Les travailleurs du Sénégal et du monde s’apprêtent à célébrer, ce lundi 1er mai 2023, la fête du travail. Une occasion saisie par l’ancien ministre de l’enseignement supérieur, Pr Mary Teuw Niane d’inviter les travailleurs du Sénégal à une introspection. Dans une tribune publiée sur sa page Facebook, ce dimanche 30 avril, l’ancien Recteur de l’université Gaston Berger de Saint-Louis établit le lien entre « travail et religion ». « Nous risquons tous d’aller en Enfer », déclare-t-il de manière péremptoire. « Notre propension à violer en catimini toutes les valeurs morales liées au travail vient, pour la majorité d’entre-nous, du fait que nous avons le sentiment que nous ne portons du tord qu’à cet État sans nom, sans personne physique, incapable de parler, qui est souvent injuste et inéquitable », analyse-t-il.
Seneweb publie in extenso, ci-après, cette réflexion du Pr Niane sur l’impératif de sacraliser le travail au Sénégal.
Nous risquons tous d’aller en Enfer
Un jour, il y a de cela quatorze ans, alors Recteur de l’UGB, vers dix heures du matin, j’appelais une amie qui travaillait dans un Ministère à Dakar.
Ma surprise fut grande de constater qu’elle se préparait langoureusement à aller au bureau. Je ne pus me retenir de l’interpeller: es-tu musulmane ?
Très surprise de ma question, elle me répondit immédiatement : bien sûr, je suis musulmane. Je repris la parole: sais-tu que Dieu a dit que si tu commets un péché à son égard, si tu Lui demandes pardon, dans Son immense magnanimité, Il peut te pardonner. Cependant lorsque tu commets un péché à l’égard de ton semblable tu devras d’abord obtenir son pardon avant de prétendre au pardon divin.
Je sentais au bout du fil la perplexité de mon amie Saint Louisienne qui n’arrivait pas à comprendre le sens de ma longue tirade. Je concluais ma démonstration mathématique : tu sais Khady, lui dis-je affectueusement, quand tu es en retard tu portes préjudice à toutes les Sénégalaises et tous les Sénégalais sans exception. Donc, pour que Dieu te pardonne ce péché, tu devras passer voir chaque Sénégalaise et chaque Sénégalais et leurs demander pardon.
Je terminai mon inspiration moralisatrice et religieuse en lui demandant : est-ce que c’est possible ? Mon amie me répondit: ce n’est pas possible !
Je sentis que je venais de lui appliquer une thérapie de choc. Je venais à ma grande surprise de relier le travail à la religion.
Elle n’avait jamais imaginé qu’être en retard pouvait être un péché irréparable. En effet comment faire pour passer devant chaque Sénégalais lui dire: Mamadou, je te demande pardon d’être venu en retard au travail !
Non seulement, sa haute estime de soi, ne pouvait lui permettre de se rabaisser devant les millions de va-nu-pieds, qu’elle regardait de haut, pour dire à chacun, pardonne-moi! Elle connaissait aussi le caractère généreusement malicieux des Sénégalais dont certains pour juste la contrarier n’allaient pas lui accorder leur pardon.
Elle anticipait le supplice qu’elle allait subir dans ce périple à la recherche de la rédemption. C’est pire que l’Enfer promis par Dieu à Ses pécheurs. Elle venait de comprendre la fameuse citation de Jean Paul Sartre : l’enfer ce sont les autres.
En réalité, dans ma réminiscence de mes versets coraniques combinée à mon raisonnement rôdé de mathématicien, je venais de mettre Khady devant une évidence que je ne soupçonnais pas: avant le Jugement dernier, il y avait les jugements des autres.
Ces jugements sont encore plus terribles car ils touchent à nos valeurs que sont le jom, le kersa, le fulla, le fayda !
Sur terre, le jugement des humains, lorsqu’on prend conscience de l’œil inquisiteur de son prochain, semble plus terrible que l’Enfer de l’Au-delà.