El Hadj Abdoulaye Niasse a consacré sa vie à l’islam. Malgré l’adversité, il s’est toujours remis des péripéties qui ont jalonné son itinéraire de foi pour accomplir son exaltante mission de propagation de l’Islam et de la confrérie tidiane.
Moins connu que ses fils, notamment Cheikh Ibrahima Niasse dit Baye et Mame Khalifa Niasse… El Hadji Abdoulaye Niasse est un homme qui a marqué son époque dans la propagation de l’islam et de la confrérie tidiane. Né en 1848 à Béli, dans le Djolof, il a été très tôt initié au Coran par son père, maître d’enseignement coranique, Mouhamed Niasse. C’est à Léona Niassène que nous trouvons Cheikh Abdoulaye Niasse, président du comité d’organisation du Gamou de ladite localité depuis près de 20 ans, par ailleurs, son petit-fils. Sans doute à cause de la chaleur, les rues sont quasi désertes. A l’exception de quelques fidèles venus se recueillir dans son mausolée ou en train de s’affairer aux préparatifs du Gamou, c’est le calme plat. A son domicile, c’est avec aisance qu’il nous parle de son arrière-grand-père. « Mame Abdoulaye a fait beaucoup de pays. Il éprouvait une grande passion pour le savoir », confie-t-il. C’est cet amour qui l’a mené dans beaucoup de pays. C’est quand il a quitté la Gambie qu’il s’est installé à Kaolack en 1911 à Léona Kanène. C’est d’ailleurs ici qu’il a été rappelé à Dieu en 1922. Mais 10 ans avant sa disparition, il avait confié le califat à Mame Khalifa, son fils », explique-t-il.
Même s’il est originaire du Cadior, il a passé une bonne partie de sa vie en Gambie. Selon son homonyme, il a même voulu y retourner en un moment. Mais c’est El Hadji Malick Sy qui l’en a dissuadé. « Le saint homme de Tivaouane lui a dit qu’on avait besoin de lui au Sénégal », poursuit El Hadji Abdoulaye Niasse. Grand érudit, admiré de tous les savants, Mame Abdoulaye Niasse a, cependant, préféré vivre dans la plus grande discrétion. « Tous ses enfants étaient des savants, mais il a préféré vivre caché. Il a façonné de grands érudits », raconte-t-il. Doté d’une grande maîtrise du Coran, l’on raconte qu’il a traduit le livre plus d’une centaine de fois. Selon Oustaz Babacar Niang, même les savants qu’il a rencontrés lors de son pèlerinage à la Mecque ont été bluffés par l’ex-pensionnaire de l’institut Al Azhar en Égypte. « Même en pleine bataille, il avait la ferme volonté de continuer à répandre la culture islamique. Il ne voulait pas que les étudiants désapprennent. C’est pourquoi, malgré l’ampleur des combats, il continuait à écrire », témoigne Oustaz Babacar Niang, un de ses arrière-petits-fils.
De son passage à Fez au Mausolée du fondateur de la confrérie, il revient avec une inspiration architecturale. « Quand il était là-bas, il a pris les dimensions de la zawiya de Fez et les a reproduites exactement dans sa zawiya. Même la façon de faire le Wazifa, il l’a copiée de l’imam Boucha de Fez », soutient Oustaz Babacar. Auteur de beaucoup de livres, il en a cependant perdu beaucoup lors de son dernier exil, si l’on en croit notre interlocuteur.
L’appel de Maba Diakhou
Aussi effacé qu’érudit, Mame Abdoulaye Niasse n’en était pas moins un combattant engagé. A l’appel au soutien de Maba Diakhou Bâ, il a été l’un des premiers à répondre. Un engagement et une maîtrise qui ont fini par inquiéter les colons qui décident alors de l’exiler. C’est Oustaz Babacar Niang, par ailleurs porte-parole adjoint du Khalife de Médina Baye, qui raconte l’homme : « Il s’est exilé deux fois vers la fin de l’année 1880 vers la Gambie. Les Blancs considéraient que c’était une menace pour eux et il était un soutien de taille de Maba Diakhou Ba. Quand il s’exilait pour la première fois, Baye Niasse n’était pas encore né. Mais dès la naissance de ce dernier, il retourne en Gambie pour y passer 10 ans. Il passe ensuite plusieurs années à Fez et revient s’installer à Léona Niassène ».
Mais à son retour, plutôt bref, les menaces deviennent plus fortes. Il décide alors de s’exiler en Gambie. Il passe par Tivaouane avant d’y retourner. C’est quand il finit de faire le point à El Hadj Malick Sy que ce dernier le dissuade de partir. En effet, s’il avait décidé de s’isoler, ce n’était guère pour combattre, mais pour vivre en toute quiétude sa religion et répandre l’islam. Mais le colon ne le voyait pas d’un bon œil. « En le voyant isolé, les colonisateurs le prenaient comme une vraie menace, raconte Oustaz Niang. C’est pourquoi, El Hadj Malick Sy l’a convaincu de renoncer à son exil en Gambie. Il obéit. Les relations s’améliorent et le Blanc décide même de lui attribuer des terres pour cultiver ».
