Les écoles coraniques appelées «daaras» sont légions dans Dakar et sa banlieue. Face à des difficultés récurrentes, surtout celles d’ordre financier, la mendicité reste l’unique source de revenus. Beaucoup d’entre elles sont ainsi sous la menace de fermeture, en raison des charges qui sont insupportables pour les oustaz (maîtres coraniques), de l’hébergement des talibés, de la charge locative, entre autres. Or, ces maîtres de daaras font du bénévolat ; ils enseignent sans salaire. Al’inverse, les écoles qui ont des internats, appelées «daaras modernes», résistent à la crise. Immersion dans ces deux types d’enseignement d’un même système, aux mêmes vocations, mais aux méthodes et réalités différentes.
QUAND LA MENDICITE DEVIENT LE MOYEN DE SUBSISTANCE DU DAARA TRADITIONNEL !
C’est un bâtiment inachevé qui abrite le «daara» de Oustaz Mansour Touré. La nouvelle maison étant en chantier, son propriétaire a autorisé Oustaz Mansour Touré et ses talibés à l’occuper gratuitement. Il est situé sur l’axe qui relie Keur Massar et Sangalkham. Ici, les talibés s’asseyent sur des nattes pour apprendre. A notre arrivée, le lieu était totalement vide. A part les enfants du maître coranique qui étaient dans la cour, en train de jouer, pas l’ombre d’un seul talibé.
Tous les matins, à partir de 6 h 30 minutes, les «almoudos» (les talibés) doivent aller demander de l’aumône pour subvenir aux besoins de la famille. Ce spectacle est quotidien. Les enfants en apprentissage au niveau de ce daara traditionnel ont des liens de parenté avec Oustaz Mansour Touré. «J’ai une grande responsabilité dans l’éducation de ces talibés. Il faut qu’ils réussissent. Leurs parents ont confiance en moi. C’est pourquoi, ils m’ont confié leurs enfants. En clair, je n’ai pas le droit de décevoir», confie le Serigne daara.
C’est en 2016 que cet ancien commerçant, reconverti en Serigne daara, a ouvert son école coranique à Diamaguène-Sicap Mbao. Il garde toujours les souvenirs de cette première expérience douloureuse. Pourtant, il n’a pas fait faillite dans le commerce, avant de se lancer dans l’éducation islamique des enfants. Pour l’enseignant arabe, le défi à relever était plus important que les obstacles qui se dressaient devant lui. La cantine qu’il tenait au marché de Sicap Mbao était remplie de marchandises, avant son départ. Ses activités de commerçant marchaient. Mais, pour Mansour, il est plus utile à la communauté en servant dans les écoles coraniques, comme oustaz, que d’exercer le métier de commerçant. «Quand j’ai ouvert pour la première fois l’école à Sicap Mbao. Je suis resté deux mois durant sans avoir un seul talibé, alors que je devais payer le loyer. Mais, mon mental d’ancien élève de daara m’a beaucoup aidé à endurer les souffrances et à avoir la patience», a révéléM. Touré.
Ayant foi en Dieu, son bonheur, il l’a retrouvé en enseignant. «Je prends énormément plaisir à écouter les enfants réciter les versets du Coran. J’éprouve beaucoup de satisfaction pour le travail accompli. La formation que j’ai eue dans les daaras, m’a permis, même quand je ne trouve pas de quoi mettre sous les dents, d’être stoïque. Et je ne me lamente pas, comme le font certains. Notre métier est un sacerdoce. Nous espérons que le Bon Dieu nous réserve une très grande récompense dans l’au-delà».
Selon lui, tout est gratuit, assurer la nourriture à tous ces apprenants, au nombre de 18 talibés, leur payer les ordonnances s’ils tombent malades, ce n’est pas facile. Leur principale source de revenus, c’est la mendicité. «De temps en temps, je fais le maraboutage (les pratiques mystiques). Moi, c’est depuis que j’exerçais le commerce que les gens passaient me voir pour les pratiques mystiques.»
