est toute la Casamance qui était minée. Et je ne peux en dire plus », lance le chef de village, d’un ton élevé. Avant de poursuivre son récit. « Le 19 août 1997, l’armée a décidé d’intervenir. Là, ce fut la catastrophe. Et le village fut complètement à terre. Il n’y eut plus rien du tout. Même pas de maisons », regrette Richard Badiette. Chaque peuple a sa propre histoire. Mandina a la tienne. Cependant, il ne veut pas s’enfermer dans sa page sombre. Ce village reprend goût à la vie. Á première vue, Mandina Mancagne ne donne pas l’impression d’un terroir qui a vécu une tragédie et frôlé le pire il y a plus de deux décennies de cela. Nous nous y sommes rendus le mercredi 19 avril 2023. Ce jour-là, le chef du village a convoqué d’urgence une réunion avec un comité restreint pour discuter de toutes les difficultés qui plombent le développement de leur hameau. C’était impensable, il y a quelques années, d’organiser des concertations de ce genre dans un village annexé par des porteurs d’armes du Mfdc. Aujourd’hui, Mandina respire la paix et aspire au développement. « Mandina est un village très paisible. Par contre, ce village a connu une histoire très sombre. Mais, tout cela est derrière nous », rassure M. Badiette.
Mandina post-guerre et ses belles perspectives
En Casamance, l’ Armée nationale a connu ses plus grandes pertes dans ce gros village où habitent plus de 3000 âmes, et où il n’y a plus de mines. Un hameau qui a décidé de clore ce chapitre et de se tourner vers l’avenir. Au lendemain de ce déplacement forcé, les populations de Mandina Mancagne, de retour sur les terres de leurs ancêtres ont entamé avec la diligence de feu le colonel Georges Boissy (un fils du terroir), une phase cruciale : la reconstruction. C’était en 2002. Pour cela, il fallait « nettoyer » tout le village et ses alentours. Un travail achevé en 2003 et qui a permis aux fils de Mandina de retrouver leur village. Grâce à l’État du Sénégal et ses partenaires, cette reconstruction a connu un franc succès. « C’était un moment difficile. Mais, tout est bien qui finit bien », souligne le 6e chef de village de Mandina Mancagne, Richard Badiette. La « guerre » a freiné le développement de Mandina. Heureusement, rappelle-t-il, il y a une autre dynamique qui se crée dans ce village si convoité. Une thèse confortée par Hyppolyte Minkette. Fils de Mandina, ce dernier précise que la dynamique de développement ne s’est jamais estompée. « Elle progresse crescendo », se réjouit-il. D’ailleurs, indique M. Badiette, les choses sont allées plus vite ces cinq dernières années. « Il y a un retour en masse des populations. Une adhésion totale », renchérit Hyppolyte Minkette. Poursuivant, il salue la disponibilité des terres mais demande à l’État de faire de l’insertion socio-économique des jeunes, son principal cheval de bataille. « Les gens sont revenus. Ils ont habité, mais il faut qu’on les aide à vivre de façon décente. Nous lançons encore un appel à l’État. Nous savons qu’il a toujours accompagné les populations dans le cadre de la reconstruction, par contre, il y a encore à faire. Nous tendons encore la main à l’État du Sénégal car, il y a un besoin pressant à Mandina », soutient M. Minkette, logisticien de profession.
Tout ou presque est urgence
Á Mandina, la reconstruction se poursuit. D’après Hyppolyte Minkette, il reste beaucoup d’infrastructures à réaliser en vue d’offrir le minimum vital aux villageois. En termes de terres arables et aedificandi dans le département de Ziguinchor, le village de Mandina Mancagne offre beaucoup de possibilités. M. Minkette demande aux uns et aux autres de venir investir dans son village parce que, « la vie y renaît, l’espoir est plus que jamais permis et la dynamique enclenchée ne s’arrêtera pas. Nous avons également besoin d’un poste de santé avec une ambulance et une voiture d’évacuation des malades ». Aux jeunes de la Casamance qui sont à Dakar, il lance un appel à un retour massif à la terre parce que, rassure-t-il, l’État est prêt à les accompagner. De son côté, Paul Basse du quartier Mandina Maroc soutient que les perspectives sont bonnes. Mais, reconnait-t-il, l’État se doit de soutenir davantage les jeunes afin qu’ils aient une activité qui les occupe. « Il faut des projets dignes de ce nom pour les jeunes. C’est tout ce que nous demandons au Gouvernement », confie-t-il.
