Ils sont toujours dans les marchés, principalement, pour délivrer aux commerçants des quittances et recevoir, en retour, une modique somme d’argent. Ils bravent quotidiennement la chaleur, le vent et le froid pour donner à leur commune des moyens de fonctionnement. Ces personnes qui sont souvent regardées avec dédain sont les collecteurs municipaux communément appelés « duty-men ». Un travail difficile qui demande de la détermination. Dans la commune dakaroise de Biscuiterie qui a déjà mis en place un système de collecte efficace, la collecte est un métier certes, mais avec beaucoup de délicatesses à gérer.
Dossier réalisé par Babacar Bachir SANÉ« Le Soleil »
Les journées se suivent et se ressemblent pour les agents collecteurs de recettes de la commune de Biscuiterie. Fatoumata Racine Sène est l’un des 17 collecteurs que compte cette commune dakaroise. Elle est récemment affectée au marché de Mbabass. Avant d’entamer le travail, elle se lève très tôt le matin pour effectuer une visite d’identification de la zone de travail, une manière de prendre ses repères avant l’entame de la collecte. Depuis 1999, cette dame assure quotidiennement la collecte des recettes municipales. Elle a travaillé avec l’ancien maire de la commune, feu Doudou Issa Niass, ainsi que le maire Lamine Dia, avec la délégation spéciale. Aujourd’hui encore, elle fait la collecte avec l’actuelle équipe municipale dirigée par Mohammed Djibril Wade.
Collecter les recettes est certes passionnant, mais ce métier exige, selon elle, de la patience, de la retenue et beaucoup de prédispositions au dialogue. « Il s’agit pour nous de demander le paiement de la taxe quotidienne à des personnes dont les humeurs varient en fonction de l’évolution de leur business. Donc, les jours de travail peuvent parfois être très compliqués », explique Fatoumata. Comme elle, Lamine Ndiaye est un collecteur contractuel depuis 2009. « Notre travail est un métier très dur pour lequel nous n’obtenons pas le fruit de nos efforts. Il appartient au collecteur de se faire respecter et de faire comprendre à ses interlocuteurs qu’il travaille pour la communauté », explique-t-il, soulignant qu’ils sont obligés d’être « souples » la plupart du temps et de dialoguer pour convaincre les commerçants. D’après lui, il s’agit de faire comprendre aux commerçants du marché qu’ils doivent s’acquitter de la taxe pour financer les différents projets de la commune. Une manière de leur dire que l’infrastructure marchande est un bien de la commune qui doit profiter à toute la collectivité.
« Face aux humeurs selon l’évolution du business »
Au marché Mbabass, tous les pensionnaires vivent dans une parfaite entente. Mais il peut y avoir, parfois, des incompréhensions qui atterrissent chez le Contrôleur général en la personne de Mamadou Diop. Ce dernier et les membres du comité de gestion du marché arrondissent les angles.
Selon son président, il arrive souvent qu’un commerçant refuse de payer la fameuse patente. « Je suis obligé d’intervenir pour arrondir les angles. Si le cas est complexe, nous nous référons au Contrôleur général du marché en la personne de Mamadou Diop, qui peut saisir des éléments du commissariat pour régler le différend », explique Abdourahmane Ly.
Malick Ahmat Ba, président de la Commission des halles et marchés, en compagnie de Ibrahima Dia, surveillant général du marché, explique la délicatesse du métier de « duty-man » qui exige de la patience et beaucoup de tact avec les commerçants qui affichent souvent des comportements provocateurs.
Mamadou Diop ou « Diop le maire », comme on l’appelle dans le marché, est connu comme le régulateur de toutes les tensions et frictions. Dans cet univers, « Diop le maire » contrôle et tente d’aplanir toutes les divergences pour la bonne marche de l’infrastructure. Le travail de collecteur est très ingrat, note le Régisseur des recettes de Biscuiterie, Massamba Diop. Dans l’entendement populaire, admet-il, un intellectuel ne doit pas faire ce travail. Et de noter ce que beaucoup de personnes ignorent, c’est le premier impôt et c’est cette particularité qui fait que les commerçants, ne sachant pas que c’est un devoir civique de payer la taxe journalière, sont souvent la cause de tous les contentieux avec les collecteurs.
FAIBLESSE DU TRAITEMENT SALARIAL, MAUVAISES CONDITIONS DE TRAVAIL…
Un quotidien peu enviable
Etre collecteur n’est pas facile à vivre dans les municipalités sénégalaises. Malgré leur importance dans les finances, ces hommes et femmes souffrent au quotidien. Ils sont, en effet, confrontés à un faible traitement salarial et à des mauvaises conditions de travail.