HISTORIQUE DU DAARA TRADITIONNEL
Le «daara» est une école coranique traditionnelle où les gens viennent apprendre la lecture et la mémorisation du Saint Coran. Les plus persévérants vont explorer d’autres domaines du savoir plus approfondis : l’étude de la Charia, le Tawhid (la connaissance de Dieu), le Fiq’ (la Jurisprudence islamique), le Sira (l’histoire), le Nahou (Grammaire), etc. Auparavant, les lieux d’implantation des daaras, c’était dans les villages. Les talibés cultivaient pour subvenir à leurs besoins. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
La crise qui sévit dans le monde rural a obligé les maîtres coraniques à quitter les campagnes pour les villes. Un nouveau phénomène d’exode rural dans un contexte de crise. Ce mouvement profite aux maîtres coraniques ainsi qu’aux talibés qui ne vont pas rencontrer beaucoup de problèmes pour leur réinsertion dans la vie socio-professionnelle. Les villages n’offrant aucune perspective pour ces enfants qui doivent apprendre un métier ou exercer dans le petit commerce.
Les débouchés ne sont pas une préoccupation pour les pensionnaires de daaras. Beaucoup d’entre eux trouvent toujours un boulot dans le secteur informel. C’est pourquoi, ces talibés qui sortent des daaras traditionnels ne sont pas affectés par le chômage. Leur vocation, ce n’est pas de devenir des fonctionnaires. Donc, ils n’attendent pas de l’Etat un emploi. «Il n’y a plus de champs dans mon village… Si je restais au village, nous n’aurions pas de surfaces à cultiver. Nous allons survivre avec quel moyen ? Pis, en campagne on ne peut pas aller demander de l’aumône, comme on le fait dans les villes. Les populations ne sont pas mieux loties que les talibés. En ville, les enfants peuvent trouver une petite baguette de pain, un peu de riz et de l’argent», a fait remarquer Oustaz Touré.
Ses talibés viennent de la même contrée que lui, précisément le Saloum. Son souhait le plus ardant, c’est «acquérir un terrain où je vais construire une école coranique, pour en faire un internat. Allah, Le Tout Puissant peut nous aider à réaliser mes vœux», a-t-il indiqué.
Les enseignements dispensés ne sont pas contrôlés. Le quantum horaire n’est pas exigé dans les daaras. Il n’y a pas de programme établi à finir. Les talibés n’avancent qu’en fonction de leurs performances. Assimiler la leçon est la condition pour entamer une autre sourate. «A 5h du matin, tout le monde est debout. Les enfants commencent à travailler, jusqu’ à 6h 30mn. Je les libère à cette heure pour qu’ils aillent mendier. Ils doivent revenir impérativement au daara, à 10h, pour la deuxième séance de travail, plus longue, qui dure 3 tours d’horloge. Les retards ne sont pas tolérés, ils sont sanctionnés. Tous les contrevenants au règlement intérieur doivent rattraper le temps perdu, à la fin du cours. A 14h, ils arrêtent le cours pour faire la prière. Et ne reprennent l’apprentissage qu’à 15h 30mn, jusqu’à 17h», soulgne-t-il.
Mansour Touré a laissé entendre par suite que dans son daara, «il n’y a pas de châtiment corporel». Le bâton qu’il tient, dans sa main, c’est pour faire peur aux talibés, afin qu’ils travaillent bien, et dissuader les plus récalcitrants de perturber le climat de travail. «La discipline est fondamentale dans une école coranique. Car, l’éducation que l’on donne ici est religieuse. Les gens formés dans les daaras doivent être des exemples.»
Le nouveau bâtiment ne bénéficie pas d’installation électrique. Le soir, les conditions d’apprentissage sont difficiles. «On se sert de mon téléphone portable ou des lampes que l’on recharge chez les voisins pour l’éclairage de la salle. Les cours ne durent que 1h 30mn», a relevé M. Touré.