Pour sa part, Augustin Cambanck souhaite la réalisation de pistes de production pour remplacer les « vieux » sentiers qu’empruntent les enfants de Kantène et des autres quartiers pour venir à l’école à Mandina Mancagne. D’ailleurs, c’est la seule école élémentaire publique qui polarise tout le village. Mandina revient de loin. Limité au Nord par le quartier Kandialang, dans la commune de Ziguinchor, à l’Est par Mandina Manjacque, à l’Ouest par Boucotte Mancagne et Bourofaye Diola et au Sud par l’Absinthe, ce village a connu un passé douloureux, à l’image de beaucoup de bourgs de la région de Ziguinchor et de Sédhiou. Mandina est un nom Mancagne et Manjacque qui signifie l’acceptation. Ce bourg était habité par deux ethnies : mancagne et manjacque. Mais, aujourd’hui, il y en a d’autres qui y vivent. Et tous acceptent leur histoire. Rendu tristement célèbre par le conflit armé qui a été enclenché dans le Sud du pays, au début des années 1980, Mandina a fini de retrouver le sourire. Les habitants eux, espèrent voir souffler dans leur village, le vent d’un développement harmonieux et endogène !
LOCALITÉS DÉJÁ LIBÉRÉES DES MINES
Des signaux au vert à Ziguinchor et Goudomp, encore rouge à Boukiling, Bignona…
De grandes superficies des départements de Ziguinchor et Goudomp ont été dépolluées. Mais, à Bignona, à Bounkiking (Sédhiou) et dans une partie du département de Oussouye, on note encore la présence des mines enfuies dans les terres.
ZIGUINCHOR – Il est vrai qu’en Casamance, beaucoup de terroirs ont été libérés des mines. C’est une certitude, si l’on se fie aux cartes de déminage mises à notre disposition par le Cnams et réalisées en 2023. Dans le département de Ziguinchor, outre Mandina Mancagne, déjà libéré, les signaux sont au vert dans plusieurs villages. Il s’agit, entre autres, d’Etomé, Dar Salam, Dioher, Toubacouta, Mpack, Kaguitte, Etaffoune, Bissine, Baghagha, Sindone, Adéane, Diagnon. Dans le département de Goudomp, Singhère Diola, Singhère Escale, Djibanar, Kaour, Toubacouta Mandingue, Bafata Balante, Sanou Sénégal, Samboucounda, Beylan, Kanico, Sathioum, Baguy balante, etc. Ces localités ont dit adieu aux mines. Les populations ont effectué un come-back pour reprendre le cours normal de leur vie. Cependant, il y a encore des localités qui, jusqu’ici sont dans la zone rouge. C’est le cas, dans les départements de Bignona et de Oussouye (Ziguinchor) et de Bounkiling (Sédhiou) de certaines localités.
Dans ces zones, il reste des choses à faire. Á Oussouye, le déminage n’est pas encore effectif dans la commune de Santhiaba Manjacque, plus précisément dans une partie du village de Djirack classée zone suspecte. Ici, également, les villages comme Ering, Essoukoudiack et même Santhiaba sont à visiter à nouveau par les équipes de déminage pour s’assurer que ces zones ont totalement été libérées. Dans les départements de Bignona et de Bounkiling, plusieurs villages sont au rouge et beaucoup de localités nécessitent la visite des démineurs.
