Mutiler les filles dès la naissance, c’est la nouvelle méthode pour masquer les apparences. Dans le Sud, l’excision fait toujours partie des habitudes culturelles malgré les sanctions pénales encourues. Selon les résultats de l’enquête démographique de Santé 2019, les mutilations génitales féminines évoluent de 3% chaque année dans la zone sud. Même si la journée du 6 février, décrétée Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines, lors de l’Assemblée générale des Nations unies de 2012, ces pratiques, qui peuvent entraîner de très graves complications pour la santé et même provoquer la mort, sont toujours en cours.
Par Seydou Tamba CISSE – En dépit de la sévérité de la loi, la pratique persiste. Dans les régions naturelles de la Casamance, l’excision se fait au berceau. Une façon de masquer les apparences. Interrogés sur la question, les spécialistes de la santé à Sédhiou pensent que les conséquences de cette nouvelle méthode sont les décès inexpliqués des nouveau-nés, les jeunes filles peuvent se retrouver avec des maladies sans connaître la raison. Pire, elles peuvent grandir sans savoir qu’elles sont excisées.
Aujourd’hui, le constat se fait lors des consultations des femmes. Amy Diatta, coordinatrice de l’Unfpa des trois régions de la verte Casamance, sage-femme de formation, alerte sur la hausse de l’excision et réclame l’implication des religieux pour mettre fin à la pratique : «A lecture des résultats de l’enquête démographique de santé 2019, on constate une augmentation de la prévalence de l’excision. Elle passe chez les femmes de 15 à 49 ans de 23% en 2018 à 25% en 2019. Chez les jeunes de moins 14 ans, la prévalence de l’excision passe de 16% en 2019 contre 14% 2018. Ces données cachent les disparités régionales.» Elle ajoute : «Au niveau de l’axe sud où nous sommes, le taux est passé de 43% en 2018 à 46% en 2019, soit une augmentation de 3% en une année. Avec la loi interdisant l’excision, les gens le font en cachette et généralement ce qu’on a constaté, c’est l’excision au berceau. C’est la nouvelle méthode. C’est à la naissance des filles que les gens font cette pratique qui est néfaste pour la santé des enfants. C’est important qu’on implique les religieux, les chefs de village, entre autres.» Evidemment, la pratique persiste à cause des croyances traditionnelles. Awa Dramé, coordinatrice régionale de l’Ong Casades au niveau du bureau Sédhiou, mesure l’ampleur du combat : «Des fois tu peux aller dans une zone pour sensibiliser les populations, mais la première chose qu’elles vont te dire d’abord : «C’est une pratique culturelle, on ne peut pas l’abandonner, peut-être changer de méthode.» C’est ce qu’elles disent, mais soutiennent qu’elles ne peuvent pas l’abandonner définitivement. En outre, il y a des ethnies qui disent qu’une femme non excisée dégage une mauvaise odeur. J’ai une fois entendu ça. C’est pourquoi c’est un peu difficile de convaincre tout le monde. Malgré toutes ces difficultés, on sensibilise davantage sur les méfaits de ces pratiques. C’est pour cela que c’est considéré comme une forme de violence envers les jeunes qu’on excise.»
Rencontrée dans la circulation, une vendeuse de banane confirme les propos de Mme Awa Dramé, montrant que les croyances sont têtues. «L’excision est une vieille tradition. Si vous voyez que nous continuons à exciser, c’est parce qu’il y a des femmes qui sont malades, mais une fois excisée, elles guérissent. Oui cet aspect fait partie des raisons qui nous poussent à persister dans cette pratique.» Un homme sous couvert de l’anonymat ne cache pas ses appréhensions : «On a constaté que les exciseuses font de l’amalgame dans leur travail, de telle sorte que les femmes excisées ne sont pas en bonne santé. Elles sont souvent malades, souvent elles meurent et les enfants aussi perdent la vie à cause de ça. Vraiment nous voulons que ça cesse.»
Amadou Lèye Konté, habitant de Sédhiou, appelle la population à abandonner cette pratique qui est à l’origine de la mort de plusieurs femmes et jeunes filles. «Des études ont montré encore une fois de plus qu’une femme, quand elle est excisée, fait face à des complications lors de son accouchement et souvent cela peut causer la perte de l’enfant ou de la femme, ou quand elle entretient des relations sexuelles. Je pense nous avons tous l’obligation de nous serrer les coudes et de stopper ce phénomène-là.»
20 villages de Sansamba jettent les lames
Il reste que les mentalités évoluent. A Sédhiou, 20 villages, situés dans la commune de Sansamba, se sont engagés en décembre dernier publiquement, à l’abandon de l’excision et du mariage d’enfants. Dans la commune de Sansamba, logée dans l’arrondissement de Djibabouya et département de Sédhiou, et qui compte 24 villages et 12 hameaux, l’excision, les grossesses précoces, les mariages d’enfants, la non-déclaration des enfants à l’état civil restent toujours de sérieuses préoccupations pour l’Etat et ses partenaires. Ils multiplient les actions sur le terrain pour éradiquer ces fléaux. Dans sa mission de sensibilisation et d’éducation des communautés pour l’abandon de l’excision et des mariages d’enfants, l’Ong Tostan, après avoir obtenu la signature d’une lettre d’engagement de l’abandon de l’excision et du mariage d’enfants de 20 villages de la commune de Sansamba, a organisé une cérémonie de déclaration publique d’abandon de l’excision et du mariage d’enfants de ces 20 communautés à Sansamba. Cette confirmation de leur engagement s’est traduite avec la remise d’un document d’engagement d’abandon des mutilations génitales féminines et mariage précoce au sous-préfet de l’arrondissement de Djibabouya devant les responsables de l’Ong Tostan, de l’Affaire mondiale Canada (Amc), de l’Unfpa et des autorités de la commune.
