Il est difficile de faire face à la traite des personnes s’il n’y a pas une documentation précise sur ce phénomène, qui ne cesse de prendre l’ampleur. Avec les réseaux et l’émigration, les trafiquants ont trouvé des créneaux porteurs pour attirer de plus en plus de personnes. Aujourd’hui, cette traite procure aux organisations criminelles internationales, des bénéfices estimés à plus de 30 milliards de dollars par an.
«La traite des êtres humains est l’un des trafics transnationaux les plus rentables et les plus répandus au niveau mondial, derrière celui de la drogue et celui des armes», révèle El Hadji Babacar Diop. D’après le directeur des Services judiciaires au ministère de la Justice, qui présidait hier la cérémonie d’ouverture de l’atelier de sensibilisation sur les collectes des données et de diagnostic de la politique de gestion des données et de système des statistiques sur la traite des personnes, «elle procure aux organisations criminelles internationales du monde entier des bénéfices estimés à plus de 30 milliards de dollars par an». Et le nombre de nouvelles victimes chaque année avoisinerait les trois millions. Ce phénomène est entretenu par l’internet et les réseaux sociaux. Bien sûr, l’émigration est devenue aussi une filière qui attire les trafiquants. «Des milliers de migrants et migrantes périssent toutes les saisons dans les eaux, faisant de la Mer méditerranée un des plus grands cimetières au monde. Ce qui explique l’amplitude inquiétante du trafic des êtres humains. En attestent les estimations du nombre de victimes au niveau mondial, qui tourne autour de plusieurs millions de personnes», note El Hadji Babacar Diop.
Cette activité lucrative, qui fait fi des droits fondamentaux des personnes, affecte beaucoup la gent féminine. Selon le dernier rapport de l’Onudc sur la traite des êtres humains, les femmes continuent d’être les principales cibles de cette traite. Pour 10 victimes détectées dans le monde en 2018, environ 5 étaient des femmes adultes, 2 des jeunes filles. De plus, environ 20% des victimes de cette traite étaient des hommes adultes et 15% de jeunes garçons.
Par ailleurs, au cours des 15 dernières années, la proportion des femmes adultes parmi les victimes détectées est passée de 70% à moins de 40% en 2018, tandis que la proportion d’enfants a augmenté, passant de 10% à plus de 30%, indique le document de l’Onudc. Pourtant, il n’y a pas de poursuites judiciaires. «Les auteurs de ces crimes ne finissent que trop rarement derrière les barreaux, tandis que les victimes luttent pour s’établir et se réintégrer dans la société, fruit de l’intimidation, de l’usage de la force, de l’agression sexuelle et de la menace de violence contre les victimes ou leur famille», se désole le directeur des Services judiciaires au ministère de la Justice.
Face à ce phénomène, il est important que le Sénégal ait des chiffres pour documenter cette criminalité invisible. Pour les organisateurs, l’absence de données primaires et exactes est un obstacle majeur à une surveillance et à une évaluation efficace des efforts de lutte contre la traite dans le pays. En ce sens qu’il est impossible pour les intervenants de savoir les mesures efficaces ou les lacunes existantes sur la traite des personnes s’ils n’ont pas accès à des données précises permettant de comprendre le phénomène.
Selon Dr Mody Guirandou Ndiaye, secrétaire permanent de la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes, «il ne s’agit pas seulement de poursuivre», mais «d’informer, de protéger les plus vulnérables, de sensibiliser afin que les Sénégalais sachent que le phénomène de la traite existe, qu’il est rampant et qu’il tue des fois et bafoue la dignité des êtres humains».
C’est toute la pertinence de l’atelier de sensibilisation sur la collecte des données organisé depuis hier par la Cellule nationale de lutte contre la traite (Cnltp), en collaboration avec l’Oim et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), et qui réunit des experts pour un renforcement de capacités à l’endroit d’acteurs-clés impliqués dans la collecte des données et la prise en charge des victimes de traite. «C’est pour voir comment avoir des outils qui nous permettront de collecter des données de façon fiable pour pouvoir mieux lutter contre le phénomène», précise Mody Guirandou Ndiaye, secrétaire permanent de la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes.
En tout cas, le ministère de la Justice attend avec beaucoup d’espoirs les recommandations qui sortiront de cet atelier. Car «elles constitueront sans doute des jalons importants dans la lutte contre ce qu’il est convenu d’appeler l’esclavage des temps modernes, aboutir à des résultats significatifs afin d’épargner des vies, de régénérer l’humanité et de restaurer la justice», promet El Hadji Babacar Diop