BIGNONA
101 localités ciblées pour le déminage dans le Nord
L’État et ses partenaires sont déterminés à poursuivre, pour cette troisième rallonge de financement, le déminage du département de Bignona affecté dans sa partie Nord par le conflit qui sévit en Casamance. Des communes, des arrondissements de Sindian et Kataba 1 vont bientôt faire l’objet d’une enquête non technique nécessaire avant la descente des démineurs de l’opérateur Humanité inclusion (Hi) qui entend dépolluer toutes les terres d’ici à 2026.
BIGNONA – Le retour des populations déplacées par le conflit se matérialise graduellement dans certaines localités de la Casamance où souffle un vent de paix après plus de trois décennies de trouble. Le département de Bignona, qui constitue aujourd’hui, la partie la plus touchée par les affrontements entre les forces de défense et de sécurité et les bandes armées, connait ces derniers mois une stabilité. L’armée sénégalaise a réussi à mettre hors d’état de nuire des réseaux de trafiquants de chanvre indien et de bois, la principale ressource forestière. Mais l’inquiétude plane toujours du côté des populations qui ont dû réduire leur activité à cause de la présence soupçonnée de mines. La psychose s’est amplifiée en octobre 2022 quand cinq jeunes ont trouvé la mort dans le village de Kandiadiou, commune de Oulampane. C’est le dernier cas d’accident de mine enregistré faisant des victimes civiles en Casamance. Cette situation a instauré la peur chez les populations, obligées de réduire leur mobilité. « Elles ne fréquentent plus certains endroits comme les forêts d’où elles tirent pourtant une grande partie de leurs moyens de subsistance », déplore Ndèye Marie Diédhiou, présidente de la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance au cours d’un plaidoyer pour un déminage humanitaire (un déminage favorable aux belligérants). L’organisation Humanité inclusion (Hi) qui travaille sous l’impulsion du Centre national d’actions anti-mines au Sénégal (Cnams), « à travers un dossier de tâches », admet avoir dépossédé sur un objectif initial de 100m2, 80m2 de plus en 2021 dans le projet d’action contre les mines pour un retour sécurisé des populations en Casamance. Mais, le cas du département de Bignona demeure complexe où 101 zones susceptibles d’être minées ont été répertoriées. Ces localités seront déminées dans le temps.
Des mines entre les mains des populations
Pourtant, une enquête non technique, (une tâche qui permet d’identifier les terres susceptibles d’être polluées de mines) est menée dans la période de 2015 à 2016 dans la commune de Djignaky, dans le nord de Bignona. « Mais ce processus très important avec l’arrivée des démineurs est interrompu par les porteurs d’armes. Ils ont renvoyé l’équipe mobilisée à cet effet », confie Abdourahmane Bâ, chef des opérations de l’organisation Humanité inclusion (Hi). Mais, le problème demeure entier car, à côté des exigences des porteurs d’armes, s’ajoutent la cruauté, la haine, les règlements de compte entre populations d’une localité. « Dans certains cas juste pour un règlement de compte, votre ennemi peut placer, contre vous, sur votre passage, une mine. Ce qui veut dire que les mines sont aussi entre les mains des populations », souffle, sous le couvert de l’anonymat, un acteur de l’organisation locale qui milite pour le renforcement de la cohésion, dans le cadre d’un projet qui vise à consolider la paix.
Miser sur la sensibilisation pour faire adhérer toutes les parties
Dans ses interventions, Humanité inclusion mise sur l’éducation au risque en mettant l’accent sur la sensibilisation pour promouvoir la paix. Selon Ousmane Diallo, responsable du site Casamance de Humanité inclusion, « la médiation sociale est essentielle pour que le déminage humanitaire soit accepté par toutes les parties ». Cependant l’état actuel du terrain, marqué par des opérations de sécurisation rend parfois la tâche ardue. Dans ce contexte où le gouvernement s’est engagé à rétablir l’équité territoriale, le retard observé dans la dépollution des terres paralyse le développement des localités. « Car, une zone minée constitue un risque pour tout processus de développement économique », argue Ousmane Diallo. Le Sénégal bénéficie d’une troisième rallonge qu’il faut sans doute mettre en œuvre pour se conformer à la convention d’Ottawa dont il est signataire. Ce programme est estimé à 15 milliards de FCfa. Une initiative confortée par le projet Buza financé par les Pays-Bas à hauteur de 80.000.000 de FCfa. Il prévoit, cette fois-ci, d’adopter une méthode de déminage plus efficace et rapide. « Avec des chiens renifleurs d’explosifs qui seront mis à contribution », promet Abdourahmane Bâ, chef de l’opération de Hi. Ainsi, l’État et ses partenaires peuvent-ils atteindre l’objectif : déminer avant l’échéance 2026.
