Après la pluie, le beau temps. Dans le Fouta, l’hivernage a été très pluvieux, occasionnant ainsi l’abondance des pâturages. Et depuis quelques mois, le lait caillé inonde les marchés. Et les vendeuses, très matinales, se frottent aussi les mains. Il reste que la polémique sur la méthode de vente ou d’achat n’est jamais éteinte : les inconditionnels du lait caillé, qui s’attendaient au «barja» (échange de deux cuillères ou louches en bois contre une pièce de 25 francs), à la vente du litre de lait caillé à bon prix et au troc, sont obligés cette année, de s’en procurer par le «haadi haada» (échange paritaire : une cuillère ou louche en bois de lait contre 25 F Cfa).
Depuis des années, les scènes sont les mêmes : au petit matin, les vendeuses, calebasse en bois ou seau de lait caillé sur la tête, envahissent les localités voisines de leur hameau pour faire leur business. En groupes, calebasses recouvertes de van sur leur tête pour aller retrouver leur clientèle, les vendeuses de lait caillé se dispersent à l’entrée des localités de leur commerce. Certaines rallient le marché et d’autres font le porte-à-porte ou arpentent les sentiers et ruelles des villages et communes pour vendre leur produit. En cette période post-hivernale, elles profitent de l’abondance des pâturages, après une forte pluviométrie, occasionnant la disponibilité du lait. Et en grande quantité. En général, le «barja» (deux cuillères ou louches de lait contre 25 francs) est l’unité de mesure. Dans le business, c’est la méthode du troc qui est appliquée. Mais, le «haadi haada» (une cuillère ou louche de lait contre 25 francs) de la saison sèche persiste dans les habitudes.
Echange paritaire
Les termes traditionnels d’échange du lait caillé, à savoir le troc, appelés «haadi haada» et «barja», sont en vigueur selon les saisons. D’habitude, le premier terme d’échange est appliqué durant la longue saison sèche, alors que le second est de mise pendant l’hivernage et quelques mois plus tard. Mais le «haadi haada» continue de régner même après le bon hivernage de cette année et l’abondance des pâturages. Et les acheteurs de lait caillé au quotidien, qui ne sont pas enclins à appliquer le «haadi haada» en cette période, continuent de s’en procurer. Les vendeuses arguent, quant à elles, la vie chère et l’augmentation du prix de vente. Pour elles, ce commerce permet d’assurer l’achat des condiments pour les repas, la dépense quotidienne en cette période de cherté de la vie.
Au marché de Galoya, six vendeuses, assises chacune sur un morceau de tissu étalé sur le sol, sont alignées le long de la grande artère du marché. L’une d’elles, Faty Aly, venue de Thiabourlé, situé à 2 km de Galoya, yeux rivés sur ses deux calebasses remplies de lait, décla-re : «D’habitude, je rentre les calebasses vides avant 10 heures et cela me permet d’assurer la dépense quotidienne. Jusqu’au mois de février au moins, je peux m’assurer d’avoir entre 1600 et 2000 francs par jour.» Une autre vendeuse, Djeynabel, tatouée sur la lèvre inférieure, habillée d’un «meulf» bleu, faisant le porte-à-porte à Pété, avec deux seaux de 10 litres de lait chacun, sans préciser la somme qu’elle gagne, informe : «Avec ces deux seaux remplis de lait caillé, j’assure la dépense quotidienne et d’autres besoins.» En cette matinée de lundi au marché de Lougué, deux vendeuses de lait caillé immobilisent une charrette chargée de gibecières en cuir. Les nombreux acheteurs, qui les attendent chaque jour, se ruèrent vers elles. La plus âgée, avec son bébé sur le dos, s’écria : «Permettez-nous de verser le lait des gibecières dans les seaux et tout le monde sera servi.» Et d’un ton moqueur, elle ajoute : «Bien sûr, si vous avez de l’argent, car ma fille et moi voulons rentrer aujourd’hui avec plus d’argent.» Pour ces vendeuses et d’autres rencontrées précédemment à Thilogne, «l’essentiel, c’est de satisfaire les besoins de leurs familles». «Nous voulons rentrer avec du poisson et des condiments pour les repas et, des fois, avec une petite somme», racontent-elles. En cette période, le commerce du lait caillé de vache, contrôlé exclusivement par les femmes, domine les «nékh soow» dans les boutiques, tenus la plupart par des hommes. A Tarédji, les vendeuses, nettement moins âgées, proposent leur lait caillé aux voyageurs dans les transports en commun. Elles ont stocké leur produit dans des bouteilles d’1 litre ou de 5 litres, prisé par les clients en partance pour Dakar et Thiès… Sur l’arrêt principal des voitures venant de l’intérieur du Fouta, elles proposent la bouteille d’un litre à 500 francs. Grâce à la position carrefour de ce village, les populations se procurent le lait grâce aux vendeuses qui viennent du Diéri (zone excentrée de la Route nationale).
Depuis la fin du mois d’août, le litre, qui se vendait à 100 francs, est passé à 200 francs. A. Sall explique cette augmentation : «Nous achetons vraiment le lait caillé à bon marché, mais ce sont les revendeuses qui augmentent le prix, surtout avec les voyageurs.» Au marché et à la Gare routière de Ndioum, c’est aussi la règle.
Le «barja» et le troc hors du marché
Avec un hivernage comme celui de cette année et l’abondance des pâturages permettant la grande production de lait caillé, le «barja» s’imposait pour la vente du produit et le troc était en vigueur. Mais, le constat est que le «barja» (deux cuillères ou louches en bois à 25 francs) et le troc, qui sont à l’avantage des acheteurs, sont en train de disparaître des habitudes d’achat. Les vendeuses de lait caillé exigent de plus en plus l’équité, appelée «haadi haada». F. Dia ne cache pas son désaccord quant au maintien de ce procédé. Elle dit : «Les vendeuses de lait caillé nous ont imposé toute l’année, le «haadi haada», alors que l’offre en lait est plus grande que la demande. Pire, elles ont des cuillères ou louches très petites pour 25 francs.» Même son de cloche chez les friands de ce produit au niveau des marchés de Galoya et Thilogne. Ils réclament quotidiennement l’application du «barja» jusqu’à la saison sèche. Si clients et vendeuses ne s’entendent pas sur l’application du «haadi haada», ils ont cependant le même avis sur le troc. L’échange lait caillé-riz ou mil et lait-légumes dans certains marchés, a perdu considérablement du terrain. Acheteurs comme vendeuses dépassent peu à peu ce type ce mécanisme devenu dépassé. Athia Faty, une vendeuse de lait caillé, précise : «C’est devenu désuet car les ancêtres le faisaient car ils avaient des greniers remplis de mil et l’argent était rare, ce qui n’est plus le cas maintenant.» Même les vendeuses ambulantes, qui étaient plus enclines à accepter le troc, l’ont abandonné. Avec le mil introuvable au Fouta et le riz très cher, l’abandon du troc est devenu une évidence…