Ils sont de plus en plus nombreux à quitter l’opposition pour s’allier à la mouvance présidentielle. Dès les premiers jours après les résultats définitifs des élections territoriales, des maires pourtant élus sous la bannière de l’opposition ont tourné le dos à cette dernière. Les raisons qui sous-tendent ce revirement seraient multiples, selon certains analystes politiques.
Après les élections locales, le maire élu de la commune de Ouakam a rejoint la coalition « Benno bokk yaakaar » (Bby). Mais, Abdou Aziz Guèye tient à lever toute équivoque pouvant l’identifier à un « transhumant ». En effet, il précise d’emblée qu’il a conquis la mairie de Ouakam sous la bannière de la coalition du Mouvement des patriotes pour la démocratie (Mpd) « sans conditions, suite à un malentendu mineur » avec la coalition « Yewwi Askan Wi » (Yaw). Ainsi, il considère qu’il n’est pas question de transhumance pour son cas, car il n’a pas été élu en tant que membre de la coalition de l’opposition mais plutôt en tant qu’acteur de la société civile.
Toutefois, M. Guèye affirme avoir rallié Bby pas à titre personnel, mais plutôt en tant que membre du Mouvement « Agir 2022 » à laquelle il appartient. « Pour être transhumant, il faut déjà avoir été quelque part. Je n’ai adhéré à aucun parti politique. Je suis du mouvement citoyen « Agir 2022 » qui soutient l’action de Bby. Et je suis libre », soutient-il.
Il souligne qu’il a saisi la main tendue du Président de la République parce que Ouakam, en tant que commune, est un démembrement de l’État. par conséquent, estime-t-il, il ne sert à rien de se mettre à dos le pouvoir central quand on a la volonté de faire des réalisations pour sa commune. Abdou Aziz Guèye parle ainsi de partenariat. « J’ai rejoint Bby parce que le Président de la République m’a tendu la main. S’il peut m’aider dans mes projets, alors pourquoi ne pas l’aider politiquement ? » se demande-t-il.
Par rapport au ressenti des populations qui l’ont élu alors qu’elles avaient la possibilité de réélire le maire sortant, par ailleurs candidat de la coalition Bby, M. Guèye soutient que tout dépend du raisonnement que l’on en fait. « Je travaille avec l’État. Tout ce qui m’intéresse, c’est le développement de Ouakam. Alors, si je vois quelqu’un qui veut m’aider, il n’y a pas de raison que je ne le soutienne pas », conclut-il.
À l’image d’Abdou Aziz Guèye, plusieurs maires élus sous la bannière de l’opposition ont rejoint, entre temps, la majorité présidentielle. Certains de ces nouveaux membres de la mouvance présidentielle se voient confier des responsabilités au plus haut sommet de l’État. C’est le cas de Bamba Fall qui a gagné, à nouveau, la commune de Médina sous la bannière de la coalition « Gueum Sa Bopp », devenu, aujourd’hui, Ministre conseiller. Une situation similaire s’est produite avec Djibril Wade, maire élu de la commune de Biscuiterie avec les couleurs de la coalition « Wallu Sénégal ». Ce dernier a officialisé son intégration à la coalition Bby. Ce grand féru de football, par ailleurs président du club Niarry Tally Grand Dakar Biscuiterie (Ngb), a, par la suite, reçu des autorités le titre de propriété du terrain qui a longtemps opposé son club à la Sicap. Plus récemment, Elhadj Amar Lô Gaydel, maire de Sagatta Gueth, et Assane Dia, son collègue maire de Bambey, ont rejoint la coalition Bby.
Selon des analystes, le changement de cap de certains hommes politiques issus de l’opposition est dû à plusieurs facteurs. Mais, pour la plupart, cela se résume à la préservation de l’intérêt personnel de l’homme politique en question. C’est un peu plus complexe que cela puisque ces faits de « nomadisme politique » seraient une stratégie d’éparpillement de l’opposition déroulée par le régime actuel. L’idée serait ainsi de casser l’opposition à travers un maximum de défections.
« Affaiblir le camp adverse »
L’enseignant-chercheur Moussa Diaw, de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, explique que cette transhumance politique, encouragée par la majorité, vise à s’allier au plus grand nombre possible de maires. « Cette stratégie vise à affaiblir les camps adverses par le débauchage et la récupération politique », affirme-t-il. Toutefois, il souligne que cela dépend aussi de l’engagement des élus locaux en question et de leur proximité avec les populations. Moussa Diaw rappelle que « la plupart des transhumants politiques, quand ils s’allient au pouvoir, y vont seul. Ils perdent leur poids politique et électoral. Ils en sont conscients, mais choisissent de jouir des avantages du pouvoir ». Les élus locaux ayant donc tourné le dos aux coalitions ou partis qui leur ont permis de conquérir le pouvoir priorisent ainsi leurs intérêts personnels au détriment de la confiance des populations. « Les gens qui ont rejoint la majorité ne mobilisent plus leurs militants. Ils ont même du mal à leur expliquer leur décision parce que cela n’a pas fait l’objet de discussions », ajoute-t-il. L’universitaire précise que la majorité joue bien la carte de la séduction et surfe sur la vague que l’opposition a elle-même levée. Il s’agit, d’après Moussa Diaw, d’un calcul politique basé sur les gains et des pertes en relation avec l’avenir politique de chaque transhumant. Et à ce jeu, les grands perdants sont les populations au regard des nombreuses désillusions concernant des personnes pour lesquelles elles ont voté lors des élections territoriales.
Babacar Dione, journaliste analyste politique, est du même avis. Il estime que la plupart de ces personnes ayant transhumé après les élections territoriales avaient comme intention première de prouver au Président de la République qu’ils sont représentatifs dans leur commune. L’analyste pousse la réflexion un peu plus loin et entrevoit un changement de stratégie de la part de la mouvance présidentielle. M. Dione explique que le régime ne se fatigue plus à faire des tractations préélectorales, car l’issue peut être incertaine. Il affirme que les « négociations » entre l’opposition et le pouvoir se font maintenant après les élections. « Le Président de la République et Bby ont compris qu’ils n’ont pas besoin de convaincre ces responsables politiques avant les élections, car c’est le moment des chantages. Ils laissent tout le monde aller aux élections sur la liste qu’il souhaite, et après leur victoire, les démarches sont entreprises. Le cas de Bamba Fall est assez édifiant », raisonne-t-il.
Pour lui, on ne peut plus donc parler de confiance entre le peuple et certains hommes politiques, car il n’y a plus de rapport de sincérité entre eux et leurs bases.