L’espoir est permis dans le département de Bignona grâce aux avancées notées dans le processus de paix. Le Gouvernement a signé officiellement un projet de retrait des armes avec le Front nord (fraction du MFDC qui a établi ses bases dans la commune de Djignaky). Ainsi, les équipes de démineurs vont-ils reprendre les activités sur le terrain dans les prochains mois.
LINA NDECKY, VICTIME DE MINE
Une femme à la destinée tragique
Diminuée, traumatisée, affaiblie et contrainte à rester immobile, Lina Ndecky a vu son destin s’assombrir en 2003. Née le 22 février 1963 à Niaguis, cette dame dont le mari a péri dans un accident similaire et qui se déplace à l’aide de deux petits bancs superposés a perdu l’usage de ses deux jambes à la suite d’un accident de mine survenu à Mpack, dans le département de Ziguinchor. Portrait d’une étoile figée au quartier Kabakeuni et qui veut retrouver sa passion : le travail.
ZIGUINCHOR – « Parfois, j’ai du mal à dormir. Je vivais de l’agriculture et je me rendais quotidiennement au marché pour vendre les produits agricoles. Je sais que, tout ne sera pas comme avant. Mais, je veux reprendre ma vie. Je veux toujours travailler ». Lina Ndecky était pleine d’énergie, à l’image des femmes rurales. Mais, d’un seul coup, tout s’est arrêté pour elle qui vit avec ses proches au quartier Kabakeuni de Mpack. Ce hameau où nous l’avons rencontrée dans l’après-midi du mercredi 26 avril 2023. Elle était en train de faire la vaisselle. Âgée de 60 ans, Lina a débarqué à Mpack où elle a été donnée en mariage au début des années 1980. En 2003, son destin a connu une autre trajectoire tragique. Lina (à l’état-civil) ou Linda Ndecky pour certains a eu un accident de mine. Un choc qui ne cesse de la traumatiser et de la hanter. « Je ne suis pas née comme ça. J’ai perdu mes deux jambes dans un accident de mine », clarifie-t-elle. « Avec une de mes amies, nous étions parties dans les plantations d’anacarde à la recherche des noix. C’était un jour de jeudi vers 14 heures, après le repas de midi. Sur place, nous avons tout ramassé. Sur le chemin du retour et sur la même voie, j’ai marché sur la mine. Quand l’accident est survenu, ma camarade a fui me laissant sur place », se remémore Lina Ndecky, contrôlant ses émotions. Depuis sa sortie de l’hôpital, elle se déplace à l’aide de deux petits bancs superposés. Auparavant, elle pouvait se mouvoir avec sa chaise roulante tombée en panne. Par contre, elle souhaite disposer d’une « chaise motorisée » qui puisse l’aider dans ces déplacements. Avec celle-ci, elle pourra reprendre petit à petit ses activités d’antan. Pour l’heure, elle ne survit que grâce à ses proches et quelques bonnes volontés.
