De Blaise Diagne à Oumar Blondin Diop en passant par Moustapha Lo (exécuté pour avoir tenté d’assassiner le président Léopold Sedar Senghor) découvrez les noms des hommes célèbres qui reposent dans ce cimetière aujourd’hui très mal entretenu.
Jusqu’en 1974, date des dernières inhumations, nombre de personnalités qui ont fait l’histoire du Sénégal ont été enterrées à Soumbédioune. Suivent quelques histoires rattachées au cimetière des «Abattoirs» et aux personnes qui y sont enterrées. Mais autour des mausolées et des larges tombes, ce sont surtout les grands-parents de tous les Dakarois qui peuplent les allées de Soumbédioune. L’une des raisons qui explique la mobilisation lors des désherbages souvent organisés.
Ibra Bineta Guèye Mbengue (mort en 1911)
Haut dignitaire lébou qui aurait accueilli Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké lors des «nuits dakaroises» de 1895, qui ont scellé l’amitié entre Mourides et Lébous. Ibra Bineta Guèye, chef de Canton et porte-parole auprès de l’autorité coloniale, aurait intercédé auprès du gouverneur Louis Mouttet afin de faire libérer Serigne Touba. Précurseur de la Téranga, il aurait invoqué comme argument «le respect de la réputation de terre d’accueil et d’hospitalité de notre terroir». Selon Abdou Khadre Guèye, son corps se trouve au sud de l’allée centrale, pas très loin de la mer, au milieu d’une large sépulture blanche où il est enterré avec trois autres personnes. Sa tombe est recouverte de coquillages et une plaque aux gravures illisibles est placée à sa tête.
Blaise Diagne (né en 1872 à Gorée, mort en 1934 à Cambo-les-Bains)
Auteur d’études brillantes à Saint-Louis et en France, il intègre l’Administration coloniale en 1892 et se fait parfois remarquer par ses opinions progressistes. Il devient le premier député africain de France en 1914 et obtient la citoyenneté pour les habitants de Dakar, de Gorée, de Rufisque et de Saint-Louis en 1916. Il reste député du Sénégal jusqu’à sa mort.
Son enterrement avait fait polémique à l’époque. Malade, il doit quitter le Sénégal, et sentant qu’il ne reviendra pas en vie, il confie aux dignitaires lébous qu’il ne souhaite pas être enterré au cimetière de Bel-Air, mais à celui de Soumbédioune, avec ses frères musulmans. Mais à sa mort, certains doutent de son appartenance religieuse et refusent de l’enterrer parmi les Musulmans. Son changement de nom de Galaye Mbaye à Blaise laisse supposer une conversion au Christianisme. Pour désamorcer la polémique, l’entourage de l’homme politique trouve un compromis avec les dignitaires religieux : il sera bien enterré à Soumbédioune, mais en dehors des limites du cimetière.
La tombe discrète de sa mère, Gnagna Anthony Préira, née en Guinée-Bissau, se trouve en revanche à l’intérieur du cimetière.
Cheikhna Cheikh Tourad (mort en 1946)
Chérif mauritanien de la confrérie Khadriya ayant beaucoup professé dans la péninsule du Cap-Vert. Célébré pour son érudition, ainsi que pour ses talents d’orateur et de poète, sa sépulture est l’une des plus visitées du cimetière de Soumbédioune. Tombé malade lors d’un pèlerinage à La Mecque, il est rapatrié par avion à Dakar où il meurt. Alors que son corps devait être ramené en Mauritanie, son disciple aurait produit un testament déclarant qu’il souhaitait être enterré sur le lieu de sa mort. On raconte que lors de son transport au cimetière, les voitures roulant dans le sens inverse du cortège seraient toutes tombées en panne.
