Un renouveau des groupes d’Assiko (expression musicale populaire) est noté dans la banlieue dakaroise ces dernières années. Des jeunes s’adonnent de plus en plus à cette forme d’art associé au mouvement navétane. À Grand Yoff et Guédiawaye, des groupes se forment dans l’optique de promouvoir cet art. Ils mettent en place des stratégies « innovantes » pour attirer le public vers ce genre musical.
Par (Le Soleil)
Trouvé au stade Idrissa Pouye de Ndiarème dans la commune de Wakhinane Nimzat, Bissenty Sylva, teint noir, est le lead vocal du groupe Assoumayé. Cette formation fondée en 2018 est l’une des têtes d’affiche de la musique Assiko à Guédiawaye. M. Sylva se rappelle qu’à ses débuts, « l’Assiko était moins en vue dans la zone ». C’est pourquoi l’idée est venue de « piocher des batteurs dans les différents quartiers ». Ainsi, le problème d’être exclusivement au service d’une Asc ne se pose pas, d’après le jeune homme vêtu d’une djellaba. Passionné des percussions depuis l’enfance, Biss, comme on le surnomme, met en place une approche de proximité avec les différents quartiers de la localité. Assoumayé organise de façon périodique des feux de joie. Cette activité se déroule les samedis soirs dans les quartiers des différents membres du groupe, déclare Bissenty. L’ambiance est assurée avec un ensemble d’instruments de percussion, à savoir le Djembé, des caisses carrées, un thioung, un thithia, un boukka ou toumba (trois pièces de tambours mis dans une sorte d’enveloppe à base de fer).
Une approche validée par les stars
Son « frère et ami » âgé de 23 ans, Osc’art_assiko, s’active dans l’univers Assiko dans son Grand-Yoff natal. De son vrai nom Oscar Missario Gomez, le jeune homme aux cheveux tressés est un des précurseurs de ces feux de joie. Il pratique cet art sous le concept de « Mbed Tour Show ». Ces séances d’animations nocturnes ont conduit le « sikoman » (musicien Assiko) dans divers quartiers de la capitale tels que Parcelles assainies, Guédiawaye, Thiaroye en plus de ses « nombreux shows à Grand-Yoff ».
Cette initiative est reprise par d’autres groupes issus de Guédiawaye. Habitant du quartier Hamo 6, Johnson Mendy, jeune homme au teint clair, est le chanteur vedette du groupe Class Siko. Il affirme avoir fondé sa bande d’Assiko dans l’optique « d’apporter une nouvelle touche à ce produit des Navétanes ». Leader d’un groupe de 15 membres dont une femme, Johnson, 31 ans, dit « apporter une touche originale » à l’Assiko. Il s’est permis d’ajouter des instruments « voués à d’autres genres musicaux » tels que la guitare, le piano, la flûte. Ce choix se justifie par une envie « de rendre plus classe » la musique au rythme envoûtant, rajoute-t-il d’une voix mélodieuse.
Cette modernisation de la manière de jouer l’Assiko est inspirée d’Osc’Art, membre de l’Assiko Golden Band de Grand-Yoff, de 2011 à la formation de son groupe en 2020. Ce dernier avoue « concilier depuis 2016 (date à laquelle il est devenu lead vocal, précision d’Osc’Art) les bases de l’Assiko au piano, à la guitare et au violon ». Selon l’ancien choriste, l’ajout de ces instruments permet de diversifier « le tempo commun à presque tous les batteurs d’Assiko ». « J’associe même l’Assiko à d’autres musiques comme le Trap et le Gospel », poursuit-il d’un ton fier ponctué par un sourire. Cette option s’avère payante dans la mesure où elle a ouvert les portes des discothèques aux « sikomen ». Class Siko fait des prestations lors des soirées dansantes et des Xawaré, révèle Johnson, du haut de son 1m80.
Dans la logique d’innover, Osc’Art affirme « aller au-delà de la simple reprise des chansons populaires ». Le jeune homme, au regard fuyant, a ses propres compositions. Il compte à son actif 4 singles : Baay Ndongo, Taaw, Tàccul, Senegal Boolo leen. Le natif de Guédiawaye explique « vouloir se démarquer des autres « sikomen » » et élever sa côte ». Class Siko s’inscrit dans la même veine avec ses propres chansons d’après Johnson, lead vocal en même temps responsable logistique dans une entreprise de la place. À cela s’ajoute la version Assiko des morceaux classiques des légendes musicales à l’image de Youssou Ndour, Omar Pène, Ismaël Lô… Par ces remix, les « sikomen » entendent « rendre hommage aux porte-drapeaux de la musique africaine », s’accordent Biss et Osc’Art.
L’apport des instruments modernes
Avec ces « nouvelles scènes » en dehors des « occasions traditionnelles » telles que les matchs de Navétanes, les baptêmes et les mariages, les ambassadeurs de la culture populaire donnent une autre image loin des clichés accolés au championnat national populaire et à ses acteurs. Par la même occasion, les « sikomen » diversifient leurs « sources de revenus », déclare Biss. Son condisciple d’art, Johnson, confirme ses dires, d’autant plus « qu’en moins de deux ans d’existence, son orchestre s’est doté de tous les instruments avec lesquels jouent une bande d’Assiko classique ». La reconnaissance se traduit dans les contrats signés et les partenariats. Osc’art avoue « avoir perçu un cachet de 300.000 FCfa lors de l’implantation au Sénégal d’une multinationale spécialisée dans le domaine alimentaire ». Le contrat concerne la production, par « l’ambassadeur de Grand Yoff », comme il se considère, d’une chanson pour la promotion de ladite entreprise.