Une cousine, la première secouriste de Lina
Le jour de l’accident, il y a eu une dame qui a joué un rôle capital au prix de sa vie. C’est Anna Malou. Ce jeudi de l’année 2003, cette cousine de Lina Ndecky ne l’oubliera jamais. « Je n’étais pas loin de là. Quand j’ai entendu la détonation, j’ai aussitôt couru vers les lieux parce que j’entendais des pleurs et la personne prononçait des mots en langue mancagne. Mes enfants m’ont demandé de ne pas y aller au risque de sauter sur une mine. J’ai répondu en disant que Dieu était au contrôle. Je suis passée par la forêt. Une fois sur place, j’ai su que c’était ma cousine Lina Ndecky », relate Anna Malou. Sa cousine avec qui elle vit depuis ce tragique accident se souvient de ce jeudi comme si c’était hier. Bouleversée, elle tenta de secourir Lina Ndecky qui avait déjà perdu l’une de ses jambes. Pour elle, il fallait sortir sa cousine de là peu importe les risques. Anna Malou réussit à mettre la victime sur son dos et se frayer un chemin pour l’acheminer au village. Un geste de scout salvateur. Pendant ce temps, ses enfants décidèrent de se rendre au poste de contrôle des douanes sénégalaises de même que chez les militaires pour les en avertir. Quelques minutes plus tard, Anna Malou sera rejointe par les militaires et les douaniers qui vont se charger de son évacuation vers le centre hospitalier régional de Ziguinchor où elle a séjourné pendant trois mois. « C’est à l’hôpital qu’elle a perdu l’autre jambe. Le jour de son accident, son mari était absent du territoire. Il était en Guinée-Bissau. Nous lui avons fait part de ce douloureux évènement. Il est aussitôt rentré pour rester aux côtés de son épouse », témoigne-t-elle. Après cet accident, une psychose gagna les villageois de Mpack qui avaient fui leur bourg à cause du conflit pour s’installer en terre bissau-guinéenne. D’après Mme Malou, personne n’osait retourner dans les plantations. « Tous avaient peur », poursuit-elle. Mais, aujourd’hui, tout est bien qui finit bien. Les populations sont retournées et vaquent librement à leurs occupations sur ces terres libérées des mines.
Un couple, un même destin « miné »
Dans la vie, il y a des circonstances qui peuvent pousser l’être humain à penser qu’il a été abandonné par son Créateur. Lina Ndecky qui souffre peut le croire. Elle a d’abord sauté sur une mine en 2003 dans les plantations familiales, à Mpack. Trois ans plus tard, ce fut autour de son défunt mari, Georges Bandiaky de connaître le même sort. Il a lui aussi sauté sur une mine. C’était dans l’après-midi du mercredi 15 mars 2006 vers les coups de 15 heures. L’accident s’est produit, renseigne son fils Benoît Bandiaky, à quelque 500 mètres de leur domicile. Après qu’il a marché sur la mine, il fallait évacuer d’urgence feu Georges Bandiaky au centre hospitalier régional de Ziguinchor. L’évacuation n’a été effective qu’à 18 heures. « Il est arrivé à l’hôpital très fatigué parce qu’il avait perdu beaucoup de son sang », confie le fils aîné de Georges, Benoît Bandiaky, joint par téléphone. Sur place, précise-t-il, les médecins ont fait tout leur possible pour sauver le mari de Lina Ndecky. Malheureusement, ce dernier a succombé à ses blessures aux environs de 22 heures. Né en 1928, Georges Bandiaky a péri des suites de cet accident de mine. Il est parti à jamais laissant derrière lui une veuve qui a perdu l’usage de ses deux jambes à la suite d’un accident de mine et deux enfants (Claire-Rachel née en 1992 et Évariste né en 1994). Comme pour dire que, Lina et Georges qui se sont dit « oui » ont eu un même destin « miné » durant leur séjour sur terre.
GUEDJ DIOUF, GOUVERNEUR DE LA RÉGION DE ZIGUINCHOR
« Plusieurs zones ont été libérées des mines et des restes d’explosifs de guerre »
Le Gouverneur de la région de Ziguinchor, Guédj Diouf, a affirmé le mercredi 16 avril 2023, au Cap-Skirring, dans le département de Oussouye que plusieurs parties de la région naturelle de la Casamance ont été libérées des mines et des restes d’explosifs de guerre. Aussi, a-t-il salué la poursuite des opérations du déminage humanitaire dans cette partie Sud du pays.