Agriculteur hors pair
La vie de Mame Abdoulaye Niasse se limitait à deux choses essentiellement : l’islam et les travaux champêtres. Situé au cœur du bassin arachidier, la zone a d’ailleurs failli pâtir de son attachement à l’agriculture. En effet, pour le convaincre de rentrer au bercail, ses aînés, sachant qu’il avait un lien très fort avec la terre, lui propose de trouver un village. Il s’installe à Kossi, situé à trois kilomètres de Medina Baye. Il en fait son champ-école. Selon Oustaz Niang, c’est là-bas qu’il s’installait durant tout l’hivernage. Mais cette ruée des disciples vers le nouveau village ne manquait pas d’impacts sur la main-d’œuvre agricole. « Les anciens l’ont supplié de revenir parce que le bassin arachidier manquait cruellement de main-d’œuvre. Il croyait à la vertu du travail. Il insistait pour l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. Parce que, disait-il, si l’ennemi décide de bloquer sa production, c’est la catastrophe », narre Oustaz Niang.
C’est pourquoi il a consacré une bonne partie de sa vie au développement de sa ville. Entre transformation de la mosquée, forage du puits et revalorisation des terres et de la production agricole, il insère ainsi sa communauté dans le tissu agro-économique du bassin arachidier et, très vite, il va battre tous les records de production agricole. Une influence et une envergure qui finissent par contrarier l’autorité coloniale. Déterminée à l’anéantir, les Français brûlent son village de Taïba Niassène, confisque ses biens, incendient ses mosquées…. Il est contraint de s’exiler. Il se rend par la suite au Maroc pour obtenir l’autorisation de donner le wird à un plus grand nombre. De retour au Sénégal, il fait d’abord une escale à Thiès chez la famille Ndieguène avant de poursuivre sa route vers Tivaouane. Selon Cheikh Abdoulaye Niasse, au Maroc, on lui avait demandé de remettre à El Hadj Malick Sy un des secrets de la Tidjaniya. Il passe ainsi trois mois chez Maodo, y dirige les prières, le wazifa, donne le wird, célèbre des mariages…
En retour, Maodo décide d’harmoniser ses relations avec les autorités coloniales. C’est ainsi que Brocard, le commandant de Cercle, l’installe dans sa nouvelle terre à Kaolack. Il lui donne le nom de Léona Niassène. Même si ce pas important a permis de raffermir les liens, El Hadji Abdoulaye Niasse continue de garder ses distances avec les autorités coloniales. D’ailleurs, cet expert de la pharmacopée surtout de la médecine traditionnelle n’a envoyé aucun de ses fils ou disciples dans les écoles françaises.
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LÉONA NIASSÈNE
L’ « antre » du patriarche
Grand érudit, El Hadj Abdoulaye Niasse a joué sa partition dans la propagation de l’islam. Après avoir fondé Léona Niassène en 1911, il y a initié le Gamou et la Ziarra annuelle. Des évènements religieux qui drainent du monde chaque année.
Léona Niassène, fondé en 1911 par El Hadj Abdoulaye Niasse, père de Mame Khalifa Niasse et de Cheikh Ibrahima Niasse du Baye, entre autres fils de son illustre descendance, est un foyer ardent de la Tidianiya. El Hadj Abdoulaye Niasse, président du comité d’organisation du Gamou de Léona Niassene et homonyme de ce patriarche, raconte les péripéties ayant abouti à la fondation de la cité religieuse par son grand-père.
Né au Cajoor, il a vécu une longue période entre la Gambie et son pays avant de s’installer définitivement à Léona Niassène. Dans un premier temps, il s’établit à Léona Kanène, chez El Hadj Abdoul Hamid Kane sur recommandation d’El Hadj Malick Sy. Quelques années après, il fonde Léona Niassène. Depuis lors, la cité religieuse célèbre la nuit de la naissance de l’élu de Dieu, le prophète Mouhamed. El Hadj Abdoulaye Niasse a effectué un pèlerinage à Fez au mausolée de Cheikh Ahmed Tidiane Chérif. Ce périple a duré plus d’un an, précise son homonyme El Hadj Abdoulaye Niasse.
A l’en croire, ayant eu vent de son retour et de son installation à Léona Niassène, ses disciples se sont rués vers la cité religieuse pour faire leur ziarra. Depuis lors, celle-ci continue de drainer du monde et l’événement revêt un cachet particulier. Son initiateur avait demandé à ses disciples de rallier la cité religieuse afin de célébrer à ses côtés ces moments intenses de dévotion. C’est pourquoi, des milliers de talibés viennent commémorer chaque année cet événement religieux marquant le retour de l’érudit aux lieux saints de la Tidianiya, Fez. Pour El Hadj Abdoulaye Niasse, quand on parle des Niassiène, la source, le fondement, la colonne vertébrale, c’est Léona Niasse : « Les autres démembrements en constituent les branches ».