À Biscuiterie, certains collecteurs se plaignent de leur sort. Dans cette commune, la recette journalière pour un collecteur, en fonction de la zone ou du secteur dévolu, varie entre 12.500 et 15.000 FCfa. Au terme d’une semaine de travail, un collecteur peut recouvrer jusqu’à 87.500 FCfa. Certains « duty-man » temporaires peinent à gagner à la fin du mois 60.000 FCfa comme salaire, selon des confidences. Des conditions qui peuvent pousser l’agent collecteur à s’adonner à des actes délictueux.
Après 12 et 22 ans de service, Lamine Ndiaye et Fatoumata Racine Sène espèrent, comme bon nombre des 17 collecteurs de la commune, de meilleures conditions de travail. Ils souhaitent de tous leurs vœux la fin de cette situation contractuelle et signer dans les plus brefs délais un contrat d’embauche. « Nous avons assez attendu, mais jusque-là rien. Dieu sait que nous travaillons durement, nous sommes d’un grand apport pour l’équipe municipale, mais quand il s’agit de prendre des gens, ils pensent aux autres », fulmine Fatoumata.
Pour expliquer la faiblesse de leur traitement salarial, cette dernière et son collègue Racine relèvent que deux jours de collecte de recettes pour chacun d’entre eux suffisent à payer leur salaire du mois. L’adjoint au maire Mouhamadou Diop, chargé du suivi des recettes, ne dit pas le contraire. Mais il explique que lors du magistère du défunt maire Doudou Issa Niass, nombre des collecteurs de la commune étaient sous contrat. Néanmoins, assure-t-il, l’actuel maire Mouhamadou Djibril Wade vient en appoint à certains de ces agents et veille sur leur sort, sur les reclassements et les avancements statutaires pour mieux les motiver.
Compte tenu de l’immensité du travail quotidien qu’ils abattent, ces agents de Biscuiterie veulent que la municipalité trouve une solution au manque de personnel dans les différentes infrastructures marchandes de la commune. L’institution municipale doit aussi, selon eux, les équiper en matériel de travail (tenues, bottes, dotation de gels et de masques contre la Covid-19), de même qu’assurer la sécurité des personnes qui fréquentent le marché. Il va falloir œuvrer pour ces derniers, à la salubrité des lieux, assurer un bon éclairage des lieux et un bon assainissement du marché afin d’optimiser les profits pour tous les pensionnaires du marché. La sensibilisation de tous les acteurs du marché sur la nécessité de payer les taxes participerait à faciliter la collecte des recettes dans leur travail.
COLLECTE DES RECETTES
Une activité synchronisée
Dans la collecte des taxes et autres impôts à Dakar, tout part des différentes autorisations de la Perception municipale de Dakar. Pour ce qui concerne les 19 communes du département, la Perception municipale de Dakar a créé deux démembrements qui administrent les ressources des communes. Le centre de Grand Dakar-Bourguiba gère 10 communes dont celle de Biscuiterie, tandis que le centre de Mermoz administre les neuf autres communes (Ouakam, Dakar Plateau, Fass-Colobane, Médina, Mermoz, Yoff, Ngor, Parcelles Assainies et Grand Yoff). La Perception de Dakar gère aussi les recettes de la ville de Dakar.
Massamba Diop, Régisseur des recettes de Biscuiterie, par décision du maire et en rapport avec le percepteur municipal après une enquête de moralité, est le seul responsable de liaison entre la commune et le centre des recettes municipales. C’est lui qui donne les tickets aux collecteurs et qui encaisse quotidiennement les recettes pour le centre de Grand Dakar-Bourguiba. Pour le moment, certifie-t-il, la collecte se fait la plupart du temps dans les trois marchés de la commune (Nguelaw 1 et 2 en reconstruction et Mbabass).
Dans la commune de Biscuiterie, confirme-t-il, les marchés sont divisés en secteurs. Après évaluation et recensement des tables et cantines le barème journalier que devrait verser chaque collecteur est déterminé, explique M. Diop.
MASSAMBA DIOP, RÉGISSEUR DES RECETTES DE BISCUITERIE
Depuis 1996, le régisseur actuel de la commune de Biscuiterie, Massamba Diop, travaille avec les collecteurs. Le métier, il le connaît du bout des doigts pour avoir gravité tous les échelons et mériter la confiance des autorités qui se sont succédées à la tête de la municipalité.
Un témoin de l’évolution du métier
L’actuel Régisseur des recettes de la commune de Biscuiterie, Massamba Diop, est un pur produit de la révolution entamée dans le système de collecte et initiée en 1997 par l’ancien député maire, feu Doudou Issa Niass, avec l’aval des autorités de l’État. Dans sa commune, les autorités municipales ont, très tôt, impliqué les jeunes dans le système de collecte pour maximiser les recettes à travers une meilleure maîtrise des niches. Massamba Diop, qui a appartenu à la pépinière des collecteurs résidants de la commune Biscuiterie où il naquit le 24 juin 1968, a fini ses études secondaires dans la banlieue dakaroise. Il intègre l’équipe des collecteurs en 1996 comme contrôleur pour la mairie.