ZIGUINCHOR – La Casamance veut se débarrasser de toutes les mines et des restes d’explosifs de guerre enfouis dans ses terres. Pour cela, des opérations sont en train d’y être menées depuis des années. Elles se poursuivent actuellement dans certaines localités du département de Ziguinchor, notamment dans l’arrondissement de Nyassia. Par conséquent, le gouverneur de la région de Ziguinchor, Guédj Diouf, se dit fier du travail déjà accompli par les différentes organisations humanitaires qui ne cessent de se déployer sur le terrain. De plus, il a reconnu que ce sont « les efforts assez consistants fournis par l’État du Sénégal et ses partenaires » qui ont permis de parvenir à ses résultats probants. « Plusieurs parties de la région naturelle de la Casamance ont été libérées des mines et des restes d’explosifs de guerre. D’ailleurs, les démineurs sont toujours sur le terrain pour continuer le travail », a magnifié l’ancien préfet de Linguère.
Le chef de l’exécutif régional présidait, au Cap-Skirring, à l’initiative de l’Agence nationale pour la relance des activités économiques et sociales en Casamance (Anrac) et du Centre national d’action anti-mines au Sénégal (Cnams), un atelier de plaidoyer sur les stratégies de mobilisation des ressources financières pour soutenir le déminage humanitaire et la réinsertion/intégration socio-économique des populations victimes du conflit en Casamance. Cette activité a vu la participation de plusieurs partenaires de l’État du Sénégal, notamment l’Ambassade de la Suisse. De l’avis de Guédj Diouf, la rencontre de Cap-Skirring vise la remobilisation de tous les partenaires techniques et financiers de l’État en vue de l’aider à « atteindre cet objectif qui consiste à déminer les terres de la région naturelle de la Casamance et ses engins explosifs nuisibles au développement économique de la zone ». Pour dépolluer toutes les terres de la Casamance (1.700.000 mètres carrés de terres à déminer), des experts pensent qu’il faut débourser au minimum, six milliards de FCfa.
IBRAHIMA SECK DU CENTRE NATIONAL D’ACTIONS ANTI-MINES AU SÉNÉGAL
« Il nous faut 15 milliards de FCfa pour déminer les terres qui restent en Casamance »
Avec le vent d’accalmie qui souffle en Casamance, plusieurs communautés ont exprimé le besoin de retrouver leurs terres afin de reprendre leurs activités économiques. Dans certaines zones rurales, l’État, à travers le Centre national d’actions anti-mines au Sénégal (Cnams) et ses partenaires, va nettoyer d’importantes superficies qui seront transmises aux populations. Cette initiative a d’ailleurs démarré. Á Bissine, dans le département de Ziguinchor, les populations ont retrouvé depuis 2020 les terres de leurs ancêtres après près de trois décennies d’errance. Toutefois, au regard des exigences de la convention d’Ottawa dont le Sénégal est signataire, l’État pourra-t-il atteindre son objectif, d’un Sénégal sans mine en 2026 ? Réponses dans cet entretien avec Ibrahima Seck, chef de la Division des opérations et de la gestion de l’information au niveau du Cnams.
L’État va officiellement restituer des terres déminées aux communautés. Mais, il reste encore du chemin à faire dans cette opération de déminage. Pourquoi le Sénégal semble être à la traine ?