Décédé en 1922, El Hadji Abdoulaye Niasse a été succédé par son fils aîné, Mame Khalifa Niasse. D’ailleurs, selon le président du comité d’organisation du Gamou, 10 ans avant sa disparition, il avait déjà confié toutes les tâches à son fils aîné. Par la suite, son frère El Hadj Ibrahima Niasse est allé fonder Médina Baye pour porter très haut le drapeau de l’islam. Même après avoir rejoint sa nouvelle cité religieuse, ce dernier n’a jamais posé un acte sans s’en ouvrir au Khalife de son père, Mame Khalifa Niasse, disparu en 1959. Il a été remplacé par son fils aîné El Hadj Abdoulaye Niasse qui est resté au khalifat de 1959 à 1991. Son frère, Babacar Niasse, lui a succédé de 1991 à 1996. El Hadj Oumar Niasse a assuré les destinées de la communauté de Léona Niassène de 1996 à 2009. A partir de cette année jusqu’en 2017, le Khalifat est assuré par El Hadji Ibrahima Niasse, père de notre interlocuteur.
Sous son magistère, il a pu réaliser beaucoup de choses, dont l’extension de la grande mosquée de Léona Niassène. El Hadj Ibrahima Niasse avait ainsi entamé la réhabilitation de la mosquée qui a été finalisée par le Chef de l’État, Macky Sall. A sa disparition en 2017, il a été succédé par son frère, Cheikh Ahmed Tidiane Niasse. « Un homme pieux, ouvert, généreux et modeste », témoigne El Hadj Abdoulaye Niasse. A l’image de ses prédécesseurs, il est en train de perpétuer l’œuvre du fondateur de Léona Niassene, notamment l’organisation du gamou et la ziarra annuelle de la cité religieuse.
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La fayda, le niassénisme et les équivoques
Beaucoup pensent que la « Fayda » ou « Niassénisme » est une confrérie et qu’elle est différente de la Tidianiya. Mais Cheikh Ibrahima Niasse dit Baye, son concepteur, avait précisé dans une correspondance que « le Niassénisme n’existe pas et n’existera jamais ».
Dans certaines circonstances, on a tendance à confondre les Niassène comme étant une confrérie. « Nous pratiquons le wird tidiane », tranche El Hadj Abdoulaye Niasse, petit-fils de Mame Khalifa Niasse, par ailleurs président du comité d’organisation du Gamou de Léona Niassènes. Considérer les Niassène comme étant une voie autre que la Tidianiya relève, selon lui, d’une « méprise ».
Oustaz Babacar Niang, porte-parole adjoint du khalife général de Médina Baye, partage le même avis. Dans l’une de ses correspondances adressées à l’ancien président nigérien de 1960 à 1974, Hamani Diori, rappelle-t-il, Cheikh Ibrahima Niasse avait dit : « le niassénisme n’existe pas. Il n’a jamais existé et il n’existera jamais ». Seulement, dit-il, les gens confondent la Fayda telle qu’elle a été prédite par Cheikh Ahmed Tidiane avant sa disparition, à la Tidjaniya. « Il s’agit d’un courant dans la voie incarnée par El Hadj Ibrahima Niasse », estime Oustaz Niang. La Fayda étant un mot arabe, les gens, soutient-il, ont fait dans la simplicité en la rapportant au nom de son promoteur Niasse (Cheikh Ibrahima).
La particularité de la « Fayda » c’est qu’elle découle de « l’ikhsane » c’est-à-dire la porte du savoir éternel pour celui qui s’est élevé à la station de la perfection ou de la vertu. A ses yeux, elle est cette branche du soufisme qui permet d’enlever ce voile qui empêche des musulmans d’accéder à la connaissance de Dieu. Aussi, le fondateur de la Tarikha avait également prédit la spécificité du détenteur du flambeau de la Fayda. « Dès son avènement, des croyants musulmans de diverses nationalités vont adhérer à la Fayda tidiane», explique-t-il. Ce qui a coïncidé avec l’appel de Cheikh Ibrahima Niasse. Quand il se rendait au Nigéria, il ne comprenait que l’arabe et il n’était pas accompagné d’un interprète. Il n’avait comme compagnon qu’un de ses ouvrages.
L’autre particularité découle, à son avis, de la méthode d’initiation dénommée « Maddad », la connexion spirituelle entre le guide religieux et son disciple à travers des zikrs et suivant un rythme et un nombre. Pour Oustaz Niang, l’initiation n’est rien d’autre qu’un combat contre l’âme (« nafsou »), la capacité de se détourner des choses mondaines au profit exclusif de l’adoration exclusive du Seigneur. A son avis, le guide spirituel représente pour son disciple, ce que le médecin est pour le patient. Donc cela passe nécessairement par l’allégeance à un guide religieux pour espérer accéder à cette dimension de spiritualité. Seulement, il regrette l’usage d’un certain langage qui, parfois, au lieu d’inciter les croyants musulmans à embrasser ce courant, les en détourne.