Le débat public est largement pollué de déclarations mensongères et d’informations erronées, notamment à des fins de propagande et de manipulation de l’opinion publique.
Au Sénégal, l’élection présidentielle est prévue le 25 février 2024 et tout porte à croire que la désinformation va brouiller cette compétition politique.
« Nous avons un train de retard sur la lutte contre la désinformation », selon Thomas Huchon, un journaliste d’investigation français, invité en mars 2023 dans le podcast d’Africa Check pour analyser l’affaire Story Killers. Dans cette enquête collaborative internationale, le président sénégalais Macky Sall, élu pour la première fois en 2012 et réélu en 2019, est cité pour avoir eu recours à une équipe spécialisée dans « l’influence, la manipulation électorale et la désinformation », dite Team Jorge, qui l’a soutenu pour sa réélection en 2019. Huchon, également spécialiste des questions numériques et professeur à Science Po Paris, pense qu’en raison de la circulation de fausses nouvelles en période de campagne électorale, les gens fondent leur opinion sur les candidats sur la base des informations erronées qui circulent.
Au moment où les Sénégalais se préparent pour l’élection présidentielle de 2024, « les révélations de Story Killers sont une nouvelle preuve que le danger est encore présent », souligne le journaliste sénégalais Samba Dialimpa Badji. Badji, chercheur à l’Oslo Metropolitan University (OsloMet), en Norvège, fait référence au fait qu’en 2019, année de la précédente présidentielle, « le Sénégal était déjà cité parmi les cibles d’une campagne d’influence menée par l’entreprise israélienne Archimedes Group, qui opérait en créant de faux comptes, de fausses pages et de faux groupes sur Facebook ».
Nous avons quelques raisons de penser que 2024 n’échappera pas au même scénario.
Les antécédents
Au Sénégal, comme ailleurs certainement, le débat public est largement pollué de déclarations mensongères et d’informations erronées, notamment à des fins de propagande et de manipulation de l’opinion publique. Depuis 2015, Africa Check examine le discours public au Sénégal et a déjà publié des centaines d’articles de vérification des faits (« fact checks ») sur des déclarations importantes faites par des personnalités de premier rang.
Samba Dialimpa Badji relève que la désinformation est déjà une réalité dans le débat public sénégalais, particulièrement dans le débat politique. « Déjà en 2019, on avait vu à quel point la désinformation était présente lors de la campagne pour la présidentielle. Donc, oui, je dirais que la présidentielle de 2024 sera marquée par la désinformation », soutient-il.
Comme lui, Assane Diagne, journaliste sénégalais et ancien directeur du bureau de Reporters Sans Frontières (RSF) pour l’Afrique de l’Ouest, pense que la désinformation sera au cœur des stratégies de campagne des différents candidats à la prochaine présidentielle au Sénégal. Dans les prévisions et les analyses sur cette échéance électorale, il souligne la nécessité de se rappeler que la désinformation n’est pas chose nouvelle et qu’elle a toujours été présente dans les campagnes électorales au Sénégal. Exemple : « En 1988, à la veille de l’élection présidentielle qui s’est tenue la même année, le pouvoir socialiste avait accusé Abdoulaye Wade, leader de l’opposition d’alors, d’avoir fait venir des mercenaires libyens au Sénégal pour ‘‘déstabiliser le pays’’ », rappelle-t-il.
Pour Diagne, en direction de la présidentielle de 2024, la désinformation est déjà mise en œuvre comme stratégie et se déploie tous les jours à travers les réseaux sociaux qui lui servent de moyens de diffusion.
L’accès à internet, aux réseaux sociaux et l’intelligence artificielle
Entre février 2019 et 2022, le taux de pénétration d’internet dans le pays est passé de 68,49 % à 99 % d’après l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) du Sénégal. Une importante croissance de l’accès à internet qui se reflète sur le taux de pénétration des réseaux sociaux dans le pays : de 21 % en 2019 à 29,9 % en janvier 2023, selon les statistiques pour le Sénégal de la plateforme DataReportal, à l’origine du rapport annuel « Digital » qui traite notamment des comportements sur internet et les plateformes sociales.
Pour Assane Diagne, plusieurs raisons poussent à croire que la désinformation sera présente lors de l’élection présidentielle de 2024 comme jamais auparavant. Parmi elles, cette augmentation croissante du taux de pénétration de l’internet qui « entraîne un accès plus facile aux outils de collecte, de traitement (manipulation) et de diffusion de l’information vérifiée et non vérifiée ». « Le Sénégal n’a jamais été aussi connecté qu’il l’est aujourd’hui. Il le sera encore plus en 2024 », signale Diagne.
De l’avis de Samba Dialimpa Badji, « ce qui va faire la particularité de la présidentielle du 25 février 2024 au Sénégal, c’est que les candidats vont de plus en plus se passer des médias (traditionnels) pour leurs activités de propagande. Avec les réseaux sociaux et autres plateformes digitales, ils vont directement s’adresser aux électeurs et ils pourront même adapter leurs messages à chaque plateforme et à chaque cible ». Les faits lui donnent raison quand on observe la manière dont communiquent les acteurs politiques engagés dans cette élection. Par exemple, le 28 mars 2023, une déclaration publique filmée d’Ousmane Sonko, chef d’une coalition de l’opposition sénégalaise et candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2024, a suscité plus de 142 000 commentaires et 34 000 partages sur Facebook. Des médias l’ont relayée sur YouTube et des extraits ont largement été diffusés sur TikTok, un réseau social très prisé par les jeunes au Sénégal.
Selon le rapport Digital 2023 de DataReportal, le Sénégal comptait 10,19 millions d’usagers de l’internet en janvier 2023 (contre 8,01 millions en janvier 2022), avec 3,05 millions d’utilisateurs actifs de médias sociaux incluant 2,60 millions usagers de Facebook.