Le rapport rendu public il y a une semaine par la Cour des comptes continue d’alimenter la chronique. Au-delà de l’indignation légitime, des interrogations ne manquent quant à certaines incriminations faites par exemple au ministère de Moustapha Diop et au DAGE du ministère de la Culture, Léonce Nzalé. Comment en effet, comprendre qu’on puisse reprocher au ministre Moustapha Diop de nommer un gestionnaire alors que rien, au plan réglementaire, ne s’y oppose. Le débat fait à Léonce Nzalé pose aussi problème. Car, la Cour des comptes lui exige des factures, rejetant les preuves de transfert par Orange money dont l’usage s’explique amplement par le contexte de restrictions lié au confinement. Il y a légitimement des raisons d’interroger la Cour des comptes.
Le rapport de la Cour des comptes qui a épluché l’usage des 700 milliards de FCFA destinés à la riposte au Covid-19 fait toujours débat. Sur 180 pages, les contrôleurs ont, en effet, épinglé la gestion du fonds de riposte à la pandémie. « Des fautes de gestion et des infractions pénales » présumées ont été commises durant les années 2020-2021. Le rapport met le doigt sur des enfreintes au code des marchés publics ou des conflits d’intérêt qui donnent le tournis. Les contrôleurs épinglent une surfacturation de plus de 2,7 milliards de FCFA sur le prix du riz acheté et distribué aux populations les plus en difficulté durant la pandémie. Le rapport surligne 19 milliards de FCFA destinés à des dépenses sans rapport avec le Covid-19. C’est le cas de l’achat de bacs de fleurs au profit du ministère de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique. La Cour des comptes a produit son rapport sur la gestion du Fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 (Force Covid). A l’arrivée, la Cour des comptes fait douze demandes d’ouverture d’une information judiciaire contre les agents mis en cause. Sur la liste figure huit ministères et l’hôpital de Kaffrine.
Le Dage du ministère du Développement communautaire invité à s’expliquer sur une surfacturation
Au ministère du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale, le directeur de l’administration générale et de l’équipement (Dage) doit s’expliquer sur une surfacturation sur le prix du riz estimée à 2 milliards 749 millions 927 mille 498 francs CFA. Le Dage du ministère de la Jeunesse est soupçonné d’avoir gonflé des prix pour du gel hydro-alcoolique pour 41 millions 217 mille 580. Le Dage du ministère de la Femme, de la Famille et du Genre, est mis en cause pour des dépenses non justifiées de 93 millions 209 mille 500. Au ministère des Mines, le Dage de l’époque, Alassane Diallo, est épinglé pour le paiement d’un service non effectué.
La Cour des comptes a également épinglé le directeur de la Prévention au ministère de la Santé et de l’Action et demandé le remboursement de 10 millions 740 mille FCFA. Les auditeurs reprochent en outre à ce dernier d’avoir libellé des chèques au nom de trois personnes physiques différentes alors que le créancier de l’État, destinataire des paiements concernés, est une entreprise (Dina Famili).
L’ex-comptable de l’hôpital de Kaffrine est parmi les agents soupçonnés de malversations. Les auditeurs lui demandent de justifier 45 millions de FCFA.
Des bizarreries relevées
Il y a toutefois problème. Car, au ministère du Développement industriel et des Petites et Moyennes industries où trois personnes sont visées par les demandes d’ouverture d’une information judiciaire, la Cour des comptes semble se gourer. Elle reproche au ministre d’avoir nommé un gestionnaire alors qu’il n’en a pas le droit. Rien, au contraire, ne s’oppose à la volonté du ministre de nommer un gestionnaire. Le ministère des Finances a carte blanche pour nommer les ACP.
Autre « dérive » de la Cour des comptes : le refus opposé au Dage du ministère de la Culture de faire usage des preuves de paiement par Orange money où il est mentionné le numéro de téléphone. Or, personne n’ignore que le contexte du Covid-19 est fait d’énormes restrictions à cause du confinement. C’est l’Etat lui-même qui a plaidé pour l’allègement de certaines procédures en raison du strict minimum qui affectait le fonctionnement de l’administration.
A l’évidence, ce rapport de la Cour des comptes amène à s’interroger sur la rigueur ayant présidé à son élaboration. A-t-on pris suffisamment de temps pour interroger les failles incriminées ? Cherche-t-on à abattre certains adversaires en faisant recours à cette prestigieuse institution ? Comment peut-on ignorer que la nomination d’un gestionnaire fait bel et bien partie des prérogatives du ministre ? Car, à la fin de chaque année, le ministère de l’Economie et des Finances demande aux ministres de procéder à la nomination de leurs gestionnaires et de leurs administrateurs de crédit et d’indiquer le spécimen de leur signature. Il n’y a par conséquent aucune irrégularité qu’on puisse opposer au ministre Moustapha Diop au sujet de son gestionnaire. En est-on conscient à la Cour des comptes ? On peut bien en douter. Autre bizarrerie, le rapport de 2018 et celui de 2019 n’ont pas été publiés et subitement, on fait fuiter un rapport de 2020-2021 ? Pourquoi les enquêteurs n’ont pas voulu aller vérifier la véracité de la réponse de la DAGE du ministère de l’Industrie auprès des fournisseurs.
Voilà autant de questions qui devraient pousser l’autorité et le public à interroger la Cour des comptes, notamment le profil d’entrée des magistrats, la formation qui doit leur être administrée et la régularité de la publication des rapports. Autrement, les rapports de l’institution seront constamment décriés et les mis en cause auront la légitime position de remettre en cause le soupçon qui pèsent sur eux et d’asseoir l’idée qu’on leur mène un combat injuste.
Ce rapport de la Cour des Comptes n’est pas sans conséquences sur les personnes citées. Déjà, la clameur publique les loge dans le lot des détourneurs. L’histoire récente nous montre que généralement que les personnalités envoyées au Tribunal en pareil cas, s’en sortent parce que le dossier n’a pas une base solide. On se souvient de Idrissa Sall, Bara Tall et Aida Ndiongue qui ont été traînés en Justice. Mais ces dernières subissent un préjudice moral relatif au poids du regard des autres et une image ternie à jamais. Même leurs familles en pâtissent. Ils sont perçus comme des « voleurs de la République » même s’ils bénéficient d’un non-lieu.