Ce 12 janvier à Paris, le franco sénégalais Pathé Dione est décédé. Si vous ne connaissiez pas son nom, c’est simplement parce que l’homme cultivait la discrétion. Véritable pionnier de l’assurance en Afrique francophone subsaharienne Pathé Dione est l’homme qui a fait naître et grandir Sunu Assurance.
« Pathé Dione est décédé. » Annoncée par la grande majorité des médias économiques couvrant le continent, la nouvelle se répand comme une trainée de poudre dans les cercles financiers africains. Pour les profanes de la finance et des assurances, c’est peut-être la première fois que ce nom est entendu. Rien d’étonnant quand on sait combien d’efforts l’homme faisait pour être discret. Ce désir de discrétion, il le doit peut-être à son soldat de père ou alors, était-ce l’effacement qui caractérise le prof de mathématiques que rêvait de devenir le natif de Dakar. Qu’importe, et même heureusement, que Pathé Dione n’a pas fini soldat ou professeur. Grâce à lui, des milliers d’Africains ont désormais accès à une offre continentale d’assurance et à bien d’autres services financiers.
Par amour pour les maths
L’histoire de Pathé Dione commence en 1942 à Dakar, en plein Sénégal colonial, où il voit le jour. Dès qu’il a l’âge d’aller à l’école, son père, alors militaire de l’armée française l’inscrit dans une école de sa ville. Il y fait ses études primaires et secondaires, avant de partir pour la France où il étudie les mathématiques et rêve de devenir enseignant. Le jeune Sénégalais réalise son rêve et devient professeur de mathématiques à partir de 1966 à 24 ans. Un programme de coopération lui permet d’aller enseigner au Tchad pendant 6 ans. A son retour, il a envie de poursuivre ses études. « Seulement, j’étais déjà chef de famille. Je ne pouvais pas reprendre des études universitaires, notamment dans le domaine de l’économie, à temps plein. J’ai alors trouvé un job auprès des mutuelles du Mans, à l’époque ça s’appelait Mutuelles générales françaises, tout en étudiant. C’est là que j’ai découvert le métier d’assureur », révèle-t-il dans une interview accordée à Financial Afrik. A ce moment, il ne sait pas encore combien les assurances auront un rôle important à jouer dans sa vie. « Je n’avais pas pour ambition de rester dans ce métier », confie-t-il. A l’époque il pensait juste se servir de ce travail pour payer ses études et subvenir à ses besoins. Lorsqu’il obtient son doctorat en économie à la Sorbonne en 1980, la direction de la mutuelle du Mans lui conseille de suivre des formations dans le domaine des assurances.
L’assurance, sa deuxième naissance
« On m’a dit que je gagnerais à faire connaissance avec le secteur parce que les mathématiques que j’aimais bien y avaient une large place. Ils m’ont poussé à faire le concours d’entrée à l’Ecole nationale d’assurances à Paris. Une fois réussi on m’a demandé de faire le cycle supérieur qui durait deux ans puis l’équivalent d’un 3ème cycle au centre des Hautes études d’assurances », raconte Pathé Dione. Il y obtient ses diplômes en 1979 et est immédiatement embauché par un groupe américain, Cigna Corporation. En 1980, son nouvel employeur l’envoie en Côte d’Ivoire pour y créer une filiale, la Colina. Elle deviendra par la suite Saham, principal concurrent de Sunu. Son travail à Cigna Corporation le fait remarquer par l’Union des Assurances de Paris, qui fait de Pathé Dione, son directeur Afrique de 1984 à 1997, lorsque Axa, un autre assureur, assimile l’UAP après une acquisition. Mais Axa vise essentiellement l’Asie. « J’ai compris qu’Axa n’avait pas réellement de projet pour le continent africain qui était sous ma responsabilité pendant plusieurs années je me suis dit qu’il fallait faire faire quelque chose », confie Pathé Dione.
Pathé Dione pense alors à créer un assureur panafricain qui reprendrait les filiales africaines de l’ex-UAP. Après plusieurs demandes, Claude Bébéar, un des principaux protagonistes de la création du groupe Axa, accède à la requête de Pathé Dione et lui apporte même son assistance technique. Fort de ce coup de pouce et de son expérience internationale, le Sénégalais n’a aucun mal à emprunter auprès des banques, notamment du belge Fortis. En 1998, Pathé Dione abandonne à 57 ans le confort d’une carrière établie et de nombreuses certitudes pour créer le groupe Sunu, dans le but d’en faire un acteur phare du marché africain des assurances. « Nous avons créé la société au Luxembourg parce que tout simplement à l’époque ce pays avait une loi qui facilitait la création des entreprises et on était exonérés d’impôts », se rappelle Pathé Dione. Quelques mois plus tard, en 1999, à la grande surprise des marchés, Sunu Finances, société mère du groupe, acquiert 5 des filiales d’Axa.
Une aventure inédite dans le secteur africain de la bancassurance
10 ans après sa création, le groupe Sunu a grandi. Il comprend 15 compagnies. Pathé Dione confie la gestion de cet empire naissant a des directeurs assistés d’un conseil d’administration. Ils chapeautent près de 800 employés qui aident à générer à la fin de l’exercice 2007 avec un chiffre d’affaires de 78 millions d’euros.
« A la fin de l’exercice clos le 31 décembre 2020 nous avons un peu plus de 4000 collaborateurs. Le groupe est installé dans 16 pays en Afrique subsaharienne francophone et anglophone et est composé de 29 sociétés huit compagnies d’assurances vie, 15 non vie, une banque, une société de microfinance et une société de gestion de santé », expose Pathé Dione en 2021. Le groupe revendique à cette époque un chiffre d’affaires de 315 millions d’euros. Il est aujourd’hui le leader de l’assurance vie dans la zone CIMA (conférence interafricaine des marchés d’assurances).
Après avoir diversifié ses activités en créant Sunu Banque Togo et en rachetant, au Sénégal, 54,11% des actions de BICIS, la filiale locale de BNP Paribas, Pathé Dioné passe le témoin à Mohamed Bah, directeur général délégué du groupe de bancassurance Sunu, pour diriger l’empire qu’il a construit. L’héritier de la volonté de Pathé Dione est mathématicien comme lui, même si, après lui avoir passé la main, le Sénégalais ne s’éloigne pas totalement de son groupe. Pathé Dione est en effet resté président du conseil de direction de Sunu.
Le natif de Dakar passe également à la postérité pour son attachement à l’Afrique, lui qui se montrait fier de n’avoir « pas un seul franc investi en dehors du continent ».