Global Initiative révèle que le groupe Wagner, contrôlé par Yevgeny Prigozhin, s’appuie sur des offres sécuritaires et des activités d’influence politique pour s’assurer des concessions minières lucratives en connivence avec les élites politiques locales et promouvoir les intérêts de la Russie sur le continent. Zoom sur les sociétés de ce groupe.
La société militaire privée russe Wagner monnaie largement ses prestations de sécurité contre des ressources naturelles en Afrique et utilise tous les moyens, y compris des activités criminelles à grande échelle, pour accumuler les profits et promouvoir l’influence russe sur le continent, a souligné l’Initiative mondiale contre le crime organisé transnational (Global Initiative) dans un rapport publié le 16 février.
Intitulé « The grey zone : Russia’s military, mercenary and criminal engagement in Africa », le rapport souligne que ce groupe paramilitaire lié opérationnellement au ministère de la Défense et aux renseignements militaires russes GU (anciennement GRU) est devenu le fer de lance de l’influence russe en Afrique.
Depuis son premier engagement militaire documenté sur le continent à la fin de l’année 2017, le groupe fondé en 2014 par Yevgeny Prigozhin, un oligarque russe proche du président Vladimir Poutine, a gagné du terrain en Afrique. Il a déjà déployé des troupes dans cinq pays africains (Centrafrique, Libye, Mali, Soudan et Mozambique).
Le rapport, qui s’appuie essentiellement sur des recherches sur le terrain menées par Global Initiative en 2022, révèle aussi que des sociétés liées à Wagner et à Yevgeny Prigozhin détiennent des intérêts économiques ou mènent des opérations d’influence politique dans sept autres pays africains : Madagascar, le Cameroun, le Kenya, le Zimbabwe, la RD Congo, la Guinée équatoriale et l’Afrique du Sud.
Dans la plupart de ces pays, Wagner mêle « sécurité, prédation, business et politique ». Il propose en effet un ensemble de services susceptibles d’intéresser les autocrates en Afrique. Outre les mercenaires qui peuvent aider à assurer le contrôle territorial, il fournit également stratèges politiques chargés de manipuler et façonner le débat public en utilisant les réseaux sociaux et les campagnes de désinformation.
La coopération sécuritaire s’accompagne également d’un volet économique via l’implantation de sociétés russes, toutes plus ou moins reliées à Wagner et à Yevgeny Prigozhin. Wagner obtient en effet des permis d’exploitation de gisements d’or et de diamants directement auprès des hautes autorités de l’État et tente d’accaparer tout ce qui brille sans suivre les procédures légales.
Wagner se bâtit comme une holding
Désigné récemment par le gouvernement américain comme une « organisation criminelle transnationale », Wagner est régulièrement accusé par des ONG, des responsables occidentaux et des médias d’utiliser tous les moyens nécessaires – y compris des activités criminelles à grande échelle, pour atteindre ses objectifs apparents de profits matériels et de promotion de l’influence russe.
Ces accusations vont de l’usage indiscriminé de la violence contre les civils lors des opérations militaires à la contrebande des ressources naturelles, en passant par l’organisation de campagnes de désinformation et le trucage des élections. Et c’est pour cette raison d’ailleurs que Global Initiative estime que la société militaire privée opère dans la « zone grise », définie comme étant « l’espace ambigu qui s’étend de l’activité criminelle organisée pure et simple aux activités qui peuvent être présentées comme légales, en passant par les transactions léonines et les marchandages opaques ».
Le rapport souligne que la Centrafrique représente le modèle le plus révélateur du mode opératoire de Wagner en Afrique. Le groupe a fourni au président Faustin-Archange Touadéra un soutien militaire et politique, qui s’est avéré essentiel pour son maintien au pouvoir face à l’assaut des groupes rebelles, en échange de l’accès aux ressources naturelles du pays.