DAARAS MODERNES ET/OU INTERNATS
Que de «gymnastiques» pour ne pas disparaître !
Contrairement aux écoles coraniques traditionnelles, dans les internats ou daaras modernes, les conditions sont relativement meilleures. Mais, l’accès à ces écoles nécessite des moyens financiers importants. «Il faut avoir de l’argent car les études coûtent cher. On assiste à une privatisation tout azimut du système éducatif», déplore un habitant du quartier. Oustaz Alioune Sall, prêcheur à Sud Fm et tenant un internat dans la zone, précise : «nous accueillons des cas sociaux dans cet établissement. S’il faut avoir des moyens financiers pour accéder à l’éducation, cela est contraire aux principes de l’Islam. L’entraide, mieux la solidarité est une recommandation divine. Le bien matériel nous intéresse, certes. Mais nous espérons, à travers nos actions aussi, une récompense divine dans l’au-delà. C’est ça la vocation des daaras. Nous ne bénéficions pas de subvention de l’Etat. La situation n’est pas si reluisante».
Donc, les démunis ont leur place au daara «Ali Imran» de Oustaz Sall. Selon son Directeur général, les frais de scolarité n’arrivent pas à couvrir toutes les dépenses, alors que les charges sont énormes. Environ, 300 personnes y sont logées et nourries, sans compter les salaires des employés à payer tous les mois. L’établissement compte 25 salariés.
L’ETAT N’EXERCE AUCUN CONTROLE SUR LE CONTENU DES PROGRAMMES
En ce qui concerne l’enseignement dans ces daaras «Ali Imran», au nombre de sept implantés sur le territoire national (à Mboro, Saint-Louis, Kaolack, entre autres), il est assuré par des enseignants de qualité. Le système d’éducation est basé sur un modèle sénégalais. «Il est organisé en trois étapes : apprentissage de l’alphabet, la syllabisation et la lecture du Coran», a affirmé le Directeur général du «Daara Ali Imran», Oustaz Alioune Sall. L’Etat n’exerce aucun contrôle sur le contenu des programmes. Toutefois, il existe une Ligue des Daara, qui regroupe plusieurs associations au plan national. Elle veille au bon fonctionnement des enseignements-apprentissages dans ces écoles coraniques modernes, contrôle et sanctionne, au besoin, tous les manquements aux règles. L’organisation des daaras délivre des diplômes.
La mendicité, selon Alioune Sall, «c’est un fait qu’on ne peut condamner. Car, les talibés sont dépourvus de moyens financiers. Les écoles coraniques traditionnelles ne bénéficient pas d’aide encore moins de subvention de l’Etat.»
Interpellé sur les rafles des talibés, Oustaz Sall soutient que des propositions ont été faites aux autorités. Pour éviter de pareils incidents regrettables, l’Etat doit s’informer sur la capacité d’accueil des daaras. Cela permettra de régler définitivement le problème des enfants qui trainent dans la rue. «Les talibés ne sont pas des délinquants qu’on doit embarquer dans les fourgonnettes de la Police ou dans des voitures de Gendarmerie» déclare-t-il. Avant de soutenir : «les daaras modernes sont des internats. Dans ces institutions reconnues par le ministère de l’Education nationale, les enfants ne mendient pas».
L’école coranique Ali Imran, sise au quartier Darou Thioube sur la route des Niayes, est fondée par Oustaz Alioune Sall, le Directeur général, par ailleurs animateur d’émissions religieuses sur la première radio privée du Sénégal (Sud Fm). A l’entrée une affiche, apposée sur le mur, indique les résultats des examens du CFEE et de l’Entrée en 6ème 2021 2022. Les taux de réussite enregistrés sont respectivement de 86% et 95%.
