Située au cœur de Dakar, la Médina connait plusieurs problèmes liés au cadre de vie. 108 ans après sa création, la vétusté du quartier et la promiscuité restent les plus grands défis.
L’avenue Blaise Diagne est l’allée la plus populaire de la Médina. Sur cet axe routier fréquenté, les bâtisses coloniales vieillissantes et des immeubles dessinent une architecture hétérogène. « Médina ou « Médinatoul Mounawara » (la ville illuminée), c’est le nom donné par El. Hadji Malick Sy en 1914, après le déguerpissement de six villages Lébou du Plateau, suite à une épidémie de peste », raconte Fatou Diouf. Elle habite à la Médina depuis une quarantaine d’années. Malgré la chaleur étouffante en cet après-midi, elle est à l’abri de la fumée suffocante qui se dégage des pots d’échappement des véhicules coincés dans les embouteillages. « La Médina où nous avons grandi n’est pas celle d’aujourd’hui. Le cadre de vie s’est fortement dégradé depuis quelques années. L’anarchie qui règne dans le quartier est invivable », déplore notre interlocutrice d’un ton désolant. Selon elle, le quartier fait face à plusieurs défis, notamment les bâtiments délabrés et les eaux usées.
Un système d’assainissement vieillissant
À la rue 41 angle 22, les eaux usées stagnantes, mélangées aux détritus d’ordures, rendent le cadre de vie, jadis propre, insalubre. De petits groupes de personnes essaient, tant bien que mal, de se frayer un chemin sur les tas d’immondices qui dégagent une odeur pestilentielle. Les maladroits s’en sortent avec les chaussures trempées. Un problème persistant, selon Modou Bakhoum, 48 ans. Ce menuisier, à l’accoutrement de style « Baye Fall », est témoin de la dégradation du cadre de vie. « Le réseau de canalisation date de l’époque coloniale. Il est vétuste. Cela fait plus de 20 ans que nous vivons ce calvaire. Malgré les efforts consentis par les autorités pour goudronner la rue, le phénomène persiste », déclare-t-il, informant que la rue se situe dans un marigot remblayé. « La nappe phréatique est à quelques mètres. Quand elle est saturée, les eaux souterraines se mélangent aux eaux usées, rendant la rue impraticable aux piétons », explique Modou Bakhoum.
Moussa Sène estime que la présence de flaques d’eau a favorisé le développement des gites larvaires. « Nous sommes exposés aux piqûres de moustiques, responsables du paludisme et des maladies diarrhéiques », regrette-t-il. Ce riverain, de taille moyenne, souligne que plusieurs familles ont déménagé à cause du reflux des égouts. À ses yeux, la remontée de la nappe est à l’origine de fragilisation de la structure de plusieurs maisons.
Des bâtiments qui menacent ruine
À Gouye Salane, sur la rue 31, les maisons vétustes se comptent par dizaines. Sur cet axe, des édifices vieillissants, qui menacent de s’effondrer à tout moment, hantent le quotidien des habitants. Les fissures sur les façades témoignent de la fragilité de certains immeubles. L’ossature de fer rouillé qui charpente quelques balcons de ces édifices s’aperçoit à l’œil nu. « Ces bâtiments sont vétustes, il faut les démolir complètement avant qu’il ne soit trop tard », se plaint Ngagne Niang, tout en pointant du doigt un immeuble récemment vidé de ses occupants. La trentaine révolue, ce riverain estime que cette situation est causée par le manque d’entretien. « Les propriétaires ne sont intéressés que par le profit. Ils ne se soucient pas de l’état des immeubles », constate M. Niang. Il fait savoir que « il y a quelques mois, deux personnes ont été tuées dans l’effondrement d’une dalle à la rue 37 », informe notre interlocuteur qui avoue qu’à la Médina, des maisons en terrasse sont érigées en immeuble sans tenir compte de la solidité de la structure. « Il y a des logements qui sont surélevés en plusieurs étages sans que des études préalables ne soient faites », déplore Ngagne Niang.
À Santhiaba, dans ce mythique « Penc » des Lébou de Dakar, les grandes concessions constituées de baraques surmontées de tuiles rouges sur la toiture rappellent la Médina de l’époque coloniale. Ici, un autre avis qui entre en divergence avec celui de Ngagne est émis par Mamadou Fall. Chapelet à la main, il murmure des versets coraniques sous l’ombre d’un baobab situé dans l’esplanade de la mosquée du quartier. Ce notable Lébou, en djellaba noire, souligne que « le manque de moyens explique la dégradation avancée de plusieurs bâtiments ». Selon lui, la plupart des maisons sont des domiciles familiaux. « Certains propriétaires n’ont pas assez de moyens pour démolir et reconstruire leurs maisons. Les édifices appartiennent à des familles nombreuses et qui ne disposent pas d’assez de moyens pour entretenir ou réfectionner », estime le doyen. Il révèle qu’il y a des maisons qui sont fermées depuis des années, attendant que leurs propriétaires puissent avoir de quoi les reconstruire. « Certains ne se contentent que de rafistoler leurs bâtiments pour ensuite les louer aux plus offrants. Parfois, c’est très lucratif », avoue-t-il, avançant l’explosion de la demande de logement dans le quartier.
