Boostées par le soutien de l’État qui est passé à un milliard de FCfa, les cultures urbaines constituent, aujourd’hui, un sous-secteur dynamique concentrant plus de 500 structures, à travers le pays. En quête d’une structuration, les acteurs veulent faire de leur milieu un levier de développement économique et social endogène.
Par Ibrahima BA
Au pied du Monument de la Renaissance africaine de Ouakam, des jeunes sont venus de toutes les régions pour assister, ce jeudi 4 mai, à la deuxième édition du Forum sur les cultures urbaines du Sénégal. Entre les sons et les tons du rap, l’ambiance est conviviale et festive.
Cette année, ce forum se tient en présence de tous les acteurs majeurs du sous-secteur. Cela, avec l’objectif de « proposer des solutions pour faire des cultures urbaines un levier de développement économique et social endogène ». L’idée a surtout surgi après que l’État a pris des décisions à l’issue des rencontres en avril 2021 et décembre 2022 entre les acteurs et le Président de la République Macky Sall. Avec le renforcement du Fonds d’appui aux cultures urbaines, Optimiste Produktions, en collaboration avec Urban Culture Consulting, a réuni le sous-secteur pour se pencher sur les modalités d’octroi de ce fonds.
Pour Safouane Pindra, Président et manager de Optimiste Produktions, les critères reposent, entre autres, sur l’équité territoriale et les grilles d’attribution. La mise en place du Fonds d’appui aux cultures urbaines (Fdcu) a permis, aujourd’hui, d’avoir une statistique sur le nombre d’associations évoluant dans ce milieu. Au Sénégal, les cultures urbaines sont en pleine ébullition et regroupent en moyenne 500 structures, à travers tout le pays.
Selon Ahmadou Fall Ba, chef de projet du Maire de Dakar pour les cultures urbaines et Directeur de la Maison des cultures urbaines (Mcu), il faut une démarche participative pour réfléchir sur ce fonds public destiné aux acteurs.
Avec le nouveau Fonds de développement des cultures urbaines et des industries créatives (Fdcuic), qui a pris le relais du Fdcu, il pense qu’il faut « impérativement régler le problème de l’écosystème ». Selon lui, ce sont les acteurs qui doivent le construire en partenariat avec l’État. « Ce fonds doit travailler davantage à promouvoir l’écosystème. Les acteurs des cultures urbaines ne se mettent pas à côté quand il s’agit du statut de l’artiste ou de la copie privée, car ce sont des choses inhérentes à la culture », soutient M. Ba.
Difficultés en termes d’infrastructures
Au-delà de la répartition financière, l’acteur principal de l’association culturelle Africulturban insiste sur la formation et la mobilité des acteurs. Car, il faut « faire en sorte que les milliers de jeunes, qui sont dans les cultures urbaines, puissent trouver du travail », à travers la professionnalisation. Une équation indissociable au problème de la structuration. « Les cultures urbaines se portent très bien dans l’ensemble au regard du nombre d’acteurs. Il suffit juste de structurer et d’organiser le sous-secteur. En 2017, on a commencé avec 300 millions de FCfa, aujourd’hui, on est arrivé à un milliard de FCfa. Il faut, maintenant, voir comment cette somme peut nous impacter », laisse entendre Safouane Pindra.
Aux yeux de Gacirah Diagne, présidente de l’Association « Kaay fecc », la structuration vient avec la pratique et la formation, mais aussi avec le savoir-faire. « Aujourd’hui, les jeunes sont assez engagés par rapport à leur région et à leur pays pour surmonter ces difficultés. Je pense qu’il faut savoir passer les obstacles », soutient-elle. Les cultures urbaines constituent, selon elle, un mouvement « très dynamique » porté par une génération très engagée, depuis plusieurs années. Mme Diagne relève, cependant, des difficultés en termes d’infrastructures, de formation, d’évènementiel, de diffusion et de mobilité. Malgré toutes les difficultés, le président et manager de Optimiste Produktions reconnaît qu’actuellement le sous-secteur est en voie d’industrialisation, mais il manque une puissance financière, comme c’est le cas au Nigeria ou en Afrique du Sud. « Beaucoup de gens sont encore dans des associations. Or, on ne peut pas parler d’industrie avec ces associations », souligne M. Pindra.