Dès qu’on franchit le portail, des voix fusent. Les trois bâtiments sont occupés par les talibés qui récitent des versets du Coran. A droite, les salles de classe, l’école franco-arabe. Son fonctionnement est différent de celui du daara. L’école est dirigée par un directeur. Il est recruté par le propriétaire, Oustaz Sall. A gauche, on a la grande mosquée où les habitants du quartier viennent prier. Les contrôles sont stricts. Les élèves ne sont pas autorisés à quitter l’enceinte de l’établissement n’importe comment. Lieu d’éducation et d’apprentissage, la rigueur est de mise. Certains talibés, en six ans voire sept ans, mémorisent le Coran.
«ALI IMRAN», «GAMAL 2», «ABABACAR SYLLA» : A CHAQUE DAARA SES REALITES ET PROBLEMES
Dans l’école Gamal 2 de Niacoulrab, près du terrain de football, Oustaz Seck, l’unique enseignant assure les cours dans les deux classes. Il gère un effectif de 110 élèves. Il a été recruté par l’Association pour la promotion de la culture islamique au Sénégal. Les cours sont dispensés en langue arabe. Les enfants qui fréquentent cette école sont âgés entre 4 et 16 ans. Les frais d’inscription sont de 5000 FCFA. A la fin de chaque mois, les parents doivent payer 1500 FCFA pour leur enfant. C’est avec cet argent que l’enseignant règle ses problèmes. L’école ne bénéficie d’aucun soutien financier. Oustaz Seck, est titulaire d’un Baccalauréat Arabe et dispose d’une Autorisation d’enseigner délivrée par l’Inspection d’académie de Dakar. M. Seck n’est pas seul dans cette situation. «L’Association ne dispose pas de moyens financiers pour nous assurer un salaire. J’ai passé l’examen du CEAP. Si je réussis, je peux déposer une demande pour être recruté au niveau de la Fonction publique, pour enseigner dans les écoles. C’est mon unique espoir», a révélé M. Seck.
Certains élèves abandonnent l’école en pleine année scolaire, parce que les parents ne peuvent plus honorer leurs engagements. Dix enseignants sont passés dans cette école, avant lui. «Ils ont tous démissionné, les conditions étaient difficiles. Mais, moi, je ne vais jamais capituler. Sauf si je trouve quelque chose de meilleur», a déclaré le maître d’arabe Seck. Pourtant, ceux qui étudient jusqu’à l’obtention du Baccalauréat peuvent intégrer l’université, a laissé entendre Oustaz Seck.
Le fondateur de l’école Gamal Abdou Nancir est un Saoudien. Il est rentré en Arabie Saoudite. Ce sont des Sénégalais qui assurent le fonctionnement de l’association. Le cursus est sanctionné par des diplômes, de l’élémentaire jusqu’au secondaire.
Au daara Ababacar Sylla, en l’absence du propriétaire, Ibrahima Sylla précise que l’établissement compte 40 talibés. «Nous partageons ce logement avec eux. La promiscuité est un sérieux problème». La villa qu’ils occupent est à quelques mètres de la grande mosquée de Niacoulrab. Selon le responsable, Ibrahima Sylla, tous ces talibés ont un petit matelas. Ils mangent gratuitement. «Il doivent payer 20.000 FCFA à la fin du mois. Mais, parmi eux, ils y en a qui ont des arriérés. On ne peut pas les expulser du daara. Ils viennent de loin et leurs parents, en toute sincérité, n’ont pas d’argent», a souligné Ibrahima. Ici, en dehors de l’internat, «nous accueillons d’autres personnes. Nous les initions à la lecture du Coran. Sans réclamer le plus petit sou», a ajouté M. Sylla. «Si l’Etat décide de nous apporter son soutien, nous sommes preneurs. Mais, on n’en fait pas un préalable. Car, les gens sont nombreux à solliciter les autorités. Elles agissent en fonction des priorités», déclare-t-il. Les problèmes de ce daara, c’est la cherté du loyer, la restauration et les factures à payer.