Grands-mères, belles-mères, mères, tantes, épouses, belles-sœurs, cousines, nièces, filles, petites filles, amies, voisines, elles sont innommables tellement elles sont nombreuses les femmes qui sont dans nos vies, qui font nos vies.
De la douleur de l’enfantement à la joie inégalable de recevoir leur part du premier salaire d’un fils qu’elles ont patiemment éduqué, nos mamans, dans le silence des maisons, couvent imperturbables leur progéniture.
Stoïques face à la douleur et aux manques, nos mères œuvrent chaque jour à nourrir, vêtir et soigner toute la famille. Nos mères, ne sont-elles pas les mères de tous ceux qu’elles réveillent chaque jour à l’aube?
Premières à se lever, nos mères lasses après une journée sans répit, sont encore les dernières à se coucher. Y aurait-il une médaille du travail domestique qu’elle leur serait décernée à l’unanimité!
Dans les maisons que nos femmes tiennent à bras le corps, elles passent inaperçues, discrètes. Elles laissent parader orgueilleux leurs hommes qu’elles habillent à leur goût.
Après avoir négocié âprement les modalités des mariages en coulisse, nos femmes fines diplomates, laissent aux hommes l’autorisation d’aller à la mosquée, habillés de grands boubous froufroutants, sceller le mariage.
Au retour, les hommes assistent impuissants, à la déchéance de leur pouvoir fictif. Les femmes venues de partout ont établis leur quartier dans la rue, la cour de la concession, le salon, les chambres jusqu’à la chambre des parents. Les pauvres hommes sachant qu’ ils ont perdu toute autorité négocient pour se réfugier dans le salon du voisin, en attendant de recevoir la victuaille que les femmes généreuses leurs apportent.
Les hommes sont puissants et impitoyables lorsqu’ils sont avec une femme isolée. Ils sont impuissants face à la communauté des femmes tournant tout en dérision, drôles, joyeuses et solidaires.
Les salariés s’acquittent de la dépense quotidienne. Les femmes ont en charge tout ce qui ne couvre pas la dépense. Elles ont le devoir d’apporter le petit-déjeuner, le déjeuner, le dîner, de servir à boire les hôtes, d’habiller les enfants, le papa, d’amadouer la belle famille, d’honorer de quelques cadeaux les voisins.
Ce sont nos femmes qui sont les ministres de la convivialité, de la bonne humeur et artisanes de la teranga tant vantée. Sans elles, nos maisons seraient effroyablement tristes.
Princesses de nos cœurs, démons de nos perversions, les femmes sont les ciments de la cohésion familiale, catalyseurs de la paix sociale.
Elles forgent obstinément notre savoir-vivre et notre bienséance. Observatrices sans égales, d’un œil de lynx, elles détectent toutes les interstices sociales qui risquent de s’ouvrir.
Avec finesse, tendresse et élégance, elles s’évertuent à dompter le caractère débridé de leurs hommes belliqueux. N’eût été elles, notre société, aujourd’hui ramassis d’individus assoiffés d’argent et d’honneur, allait éclater en mille morceaux.
Dans le Jolof, elles font le rodéo debout sur des charrettes au milieu de chambres à air remplies d’eau. Sur l’autoroute à péage, elles se faufilent au risque de leur vie, à longueur de journée, entre les voitures, pour vendre leurs sachets d’amendes d’acajou grillées. Dans les rizières de la verte Casamance, elles s’échinent à repiquer et entretenir le riz. Dans les rues des villes, la calebasse sur la tête, elles vendent le lait. Au bord de la route elles vendent leurs marchandises aux voyageurs. Dans les maisons, les domestiques s’épuisent du travail impossible à achever. À l’école nos filles ont pris définitivement le dessus sur nos garçons désormais abonnés à la queue des classements.
Nos femmes sont infatigables !