DE 300 MILLIONS EN 2017 À 1 MILLIARD EN 2023
Le soutien permanent de l’État aux cultures urbaines
Même si les acteurs trouvent encore cet appui peu suffisant pour couvrir tous les besoins du sous-secteur, l’accompagnement de l’État du Sénégal aux cultures urbaines a connu une nette amélioration au fil des dernières années. Il est passé de 300 millions en 2017 à 1 milliard de FCfa en 2023. Le Gouvernement, dans la mise en œuvre des politiques culturelles publiques, a voulu ainsi accorder un intérêt particulier aux cultures urbaines. C’est dans ce sens que le Président de la République, en rencontrant, en décembre 2022, 26 « acteurs majeurs » du mouvement hip hop, dans l’initiative « Tarru Rap Galsen », s’est engagé à renforcer son soutien à ce sous-secteur, avec notamment l’augmentation du budget du Fonds de développement des cultures urbaines (Fdcu), qui est devenu Fonds de développement des cultures urbaines et des industries créatives (Fdcuic).
Depuis son instauration en 2017, le Fdcu a permis aux acteurs de se restructurer et de développer des projets favorisant la création de l’emploi et la professionnalisation du milieu. Dans certaines associations ou structures, une partie du budget provenant de ce fonds aide à gérer certains évènements et à identifier les besoins en termes de formation. En plus de permettre de structurer les administrations de quelques entités et d’équiper leurs locaux, le Fdcu a fini aussi d’impacter positivement la qualité des œuvres artistiques. Si dans le passé, pour enregistrer une chanson, les jeunes quittaient les régions pour se rendre à Dakar, aujourd’hui, explique Malal Talla, alias « Fou malade », membre fondateur de Guédiawaye hip-hop, ce fonds a permis de tout faire sur place. À titre d’exemple, Kaolack, qui n’avait pas d’infrastructures liées aux cultures urbaines dans le passé, se retrouve, aujourd’hui, avec plus de six studios.
Néanmoins, le chemin reste encore long pour arriver à construire une chaîne aboutissant à une véritable industrie culturelle dans ce sous-secteur. I. BA
MALAL TALLA ALIAS FOU MALADE, GUÉDIAWAYE HIP-HOP
« Il faut accompagner la jeune génération d’entrepreneurs culturels à se structurer »
Pour Malal Talla alias « Fou malade », membre fondateur de Guédiawaye hip-hop, le travail a permis d’aller vers les cultures urbaines en révélant beaucoup d’expressions artistiques populaires et urbaines. « Le hip-hop est politiquement, socialement et économiquement important », a-t-il indiqué. Aujourd’hui, pense-t-il, les cultures urbaines « se portent très bien » au Sénégal. « Le hip-hop a 35 ans au Sénégal. Il a permis à beaucoup de jeunes d’avoir un métier, d’être beatmaker, rappeur, Dj (« Disc-jockey ») ou animateur et de gagner décemment leur vie. Du point de vue social, il joue un rôle important dans la sensibilisation et la mobilisation de la jeunesse sur des questions en rapport avec leur quotidien. Il permet aussi de révéler des anonymes issus des quartiers pauvres ou populaires », informe Malal Talla. Celui-ci se félicite de la politique de l’État qui a mis en place le Fonds de développement des cultures urbaines, depuis 2017, lequel instrument aide le secteur à se structurer en certains critères dont la territorialisation. « Ce fonds permet aux jeunes de travailler. Aujourd’hui, on retrouve un peu partout des maisons des cultures urbaines. C’est un sous-secteur super bien organisé qui reconnait son poids politique et qui a son mot à dire sur des questions de démocratie et de bonne gouvernance. Le hip-hop est un outil d’émancipation citoyenne qui est fondamentalement important », souligne le rappeur « Fou malade ». Il reconnait qu’il y a, aujourd’hui, des organisations, dans ce milieu, qui doivent être restructurées. « Il faut accompagner la jeune génération d’entrepreneurs culturels à se structurer en les formant en entrepreneuriat culturel et en administration », avance Malal Talla. Toutefois, il reconnait qu’il s’agit d’un sous-secteur en avance sur les autres.
« LE SOLEIL »