Surnommée autrefois le « quartier indigène », la Médina n’est plus que l’ombre d’elle-même. Son riche patrimoine architectural, composé de maisons en pavillon de style colonial, auquel s’ajoutent des bâtisses de style moderniste en vogue dans les années 50, est presque tombé en décrépitude.
L’encombrement de la voirie
La Médina est l’un des quartiers les mieux lotis de Dakar. Son plan en damier, composé de larges rues latitudinales et longitudinales qui s’entrecoupent en angle droit, facilite le déplacement dans le périmètre du quartier. Cependant, cette commodité d’antan est mise en mal par l’occupation anarchique de la voirie urbaine, notamment sur la rue 24. Sur cet axe, les nids de poule, gorgés de boue noirâtre, rendent difficile la circulation des véhicules. Sur les trottoirs, des enclos de mouton, des épaves de voitures et des scooters garés en bataille se côtoient. C’est la désolation.
Une situation que déplore Issa Diakhaté, 28 ans. Ce natif de la Médina est très en verve sur les questions environnementales. En « sweat blanc » et cheveux en afro, il souligne que l’anarchie qui règne dans les artères du quartier est devenue insupportable. « Il fut des temps où les rues étaient très spacieuses. On y organisait même des matches de football. Ce n’est plus possible avec les tas de gravats et les petits commerces qui fleurissent en grand nombre », se rappelle-t-il. Selon lui, la Médina n’offre plus un cadre de vie adéquat. « Beaucoup de familles ont vendu leurs maisons. À la place, de grands immeubles surpeuplés sont construits sans parking ni système d’assainissement adéquat », se désole-t-il.
Cependant, avec la finition du projet de renouvellement des réseaux de canalisation de la corniche ouest et le plan d’urgence de modernisation, les Médinois espèrent retrouver le visage reluisant de leur quartier.
XAVIER RICOU, ARCHITECTE ET URBANISTE
« La Médina, qui avait une vraie âme, une vraie identité, n’en a plus »
Architecte et urbaniste, Xavier Ricou souligne que le réseau d’assainissement, construit à l’époque coloniale, ne peut plus fonctionner à cause de la surpopulation. « Les canalisations sont vétustes et ont été rarement entretenues après les indépendances », affirme-t-il. Cela s’ajoute, d’après l’urbaniste, aux comportements indisciplinés des populations. « Les égouts et avaloirs sont transformés en dépotoirs, ce qui contribue à la dégradation du système d’assainissement », explique-t-il. L’urbanisation galopante a, selon lui, contribué à la destruction du charme et de l’identité du quartier centenaire. « On détruit des bâtisses coloniales, parfois de très haute qualité et adaptée à l’environnement, pour en faire des bâtiments plus rentables, de moins bonne qualité et sans identité. La Médina, qui avait une vraie âme, une vraie identité, n’en a plus », souligne Xavier Ricou. À ses yeux, le profit est privilégié au détriment du cadre de vie. « Dans ce quartier, les gens construisent pour gagner toujours plus d’argent. Des immeubles de mauvaise qualité sortent de terre comme des champignons sans respecter les principes architecturaux de base comme l’aération, l’ensoleillement ou simplement le confort », dit-il. Selon lui, le basculement de la Médina en « Skyline » n’est pas sans conséquence. « Ces immeubles étouffent le quartier en bloquant la circulation des vents d’où l’absence de ventilation, l’augmentation de la pollution de l’air et des maladies respiratoires », soutient-il. Pour lui, la Médina ne peut plus contenir autant d’habitants par rapport à sa superficie. « Lors de sa création en 1914, la Médina a été lotie pour loger quelques milliers de personnes déguerpies de Dakar-Plateau et pour accueillir les tirailleurs de retour de la Grande Guerre. L’encombrement et les embouteillages sont des illustrations parfaites de ces dysfonctionnements. Dans les années 50, un Pdu (Plan directeur d’urbanisme) prévoyait de déplacer la Médina vers l’actuelle banlieue de Dakar, pour en faire des jardins. Cette idée très ségrégationniste a été abandonnée, probablement, car elle n’était pas très réaliste », détaille-t-il.
L’urbaniste indique qu’« il serait très compliqué de régler les problèmes actuels de la Médina, dont l’origine est très lointaine ». Selon lui, la vraie solution à tous les problèmes de la Médina et de la presqu’île du Cap-Vert en général, consiste à créer de nouveaux pôles urbains hors de Dakar pour alléger la capitale. « La mise en place du pôle urbain de Diamniadio est une bonne chose, mais il faut encore aller plus loin dans le désengorgement de la capitale », explique-t-il.