Thierno Mountaga Tall Daha (mort en 1957)
Né à Louga, le Khalife omarien dût se déplacer à Dakar pour soigner une maladie qui finira par l’emporter. Son frère, Seydou Nourou Tall, décide, selon les mêmes principes invoqués par le disciple de Cheikh Tourad, de l’enterrer proche du lieu de sa mort, aux «Abattoirs». Près de trente ans plus tard, en 1986, les enfants de Thierno Mountaga Tall Daha rapatrient sa dépouille à Louga, où se trouve aujourd’hui son mausolée. Pourquoi tout ce temps ? Selon Thierno Seydou Nourou Tall, Imam de la mosquée omarienne de Dakar, les fils de Mountaga Tall ont attendu après la mort de son frère Seydou Nourou Tall, en 1980, par respect pour sa décision. Ce déplacement s’est fait de manière confidentielle à l’époque, mais aujourd’hui, de nombreux Musulmans viennent faire la «ziarra» de Thierno Mountaga Tall Daha en janvier de chaque année.
Assane Diouf (né en 1908 à Conakry, mort en 1963)
Plusieurs fois champion de France de boxe, il ouvre sa propre salle à Paris nommée «l’Étoile noire». Pendant la Seconde guerre mondiale, il est fait prisonnier par les Allemands et envoyé dans le même camp que Léopold Sédar Senghor, avec qui il se lie d’amitié. Après l’indépendance, le Président Senghor le convainc de vendre sa salle et d’en ouvrir une autre au Sénégal pour former les boxeurs nationaux en vue des Jeux de l’Amitié de 1963. Il meurt du tétanos en 1963 lors d’une partie de pêche, à cause d’un hameçon venu se prendre dans sa gorge.
Moustapha Lô (mort en 1967)
Secrétaire d’ambassade condamné à mort en 1967 après avoir tenté d’assassiner Léopold Sédar Senghor. Lors de son procès, il a nié avoir eu l’intention de tuer le président de la République : «Je voulais simplement lui donner un avertissement pour lui faire changer de politique», déclara-t-il à «Dakar-Matin», le 19 juin 1967. Il sera exécuté huit jours plus tard à l’âge de 41 ans. Sa famille a dû lutter avec l’Administration pour pouvoir lui offrir un enterrement dans les règles. Pour le trouver, il faut suivre l’allée centrale presque jusqu’à l’océan et chercher une tombe blanche sur sa gauche.
Lamine Coura Guèye (né à Médine en 1881, mort en 1968)
Né au Soudan français d’une famille originaire de Saint-Louis, il fait l’essentiel de ses études au Sénégal et devient enseignant. Il part étudier le Droit en France et devient le premier juriste noir d’Afrique française. Une première expérience politique infructueuse dans les années 1920 le décourage. Il se remobilise après la mort de Blaise Diagne en 1934, et parvient à remporter la mairie de Dakar en 1945 aux côtés de Léopold Sédar Senghor. Il sera ensuite député, puis sénateur français, avant de devenir le premier président de l’Assemblée nationale sénégalaise. Il le restera jusqu’à sa mort. Son imposant mausolée se trouve à gauche à l’entrée du cimetière, et recouvrerait les sépultures de plusieurs dignitaires lébous.
Ahmed Diagne Dahira (né en 1876, mort en 1969)
Grand Moukhadame, auteur du livre des initiés qui renferme les attributs et autres secrets de la Tarikha, «Jawarihoul ouzmaa niyaa». Parmi ces illustres qui reposent aux «Abattoirs», il y a également Serigne Baba Ly, grand Imam à la Zawiya de Dakar et fils du grand érudit Thierno Ibrahima Ly (mort en 1953). Son frère Abdou Karim Ly fut un des scriptes et secrétaires de Seydi El Hadj Malick Sy, 4e sur la liste des Moukhadames du Cap-Vert et disparu en août 1963.
Omar Blondin Diop (né à Niamey en 1946, mort en 1973)
Ce natif du Niger part à Paris pour étudier dans les établissements les plus prestigieux. Accusé de terrorisme en 1972 pour avoir tenté de faire évader son frère depuis le Mali, il est emprisonné à Gorée et retrouvé mort étranglé dans sa cellule l’année suivante. L’Administration pénitentiaire conclut au suicide, tandis que sa famille crie à la mise en scène et au mensonge d’État.