En Centrafrique, Wagner détient trois importantes sociétés liées au ressortissant russe Dmitri Sytii, l’un des dirigeants du groupe Wagner en RCA et le directeur du centre culturel « Russian House » à Bangui. Lobaye Invest a été la première société liée au groupe paramilitaire russe à recevoir des licences d’exploitation d’or et de diamants sur une grande partie du territoire de la Centrafrique en 2017. Les deux autres sociétés liées à Wagner sont la société minière Midas Ressources qui a obtenu un permis d’exploitation de l’or dans la région de Ndassima, et la société d’exploitation forestière Bois Rouge.
Alors que toutes ces sociétés paraissaient à première vue indépendantes à la fois les unes des autres et de Wagner, des enquêtes ont révélé leurs connexions avec d’autres parties de l’empire de Yevgeny Prigozhin. En Centrafrique comme ailleurs, Wagner se bâtit comme une holding. Une enquête menée par Dossier Center, une ONG soutenue par l’opposant russe exilé Mikhail Khodorkovsky, a découvert que des troupes Wagner étaient enregistrées sur le registre du personnel de Lobaye Invest. Dossier Center a également révélé que Lobaye Invest est une filiale M Finance, une société basée en Russie et contrôlée par le fondateur du groupe Wagner. L’ancien directeur de Lobaye Invest, Evgeny Khodotov, a aussi dirigé M Finance.
Des liens étroits avec les élites politiques locales
Le collectif All Eyes on Wagner a également fait état de liens entre Bois Rouge et la société militaire privée russe. Des troupes de Wagner protègent les zones couvertes par cette société d’exploitation forestière, alors que les registres d’importation montrent que Bois Rouge s’approvisionne auprès de la société russe Broker Expert qui fait partie de la galaxie Prigozhin.
Midas Ressources a aussi des liens avec des entreprises liées à Wagner basées à Madagascar. Léandric Rabenatoandro, un ressortissant malgache qui a dirigé Midas Ressources a des liens avec le directeur de Kraoma Mining, une coentreprise minière entre la société d’État malgache Kraomita Malagasy et Ferrum Mining, une société qui appartient à Prigozhin.
Le rapport note dans ce cadre que la création de Kraoma Mining serait un arrangement de contrepartie, donnant à Wagner l’accès à une partie des ressources minières de Madagascar en échange de son ingérence lors de l’élection présidentielle en 2018.
Contrairement aux intérêts économiques diversifiés observés en Centrafrique, les entreprises liées à Wagner au Soudan sont exclusivement actives dans le secteur de l’exploitation aurifère. Dans ce pays, le groupe paramilitaire russe a exploité ses relations avec des membres de la junte militaire pour accaparer des concessions minières et pratiquer la contrebande d’or à grande échelle.
Global Initiative note dans ce cadre que le général Mohamed Hamdan Daglo dit « Hemedti », numéro deux du pouvoir militaire au Soudan et patron des très redoutées Forces de soutien rapide (FSR), serait l’un des associés en affaires du groupe Wagner.
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La principale société contrôlée par les mercenaires russes dans le secteur aurifère soudanais est Meroe Gold, une filiale du groupe M Invest appartenant à Yevgeny Prigozhin. Après avoir fait l’objet de sanctions américaines, cette société a été rebaptisée Al Solag Mining.
Esnaad Engineering, une société contrôlée par des membres de la famille du général Hemedti, a importé à plusieurs reprises des équipements pour le compte d’Al Solag Mining, selon les données des douanes soudanaises.
Les relations d’affaires entre Wagner et les élites dirigeantes soudanaises auraient également facilité la contrebande d’or à grande échelle en utilisant des avions militaires, d’après des lanceurs d’alerte dans l’industrie de l’aviation et des sources gouvernementales.
Citant des sources médiatiques, le rapport indique par ailleurs que deux compagnies minières baptisées Alpha Development et Marko Mining auraient été créées au Mali par des individus ayant des liens avec Wagner, afin d’obtenir des concessions minières.
Sur un autre plan, Global Initiative note que certains signes laissent croire que de nouveaux pays africains comme le Burkina Faso cherchent à renforcer leur coopération avec la Russie alors que d’autres pays, dont le Cameroun et le Kenya, semblent plutôt servir de centres logistiques soutenant les opérations du groupe sur le continent.