Alors que la demande d’électricité en Afrique devrait augmenter de 75 % d’ici 2030, les réseaux électriques centralisés ne peuvent pas répondre pleinement aux besoins des populations.
Les systèmes de production d’électricité hybrides et décentralisés devraient jouer un rôle clé dans le développement de l’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne dans les années avenir. Ils représentent un marché potentiel de 350 milliards de dollars d’ici 2030, en raison notamment de l’incapacité des réseaux centralisés à répondre aux besoins d’une population en constante hausse, selon un rapport publié le 23 septembre par l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Intitulé « Nouveau paradigme de l’électrification en Afrique subsaharienne Comment les systèmes hybrides décentralisés changent-ils la donne ? », ce rapport souligne que le développement économique de la région est fortement limité par des réseaux électriques centraux chétifs et inefficients.
La capacité installée en Afrique subsaharienne a augmenté au cours des dernières décennies, mais reste très insuffisante, passant de 68 gigawatts (GW) en 2005, à 94 GW en 2014, puis à environ 130 GW en 2018. Hors Afrique du Sud, la capacité installée dans l’ensemble des pays de la région s’élevait à environ 80 gigawatts (GW) en 2018, soit près de la moitié de celle de la France (130 GW), alors que la région compte 18 fois plus d’habitants.
Avec des interruptions de service fréquentes (plus de 51 heures de coupures de courant en moyenne par mois), la faible fiabilité de l’approvisionnement électrique représente une contrainte majeure pour l’activité économique en Afrique subsaharienne. Ainsi, les pertes des entreprises dues aux coupures de courant s’élèvent à 8,5 % de leur chiffre d’affaires annuel en moyenne dans la région.
Une électricité de 23 à 60 % moins chère
Au regard de ces défis, les réseaux électriques centralisés ne peuvent pas pleinement répondre aux besoins d’électricité des populations. D’autant plus que la population du continent devrait doubler d’ici 2050, passant de 1,1 milliard à 2,1 milliards d’habitants. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime d’ailleurs que la demande d’électricité en Afrique augmentera de 75 % d’ici 2030.
Portées par l’essor du marché du solaire et des batteries de stockages, de nouvelles solutions innovantes de production autonome d’électricité voient le jour, comme les générateurs hybrides. Ces solutions combinent un générateur diesel, des panneaux solaires et un système de stockage, allant de petites installations à des petites centrales pouvant atteindre 2 mégawatts (MW).
Le rapport précise que ces systèmes hybrides décentralisés peuvent fournir une électricité de 23 à 60 % moins chère que l’utilisation de générateurs classiques, selon la région. Ce marché connaît une croissance rapide. Son potentiel est colossal : aux 600 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité en Afrique s’ajoutent aujourd’hui les 500 millions qui y ont accès, mais qui font face à un réseau peu fiable ou onéreux. Le marché réel pour ces systèmes représenterait donc 1,1 milliard de clients potentiels aujourd’hui ou 2,1 milliards dans 30 ans.
« Les phénomènes de décentralisation précoce de services sous la pression de la demande et d’un secteur privé proactif ne sont pas nouveaux en Afrique subsaharienne. Avec l’avènement du téléphone mobile au milieu des années 1990, l’Afrique a fait un « bond » en passant du difficile développement des réseaux de téléphonie fixes nationaux directement à la téléphonie mobile », rappelle l’auteur du rapport et chercheur associé au Centre Énergie & Climat de l’IFRI, Hugo Le Picard.
Un levier de développement des énergies renouvelables
Le développement à grande échelle du marché des systèmes de production d’électricité décentralisés et hybrides dans les zones couvertes par le réseau peut cependant être à l’origine de grands bouleversements au secteur de l’électricité en Afrique subsaharienne. Le phénomène d’autonomisation des consommateurs vis-à-vis du réseau central risque d’aggraver la viabilité financière, déjà faible, des compagnies d’électricité. Or, si les finances de ces compagnies nationales sont affaiblies, il y a un risque de ralentissement du déploiement des énergies renouvelables centralisées dans la région. Pour être financés dans des conditions favorables, les projets des énergies renouvelables nécessitent une garantie de paiement sur toute la durée de vie de l’installation, c’est-à-dire pendant plus de 25 ans, car ils présentent des coûts d’investissement (CAPEX) élevés pour les coûts d’exploitation (OPEX) faibles. Dans le même temps, le développement du marché des systèmes solaires décentralisés dans les zones rurales et urbaines de l’Afrique subsaharienne représente un moyen d’augmenter les capacités renouvelables.
La baisse du coût des systèmes renouvelables décentralisés pourrait aussi faire reculer le prix de l’électricité pour les consommateurs commerciaux et industriels, favorisant ainsi leur compétitivité économique.
A plus long terme, si l’électricité est produite principalement là où elle est consommée, elle n’a pas besoin de transiter par des lignes de transmission. Cela permettrait ainsi d’éviter que l’électricité ne fasse l’objet de pertes en lignes, qui sont élevées dans de nombreux pays de la région : 24 pays ont des pertes situées au-dessus de 20 % et qui atteignent parfois plus de 48 %. Cela limiterait aussi les besoins d’investissements colossaux, dans les infrastructures réseaux, pour lesquels il est difficile de mobiliser des fonds privés et où les besoins de financements sont évalués à 40 milliards en moyenne par an par l’AIE.