Mouskéba Cissé, représentante des communautés déclarantes de l’abandon de l’excision et mariage d’enfants, insiste sur l’ignorance des populations, pour expliquer la persistance des mutilations génitales féminines : «Les femmes ignoraient les conséquences des mutilations génitales féminines et des mariages précoces. C’est pourquoi elles les pratiquaient, mais aujourd’hui, avec l’avènement de l’Ong Tostan, les femmes de la localité ont compris les dangers de ces pratiques néfastes. Si vous voyez que nous avons décidé d’arrêter l’excision, c’est parce qu’elle a trop de conséquences sur la santé des enfants. Et quand un enfant ne se porte pas bien, ce sont ses parents qui vont le soigner.» Elle poursuit ses explications qui étayent les raisons qui les ont poussées à jeter lames et autres : «En dehors de cela, les filles excisées rencontrent d’énormes difficultés lors de l’accouchement. Elles peuvent également être contaminées de plusieurs maladies lors de l’excision, parce qu’on utilise la même lame pour mutiler beaucoup d’enfants. En plus de cela, donner une petite fille en mariage peut engendrer beaucoup de conséquences, notamment les césariennes, les mortalités maternelles. Donc ces pratiques ont d’énormes conséquences pour les enfants et les parents qui dépensent beaucoup d’argent, c’est pourquoi nous avons décidé de dire non à ces pratiques néfastes. Plus jamais ça, et nous allons sensibiliser les autres femmes pour l’abandon total de l’excision et du mariage d’enfants.»
Cette déclaration publique de l’abandon de l’excision et du mariage d’enfants des 20 villages de Sansamba est un succès à consolider pour l’Ong Tostan qui mène plusieurs activités dans la localité, notamment dans le domaine de l’éducation, de l’environnement, de la santé, de la protection. Rose Diop, Coordinatrice nationale de l’Ong Tostan, soutient que cette déclaration est l’aboutissement d’un long processus : «C’est une cérémonie qui est d’une extrême importance, vu l’ensemble des activités qui ont été menées jusqu’ici, le processus, parce que c’était un long processus qui est passé par des activités par rapport à la sensibilisation et à la conscientisation des communautés sur les droits humains et responsabilités. Mais également par rapport aux activités de diffusions organisées, c’est-à-dire la sensibilisation des autres communautés qui n’ont pas eu la chance de bénéficier directement du programme. Donc tout ça a vraiment aidé à arriver à ce résultat.»
Avant l’engagement de ces 20 communautés, 18 autres villages de l’arrondissement de Djibabouya avaient fait leur déclaration de l’abandon de l’excision et du mariage d’enfants en 2005 à Marakissa et à Niassène Diola. Donc, rien que dans le département de Sédhiou, 38 villages ont pris l’engagement d’abandonner ces pratiques néfastes.
Nous avons tenté d’interroger le Service régional et département de l’Action éducative en milieu ouvert judiciaire (Aemo) de Sédhiou pour savoir les mesures prises pour juguler cette pratique. Malheureusement, il n’a souhaité de commenter la situation avec nous.
Situation au Sénégal : Le mal persiste
Le 6 février est la Journée internationale contre les Mutilations génitales féminines (Mgf). Selon l’Organisation mondiale de la Santé, plus de 200 millions de femmes ont été victimes de cette pratique nuisible et dangereuse, et 3 millions de filles continuent à y être exposées chaque année. Bien que de nombreux pays aient radicalement interdit cette pratique, l’ablation des organes génitaux persiste dans certains endroits où elle représente un rituel ancien lié à des facteurs culturels, religieux et sociaux en vigueur au sein des familles et des communautés. Il est reconnu dans le monde entier que la Mgf constitue une violation des droits humains des filles et des femmes. Au Sénégal, près de deux millions de filles et de femmes ont subi des Mgf. Au total, 25 % des filles et des femmes ont subi cette pratique, allant de plus de 90 % dans la région de Kédougou à un peu moins d’1% dans celle de Diourbel, selon des données de l’Unicef.
Pourtant, la loi punit ces pratiques, mais elle est rarement appliquée contre les personnes qui pratiquent l’excision. L’article 299 bis définit les Mgf comme une atteinte à l’organe génital de la femme par «ablation totale ou partielle d’un ou plusieurs de ses éléments, par infibulation, par insensibilisation ou par tout autre moyen». Il prévoit les sanctions pénales suivantes en cas d’infraction : la perpétration ou la tentative de perpétration des Mgf est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans ; si la Mgf entraîne la mort, la peine des travaux forcés à perpétuité sera toujours prononcée ; l’instigation, l’aide ou l’assistance à une Mgf est également passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans ; et la peine maximale sera appliquée lorsque les Mgf auront été pratiquées par ou avec l’assistance d’une personne relevant du corps médical ou paramédical.