Le Lac Rose, l’un des patrimoines naturels les plus célèbres et les plus visités au Sénégal, risque d’être rayé de la carte dans un horizon proche. Mise à part la baisse de la pluviométrie, l’homme est le seul responsable de ce nouveau désastre écologique et économique qui s’annonce. Les constructions sur les rives du côté de la mer et les nouvelles agglomérations de Keur Massar, Bambilor, Sangalkam, Niague, obstruent toutes les voies d’alimentation de cet écosystème unique au monde. Si rien n’est fait, le Lac Rose va disparaître.
Les activités ont repris leurs droits sur les rives du Lac Rose, après des mois de restriction imposée par la pandémie du coronavirus. Des jeunes et des guides se précipitent sur les touristes et les visiteurs qui débarquent des véhicules de tous genres. « Vous voulez une balade, avec quad, pirogue ou à dos de chameau », nous proposent presque en chœur des jeunes près des cases rondes en cours de construction. Ce chantier ne sera jamais livré. Les autorités ont décidé de participer à l’entreprise de destruction d’un patrimoine naturel qui a vendu la destination touristique du Sénégal. Entre les chantiers des marchés et la rive du lac jalonnée de quais d’embarquement, de campings sur plusieurs kilomètres, des arbres protégés par un assemblage de briques poussent sur un sol sableux-argileux. Cette aire est surveillée par tous ceux dont la vie dépend du lac. « Cette bande de terre fait l’objet de convoitises.
À plusieurs reprises, nous nous sommes levés contre un projet individuel de construction ou des projets collectifs. C’est une lutte permanente contre l’envahissement des bassins du lac », raconte El Hadj Camara, trouvé au quai d’embarquement « quad Darou Salam ». De l’autre côté du lac, de belles villas sont accrochées sur les pentes dunaires et sont à peine visibles entre les filaos. En arrière-plan de ces villas, on découvre des hôtels coincés entre la mer et le lac. Ces réceptifs forment un tampon et compliquent l’écoulement entre le lac et la mer. Mais, ici, on ne s’oppose qu’aux constructions à usage d’habitation. « La mer est située à six mètres au-dessus du lac. Mais vous voyez, ces villas constituent la principale menace à la durabilité du lac », s’offusque Ahmadou Ndir, avant de s’engouffrer dans une allée ravalée par des arbustes et des plantes ornementales.
Depuis 2005, il gère un restaurant à proximité de l’un des sites les plus visités par les étrangers dans la région de Dakar. Aujourd’hui, il s’inquiète du retrait du cours d’eau sur plusieurs mètres. « Il y avait une baisse notable du niveau de l’eau. Ce n’est qu’avec l’hivernage de 2020 que d’autres parties sont remplies », a constaté Ahamdou Ndir. En longeant la rive quelques « céanes » (puits peu profonds) sont remplis. Ce sont des sources de réalimentation. Leur apport ne suffit pas à compenser les pertes d’eau douce. Parfois, les obstructions à l’écoulement sont situées à plusieurs kilomètres. « Les nouvelles cités Apix, Namora et de Sangalkam ont bouché les voies naturelles d’écoulement qui alimentent le lac. Or, l’apport d’eau venait de toutes ces zones y compris depuis le pont de Mbao. Avec l’urbanisation, la création de nouvelles cités dans cette zone, il faut s’attendre à la disparition du lac dans un horizon proche », pronostique Abdoulaye Sèye Dieng. Sa superficie est passée de 28 à 4 km2 entre 1970 et 2020. Sa profondeur moyenne dépasse à peine un mètre en saison sèche et 1,5 mètre durant l’hivernage. Du côté de Deny Biram Ndao, il n’y a plus d’eau dans la zone du village de Hoss. Si rien n’est fait, cet écosystème si particulier pourrait disparaître.
Restaurer la voie d’écoulement avec la mer
La menace sur le Lac Rose est un sujet de préoccupation de la communauté scientifique et universitaire. Cette étendue d’eau a été au centre de nombreuses études. La plus récente, menée de concert avec les restaurateurs, les tenanciers des quads et des hôteliers, a préconisé la construction d’un chenal entre le lac et la mer. « La récente étude avec un groupe de chercheurs a recommandé la construction d’une canalisation pour rétablir la communication entre la mer et le lac », rapporte El Hadji Camara. Sauf que cette option pourrait avoir des incidences sur la composition de l’eau. Ce problème pourrait être résolu si l’eau de mer passe par des dunes. Une sorte de filtration naturelle qui existe déjà entre les deux milieux.
ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES
L’industrie touristique menacée
Regain d’activités, des visiteurs qui arrivent en masse, le Lac Rose se relève petit à petit de la Covid-19. Malgré l’affluence, guides touristiques, vendeurs d’objets d’art et exploitants de sel craignent des lendemains sombres pour leurs activités. Ils se sentent menacés par la poussée des projets immobiliers.
