L’élevage est sans doute, avec l’alphabétisation et le reboisement, l’échec le plus cuisant des politiques publiques depuis l’indépendance.
Pratiqué quasiment par toutes les ethnies, l’élevage est considéré par l’opinion publique comme l’affaire des éleveurs peuls.
Les pouvoirs publics ne s’occupent pas du droit à l’éducation des enfants des éleveurs notamment des éleveurs-nomades. Ils sont abandonnés à eux-mêmes là où des pays sahéliens ont constitué des maitre-itinérants qui les accompagnent dans les déplacements de leurs parents.
La vache est une richesse exceptionnelle qui est restée en friche depuis les temps immémoriaux.
Imaginez qu’un litre de lait frais est vendu à Dakar à plus de mille (1000) francs CFA. Une vache qui produit trente litres de lait par jour et qui consomme dix mille (10 000) francs pour son alimentation quotidienne va fournir à son propriétaire vingt mille (20 000) francs de bénéfice par jour soit six cent mille (600 000) FCA par mois.
Ils sont rares les agents de l’État, des sociétés nationales et des collectivités territoriales qui gagnent par mois plus de cinq cent mille (500 000 ) FCA.
La transformation de nos vaches en de véritables vaches laitières est source d’enrichissement radical de l’éleveur qu’il soit peul, wolof, sérère, bédik, etc.
Pourtant le processus est connu et pratiqué dans le monde depuis des décennies.
Au Sénégal les éleveurs en col blanc pratiquent l’insémination artificielle. L’aristocratie politico-affairiste de l’élevage pratique aussi l’insémination artificielle ou la fécondation par des taureaux importés mis généreusement à leur disposition à des prix d’ami.
Pour accéder à ces modalités d’amélioration génétique du cheptel, l’éleveur ordinaire, le goorgoorlu, est appelé à payer comptent et cher le prix du taureau géniteur importé ou la dose pour l’insémination.
Quelle absence de vision depuis 1960 !
Ce refus de développer l’élevage traditionnel a enrichi les importateurs de lait en poudre, de beurre et d’autre produits laitiers.
Il fallut un reportage de France 24 pour que la TVA de 18% qui pénalisait le lait frais produit au Sénégal au détriment du lait importé soit levée.
Pour résoudre le problème de production de lait dans notre pays, enrichir l’éleveur comme en Hollande, provoquer la ruée des jeunes vers l’élevage, il est impératif que les pouvoirs publics prennent entièrement en charge l’insémination artificielle de toutes les vaches des éleveurs sénégalais dans un horizon de quelques années.
Pour cela une véritable politique de formation destinée à relever et à mettre à niveau les éleveurs et les personnels de support technique et d’accompagnement doit être menée en urgence : augmentation drastique du nombre de docteurs vétérinaires, formation massive d’infirmiers vétérinaires, création de centres départementaux de formation aux métiers de l’élevage et du lait, etc.
La recherche-développement doit aussi être relancée et renforcée par la création de centres régionaux de production de doses d’insémination et la création d’équipes opérationnelles sur tout le territoire national d’insémination artificielle.
Le volet conseil et accompagnement des éleveurs devra aussi être pris en charge pour les pouvoirs publics.
Les retombées d’une telle politique de rupture sont multiples.
D’abord, cette politique nouvelle conduira à l’enrichissement en premier de l’éleveur traditionnel, de sa famille. Ensuite, elle créera les conditions favorables à la naissance d’une véritable industrie du lait adossée sur des matiéres premières locales. Elle créera aussi de l’emploi massif pour les jeunes à travers la pratique devenue lucrative de l’élevage et les emplois créés par l’industrie laitière. Enfin elle enrichira le pays en supprimant les importations de lait et de produits laitiers, en exportants ces produits, en recueillant la TVA qu’ils vont générer, etc.
L’élevage est sans doute l’illustration de l’absence d’ambition de transformation nationale de nos hommes politiques au pouvoir et de la rhétorique improductive d’aspirants à ce pouvoir.
La terre de l’agriculteur a un propriétaire, l’agriculteur qui la cultive.
Depuis les indépendances les terres d‘élevage sont considérées délibérément comme sans propriétaire. Attaquées, grignotées de toute part, les terres d’élevage se réduisent comme peau de chagrin.
D’abord par les agriculteurs, puis aujourd’hui par les prédateurs terriens soutenus par des hommes et des femmes tapis dans l’appareil d’État, les terres d’élevage sont démembrées et les éleveurs poussés au conflit avec les agriculteurs et à l’abandon de leur métier ancestral.
Les pouvoirs publics doivent stopper immédiatement cette hémorragie des terres et instituer par la loi la propriété des pasteurs sur les terres de pâturage.
Aujourd’hui, le Ranch de Doli est l’objet d’un bras de fer entre les éleveurs et les gestionnaires du ranch.
Il est essentiel que les pouvoirs publics mettent un terme à ce conflit absurde en donnant droit aux éleveurs au détriment de l’aristocratie prédatrice de l’élevage qui cherche à s’emparer de ce bien commun.
Faire de l’élevage une source d’enrichissement, d’épanouissement et de bien-être doit être la vocation de tout pays qui aspire à l’émergence économique.
Le développement n’est rien d’autre que l’accès au bien-être pour chaque citoyenne et chaque citoyen.
Je vous souhaite un excellent week-end sous la protection divine.
Dakar, samedi 25 février 2023
* Mary Teuw Niane