La présence « remarquée » des « sikomen » sur la sphère culturelle est « loin de se limiter à leurs quartiers d’origine », fait savoir Johnson. « Nous sommes invités à des concerts dans différentes localités de Dakar, aux Parcelles assainies, à Yeumbeul et même à Médina et Rebeuss (quartiers précurseurs de l’Assiko dans la région, ndlr) », renchérit Bissenty. Ces performances sont « validées » par les stars à l’image d’Iss 814. Ce rappeur a désigné deux groupes d’Assiko dont Class Siko pour faire des prestations lors de son concert du 3 juillet dernier au Stade Ndiarème de Guédiawaye. Les représentants des « sikomens » ont gratifié le public hip-hop d’un spectacle au rythme de leurs percussions et chants.
Quant à Osc’Art, il confesse « avoir été révélé à la face du monde grâce à Dip Doundou Guiss ». Ce rappeur, issu de Grand-Yoff, l’a invité en 2019 à son concert au Cices. L’auteur de Musiba reconduit « l’initiative de la main tendue », selon Osc’Art en 2020, lors de son concert tenu au même endroit à la date du 8 février. Le lead vocal de l’Afric’Art Siko Orchestra a même fait le spot en featuring avec Dip. Avec les opportunités nées de cette publicité pour les musiciens Assiko, ceux-ci délaissent de plus en plus le mouvement navétane en vue de l’internationalisation future de leur art.
Feux de joie, nouvelle tribune des orchestres Assiko
Activité phare des groupes Assiko, les feux de joie s’inscrivent dans l’agenda culturel de la banlieue dakaroise. Les groupes tels que Assoumayé et Class Siko l’organisent de manière récurrente, selon leurs leaders respectifs. « Nous avons imposé ce show dans le quotidien des habitants de Guédiawaye », déclare Bissenty Sylva, lead vocal d’Assoumayé. Les quartiers de notre localité « sont maintenant habitués à nous recevoir les samedis soirs », renchérit Johnson, chanteur de l’Orchestre Class Siko. Et « l’organisation de ces séances de danses nocturnes autour du feu rappelle les retrouvailles folkloriques des ancêtres au soir de clair lune », poursuit-il. Ainsi, les « sikomen » investissent les terrains vides au sein des quartiers munis de leur ensemble de tambours aux sonorités variables. Ils assurent l’ambiance durant une bonne partie de la nuit : « de 21h à 00h », d’après Bissenty.
Ces rencontres festives sont organisées de manière spontanée pour « rendre visite à la manière Assiko à un des membres de l’orchestre dans son quartier », appuie Johnson. Les shows 100% Assiko prennent de l’ampleur, comme en témoigne le recours à leur service venant de diverses personnes. « Les gens font appel à nous à l’occasion de leur anniversaire. Nous assurons l’ambiance et contribuons à lui faire vivre un anniversaire de rêve », explique-t-il. Les musiciens Assiko ont pour mission d’élever les feux de joie au même rang que les « Sabar » en termes de popularité. Un objectif « presque atteint », à en croire Johnson, se fiant à l’engouement suscité.
Elage Diouf, visage de l’Assiko sur la scène internationale
Artiste sénégalais vivant au Canada, Elage Diouf est connu à la base avec ce genre musical (Assiko). Il fait ses premiers pas dans la musique aux Hlm durant son enfance. Elage y développe ses talents de percussionniste et de chanteur. « Faxasiko », son groupe de l’époque, marque son empreinte dans le mouvement navétane aux côtés d’autres groupes.
Établi au Canada depuis 1996, l’artiste-percussionniste participe à la promotion de la culture sénégalaise avec son « Djembé » (instrument de percussion que l’on retrouve dans l’arsenal Assiko). Le Québécois d’adoption a acquis une notoriété internationale en s’appuyant sur le côté festif de l’Assiko. La polyvalence notée dans ses œuvres s’est construite au temps des Navétanes. Cet apport se ressent dans ses chansons, de son premier album solo « Aksil » (bienvenue en wolof) à son dernier album « Wutiko » (aller à la recherche en wolof) en passant par « Melokàane » (le reflet en wolof). À plusieurs occasions, Elage témoigne sa reconnaissance à ses anciens compères de « Faxasiko », particulièrement dans le morceau « Saï-Saï ». Cette chanson est teintée d’un rythme entrainant propre à l’Assiko.
L’attachement de l’enfant des Hlm à l’Assiko est plus que manifeste dans son dernier album avec le tube « Navétane ». Cette composition musicale est une compilation de chansons populaires, une sorte de nostalgie des moments vécues aux côtés des Asc. Les « sikomen » considèrent Elage comme leur porte-étendard sur le plan international.