C’est l’été ! La température se rapproche des 40 degrés. Les promenades et petites balades sont à la mode. Au Lac Rose, c’est souvent un tour entre amoureux ou des excursions en groupes. Sous un ciel nuageux en cette matinée de samedi, l’activité y est intense. À côté des réceptifs hôteliers et des restaurants, le petit commerce bat son plein. Panier sur la tête, démarche élégante, Aïda Gaye expose des bracelets aux couleurs nationales. Un tissage à la main qu’elle fait elle-même avec une forte dose esthétique. « En forme de cœur, je représente l’amour. Par une poignée de mains, je chante l’amitié », explique-t-elle, s’installant sur un banc en face du lac. Avec la tendance baissière des contaminations à la Covid-19, son business repart à la hausse. « Avec la forte affluence du week-end, je vends des jouets, des statuettes, des bracelets. Je m’en sors bien avec des rentrées d’argent de près de 20.000 FCfa » (par jour ?), dit-elle en riant et en offrant un article à un client. Actif au quai d’embarcation, El Hadji Mbodji guette de potentiels visiteurs. En débardeur qui met en évidence des biceps musclés, l’homme de grande taille nettoie sa barque embellie avec des drapelets aux couleurs nationales. Du lundi au samedi, il mène les balades pour les nombreux visiteurs. « Le tarif du voyage est de 7000 FCfa. On constate un regain d’activités depuis quelques semaines. L’été s’annonce bien », se réjouit-il. Ousmane Faye, lui, fait prévaloir son flair artistique, son amour pour le beau et la profondeur de son pinceau. Des tableaux représentant la carte du Sénégal, le monument de la Renaissance africaine à la main, il court derrière les touristes. « Des tableaux sablés à 1000 FCfa. C’est une opportunité à saisir », scande-t-il.
Des lendemains incertains
Autour du lac, les bâtiments sortent de terre. Un développement de l’immobilier qui inquiète Ousmane Faye. Ainsi, le vendeur de tableaux artistiques craint la disparition du Lac Rose. Ce qui signifie à ses yeux la chute de l’industrie touristique. « Le lac est devenu sale. Les gens construisent tout autour. À ce rythme, ce site perdra sa principale attraction. De ce fait, les touristes iront voir ailleurs. Hôteliers, restaurateurs et guides touristiques mettront la clé sous le paillasson », redoute-t-il, le visage dépité.
Tous les jours, notamment le week-end, Marème Dieng quitte Niaga Peulh à la rencontre des touristes du Lac Rose. Écarquillant les yeux exposés aux puissants rayons solaires, la dame de 49 ans accroche plusieurs colliers et bracelets à son bras. Des statuettes inspirées de la carte africaine trônent sur une petite table. Après l’expérience malheureuse de la Covid-19, Marième redoute un autre coup dur. Cette fois-ci, il sera, selon elle, causée par « l’agression dont le lac fait l’objet ». « Il a fallu que les jeunes se mobilisent pour enterrer des projets immobiliers. Malgré tout, certaines puissances financières construisent des immeubles à quelques mètres du Lac Rose. Dans 30 ou 40 ans, il risque de disparaître. Ainsi, ces localités et les individus qui en dépendent risquent de renoncer à leurs activités économiques arrimées au tourisme », met en garde Marème. Yeux cachés derrière des lunettes noires, Ibrahima Dione peut retracer l’histoire du Lac Rose. Il a consacré trente années de sa vie à l’exploitation du sel. Assis sur des sacs déjà remplis et prêts à être chargés sur un camion bleu, le vieil homme et ses assistants sortent 200 à 400 tonnes par jour. Malgré tout, il scrute l’avenir avec pessimisme. « Les productions baissent d’année en année. En plus de cela, la partie située au village de Khoss s’est asséchée. Donc il y a des raisons de s’inquiéter pour l’activité économique portée par le lac, principale attraction », dit-il froidement.
Quad et balade en dromadaire, des loisirs en sursis
En pantalon bouffant, El Hadji Sow tient la corde d’un dromadaire. Aux pieds des dunes, il aide un touriste européen à monter sur l’animal. Le bonheur d’une balade de 30 minutes éblouit le visage de ce dernier. « À tout à l’heure, c’est le début d’un moment de plaisir », lâche-t-il à l’endroit d’un de ses compagnons. De 15 minutes à une journée complète de balade, les tarifs varient entre 10 000 et 80 000 FCFA. Riche d’une expérience de 15 ans, El Hadji Sow allie réjouissance et inquiétude. « Les activités ont repris. On s’en félicite. Mais dans 10 ans ou un peu plus, je crains le rasage des dunes. Ce qui signifie tout bonnement la fin de plusieurs activités ludiques dont la balade en dromadaire », explique le trentenaire. À côté des passionnés de cette balade, les inconditionnels du quad s’offrent une partie de rallye. Une dizaine de motos escaladent les dunes et envoient la poussière vers de jeunes hommes installés sous l’ombre d’une tente. Ousmane Faye n’en est guère gêné. Visage suant, sous l’effet de la forte chaleur, le jeune mécanicien apprécie cette ambiance. « Ils font des merveilles. Ce sont de vrais passionnés du quad. Nous espérons apprécier encore longtemps cette ambiance ludique malgré cette poussée démographique et immobilière », prie-t-il.