Après le déminage, il faut remettre les terres à la population. Cette fois-ci, 119.000 m2 sont concernés par la restitution. Ces terres ont été nettoyées grâce aux fonds du département d’État américain, à travers l’Usaid, l’Ue et l’apport de l’État du Sénégal dont Humanité inclusion a bénéficié pour effectuer les opérations de déminage. Le Sénégal a signé la convention d’Ottawa en décembre 1997, ratifié un an plus tard, avant d’entrer en vigueur en mars 1999. Á partir de ce moment, notre pays avait 10 ans pour déminer les terres affectées. Malheureusement, la situation qui prévalait sur le terrain (exaction des armées, opérations militaires : Ndlr) n’a pas permis de mettre en place un programme de déminage, autrement dit, d’envoyer des hommes et de la logistique sur le terrain. Il fallait des accords de cessez-le-feu pour que le déminage soit enclenché. Et les négociations prenaient du temps car, pour une zone qu’il faut déminer, en trois mois, il y a eu des discussions pendant 10 mois pour obtenir une garantie de déployer les opérateurs en toute sécurité. Malheureusement, en 2009, dix années se sont écoulées depuis la signature et l’entrée en vigueur de la convention d’Ottawa en 1999. Notre pays a ensuite, introduit une première demande d’extension sur une période de 2009 à 2016. Nous avons déminé toujours dans le même scénario (arrêt de déminage, car il y a mouvement du côté du Mfdc). En 2013, il y a eu des enlèvements de démineurs retenus dans le maquis pendant 3 mois. Des perturbations qui font qu’arrivé en 2016, toutes les zones n’étaient pas déminées. Nous avons sollicité une troisième extension de 2021 à 2026. Mais, cette fois-ci, l’espoir est permis. Avec les opérations de ratissage menées par l’armée, on a suffisamment d’assiette où on peut déployer l’opérateur.
Bignona enregistre plus de tension et de présence de bandes armées. Quelle est la situation dans ce département ?
Bignona ! Dans cette zone, il y a 101 localités qu’il faut visiter afin de déterminer leurs statuts et de répertorier les contours des zones suspectées pour évaluer les superficies qui restent à déminer. Dans la commune de Oulampane, il y a 48 localités, nous en avons visité 42. Á cela s’ajoutent les communes de Djibidione, Sindian et Suelle. Dans la zone des palmiers, c’est-à-dire, la commune de Djignaky et de Kataba1, nous avons 5 zones suspectes. Nous envisageons, une fois les ressources disponibles, de déployer l’opérateur à Djignaky (C’est dans cette commune rurale qu’une faction a signé un projet de dépôt des armes, Ndlr). C’est énorme et complexe par rapport à Ziguinchor où il y a 11 localités à visiter pour savoir si elles sont affectées ou pas. Oussouye n’a que 4 localités, dont le parc de basse Casamance, qui sont susceptibles d’être minées.
Se débarrasser des mines avant 2026 est un engagement auprès de la communauté internationale. Pensez-vous que le Sénégal pourra respecter cette fois-ci ledit engagement ?
Á l’état actuel, nous avons déminé, 2.033.000 m2. Il reste 1.700.000 mètres carrés. Pour cela, nous avons besoin de 15 milliards de FCfa. Alors, depuis 2021 nous assistons au retour de partenaires comme l’Union européenne, l’engagement d’un nouveau partenaire à savoir la coopération néerlandaise. D’ailleurs, avec les Pays-Bas, une équipe de Sinophile sera engagée pour renforcer la sécurité dans le déminage car, il y a un type de mine qui est indétectable par les outils traditionnels. C’est une mine qui a une faible teneur en fer. Ce qui fait que les détecteurs de métaux ne l’attrapent pas. Le démineur peut donc dépasser la mine enfouie sans que le détecteur ne l’attrape. Et c’est depuis lors que nous avons acquis la machine le « Digger » en 2011. Elle creuse à la profondeur voulue et met en évidence les mines qui sont récupérées par les démineurs. Malheureusement, elle est aujourd’hui vieillissante et son dépannage coûte excessivement cher. Il faut une nouvelle machine. Bref, nous avons fait une simulation. Mais, nous pensons que, si les deux critères suivants sont obtenus, à savoir, le rétablissement de la sécurité pour un déploiement sans problème des opérateurs, et puis la disponibilité des ressources financières, on peut atteindre l’objectif d’un Sénégal sans mine en 2026.