Avant le début de cette vie professionnelle, Massamba Diop a fait un court séjour de trois années à l’Université Cheikh Anta Diop. Avec la bénédiction de ses parents, il s’est engagé dans le métier de la collecte des recettes municipales, un travail répugnant dans l’imaginaire populaire et religieux. Mais l’onction de la famille et la volonté de feu Doudou Issa Niass de révolutionner la collecte des recettes au profit des populations ont dopé son penchant de ne nourrir aucun complexe dans sa nouvelle profession. D’ailleurs, note-t-il, « les recettes de notre commune ont triplé lors de l’exercice 1997-98 ; ce qui eut comme conséquence la généralisation du nouveau système dans les communes de Dakar ». Pour autant, cela ne l’empêche pas de dire que le métier est « très ingrat ».
Marié et père de quatre enfants, il se glorifie du fait d’appartenir à la première vague des précurseurs d’une nouvelle ère de collecteurs qui ont impacté sur le vécu des quartiers des communes. Massamba Diop a salué la volonté et la détermination, au cours du magistère de feu Doudou Issa Niass, de changer le métier pour qu’il soit le fer de lance dans les communes de l’économie locale.
Le 17 mars 1998, il a entamé le travail de collecteur dans les marchés avant de rejoindre, une année après, la régie des recettes où il fut nommé collecteur mis à la disposition du nouveau collecteur en chef, Mme Sakho, épouse de l’ancien ministre des transports, Youssou Sakho. « C’est elle qui nous a couvés comme collecteurs en rapport avec le comptable surveillant Baba Diagne actuellement à la retraite. Ils nous ont appris les ficelles du métier et ont guidé nos premiers pas de régisseur de recettes », renseigne-t-il. Sa nomination comme régisseur de recettes demeure pour ce dernier la consécration de plusieurs années au service de la commune de Biscuiterie. En étant l’interface entre la commune et la Perception de Dakar Bourguiba, Massamba Diop est devenu une pièce maîtresse du système de collecte des recettes de la commune. Il est l’agent de liaison entre les deux institutions dans ce système du « faire-faire » pour la collecte des taxes municipales. Il gère ses collecteurs et rend compte quotidiennement à la municipalité et à la perception.
COLLECTE DES TAXES MUNICIPALES
Ytax montre son efficacité dans certaines communes
Dans le but de procéder à une dématérialisation des taxes municipales, un nouvel outil est expérimenté dans certaines communes du Sénégal. Il s’agit du système Yelen tax (Ytax) initié par le programme Usaid gouvernance locale pour le développement (Usaid Gold) et appliqué dans les communes tests de Koupentoum (Tambacounda), de Kédougou, de Bagadadji (Kolda) et de Tanaff (Sédhiou). Actuellement, renseignent les initiateurs de ce projet, 60% des collecteurs de ces communes procèdent au recouvrement des recettes par un système électronique, les autres continuent à utiliser la méthode classique des tickets. Cependant, le système Ytax s’est révélé très efficace car il a été constaté une importante amélioration de ressources mobilisées.
Il est basé sur l’utilisation efficace des Tic pour améliorer la collecte des recettes. L’application est dotée de deux interfaces : une interface mobile avec des terminaux de collecte mis à disposition des collecteurs et contrôleurs et une interface web dédiée aux maires et au Trésorier payeur régional (Tpr) avec des habilitations lui permettant de voir en temps réel la collecte des taxes sur le terrain et de faire le suivi-évaluation du recouvrement.
L’évaluation à mi-parcours de ce nouveau système de collecte montre qu’en trois mois, les taux de recouvrement ont connu une évolution de 218 % à Tanaff, de 169 % à Kédougou et de 259 % à Koumpentoum. « La numérisation de la collecte d’impôts à l’aide de nouvelles technologies permet au Sénégal d’éliminer les opportunités de fraude et de corruption et de s’assurer que les recettes fiscales sont effectivement dépensées pour répondre aux besoins les plus pressants des communautés », souligne Mark Wilson, directeur du Bureau Usaid. Cet outil est bien apprécié par les autorités étatiques sénégalaises qui souhaitent son déploiement dans toutes les communes. « Après la phase test, il faudra s’orienter vers sa vulgarisation et son déploiement intégral. Nous invitons l’Usaid pour un accompagnement nécessaire en vue de faire bénéficier à d’autres communes cet outil qui participe à améliorer la mobilisation des recettes fiscales, à limiter l’évasion fiscale mais aussi à améliorer la gestion financière de façon globale », souligne Cheikh Ndiaye, Coordonnateur de la Direction générale de la comptabilité publique et du trésor.