Reçoivent-elles des éloges en retour, la rétribution méritée, les honneurs dues à leurs actions? Les hommes ont-ils pris l’habitude de reconnaître leurs dévouements ? Les hommes ont-ils ces petits mots de tendresse, d‘attention qui font tellement plaisir aux femmes qu’elles oublient tout l’effort surhumain consenti?
Les hommes savent-ils dire « je t’aime » à leurs femmes ?
Un petit mot approprié, bien placé, bien dit, avec un sourire avenant, est un remède irrésistible, une reconnaissance sans égale. Il touche directement sa sensibilité, attendrit l‘épouse, illumine sa journée.
Le temps n’est-il pas venu de décharger les femmes des tâches pénibles par l’accès à l’eau potable, l’accès à l’électricité, l’accès aux équipements de ménages et surtout la distribution des tâches ménagères.
Jeunes femmes et jeunes hommes, votre vie ne saurait s’écouler comme celle de vos parents.
Enracinés dans nos valeurs cardinales de culture, de religion, fiers d’êtres africains et croyants, vous devez bâtir une vie nouvelle de couple, plus équilibrée, plus équitable pour chacune et chacun, qui assure le plein épanouissement de la femme et de l’homme.
Les hommes se marient de plus en plus tard, les divorces se multiplient, les jeunes femmes-mères divorcées sont de plus en plus nombreuses dans nos familles, dans les villages, les quartiers et les villes.
Notre société, petit à petit, se désintègre jetant dans la rue des femmes qui ont rompu leurs amarres familiales.
Nous restons apathiques face au phénomène douloureux des filles-mères qui tuent leurs bébés à la naissance ou les jettent quelque part, avant de finir par être découvertes, et subir la double peine, par un emprisonnement certain alors que le père du bébé, coupable, vaque tranquillement à ses occupations ?
Acceptons-nous de poser objectivement le problème des filles-mères et de lui trouver une solution humaine, équitable qui ne sacrifie pas définitivement la vie de la fille?
Le principe « vérité-réparation-réconciliation » n’est-il pas une bonne solution terrestre en attendant le Tribunal divin.
Dans cet effondrement cataclysmique des valeurs, nos femmes émergent. Dans ce système implacable de nivellement des intelligences par le bas, nos femmes surnagent par la soif insatiable de connaissances. Dans cette atmosphère lugubre qui sent des odeurs de déchéance morale et éthique, les femmes s’élèvent dans un silence de cathédrale qui les éloigne des vacarmes peu rassurants.
Au-delà des grands marabouts, des leaders d’opinion, femmes, vous êtes le socle pacificateur de notre société.
Combien de conflits ont été réglés sans tambour ni trompette par des femmes !
Vous êtes capables entre quatre murs, les yeux dans les yeux, de dire la vérité à n’importe quelle personne, lui faire reconnaître ses torts, lui faire accepter les réparations morales, financières et matérielles qui en résultent, sans pour autant l’humilier, la traîner dans la boue, l’assassiner.
Il fut une époque où les hommes avaient la grandeur de reconnaître leurs erreurs, leurs fautes. Il est aujourd’hui le temps où la croyance à sa propre autorité, à la force physique, au bras long, à l’argent, aux multiples moyens de pression, emmure les hommes dans la dénégation publique à la place du repentir qui aurait soulagé leurs âmes.
Les femmes sont dans notre société de douces accoucheuses de vérité. Un mensonge échappe difficilement à une femme.
Jadis les reines, sur le lit, chuchotaient de bons conseils au rois à qui personne n’osait adresser publiquement la parole. Le moment n’est-il pas venu, femmes, que vous soyez réellement les reines de tous les hommes pour les remettre sur le droit chemin.
Dans ce pays pris par cette tempête océanique, ma mémoire convoque ma maman. La sérénité de ses paroles sages envahit toujours mon esprit inquiet:
- ne dis que ce que tu crois en ton âme et conscience.
Femmes, continuez, inlassables, à coudre d’un fil invisible, les pans de notre société que des mains sataniques s’évertuent à disloquer pour mieux l‘asservir.
Dakar, dimanche 29 janvier 2023
Mary Teuw Niane