Jadis terre fertile et d’espoir, le quartier Diabir de Ziguinchor a connu des heures les plus sombres de son histoire il y a près de quatre décennies. Le ciel s’y est enténébré un 18 décembre 1983 avec la mort tragique des officiers de la gendarmerie nationale. C’est la première fois que des éléments des forces de défense et de sécurité tombent dans les champs de bataille à cause du conflit casamançais déclenché en décembre 1982. Au fil du temps, le quartier Diabir va devenir le théâtre des combats entre l’armée et les indépendantistes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc). Aujourd’hui, cette page douloureuse est complètement tournée et Diabir se relève, respire la paix, bascule vers le développement endogène et attire toutes les convoitises même s’il ne dispose encore de toutes les infrastructures sociales de base. Diabir, quand les feux s’éteignent, la vie reprend son cours.
« Le Soleil »
ZIGUINCHOR- Diabir ! A Ziguinchor, la simple évocation de ce nom rappelle des souvenirs douloureux. Un épisode tragique à jamais gravé dans les mémoires des Ziguinchorois et qui a changé le cours de l’histoire de ce petit quartier qui a vu le jour bien avant les années 1950. Derrière ces nombreuses plantations d’anacarde et les manguiers qui le ceinturent, Diabir est un quartier plein d’histoire pour avoir été la zone de repli des combattants « d’Atika ». Le « sang du conflit » casamançais y avait été versé pour la première fois. Il fut un temps, les habitants de ce quartier n’osaient sortir pour une petite promenade de nuit. Tous, par peur de subir les brimades des éléments du Mfdc se couchaient très tôt ou restaient enfermer dans leurs maisons de fortune. Diabir, c’est ce quartier tampon d’une sensibilité sécuritaire extrême. Jusqu’en 2009, année à laquelle un sergent de l’armée y avait été tué lors d’un accrochage avec les combattants du Mfdc, ce quartier était fragile. Mais, aujourd’hui, la donne a complètement changé. La quiétude retrouvée, ce gros village attire les folles convoitises et tout le monde veut disposer de son lopin de terre dans cette partie de la ville de Ziguinchor. Maintenant, on peut s’y rendre à n’importe quelle heure et s’offrir une partie de balade nocturne sans être inquiété. Niché entre l’aéroport régional, l’Université Assane Seck de Ziguinchor et l’école de formation des Eaux et forêts, Diabir, jadis insécure, rejeté par les uns et les autres a su se relever de son épisode douloureux pour tendre vers la modernité. Par contre, avant de devenir ce hameau parfumé de paix, Diabir était dans un trou profond. Car, le 18 décembre 1983, les indépendantistes se sont retrouvés dans cette partie de la commune dirigée par Abdoulaye Baldé depuis 2009 pour préparer l’offensive sur Ziguinchor. Mais, ils n’ont pu mettre en exécution leur menace. Et ça a tourné très mal, confie cet habitant de Diabir, témoin des événements douloureux qu’a connus ledit quartier.
« Le 26 décembre 1982, il y a eu des mouvements à Ziguinchor. Car, des gens ont tenté de faire descendre le drapeau du Sénégal qui flottait fièrement à la gouvernance. C’était du jamais vu. L’année suivante, quand l’anniversaire de cet événement s’approchait, ces mêmes personnes avaient organisé une grande réunion au quartier Diabir pour préparer l’anniversaire du 26 décembre. Alertés, les gendarmes avaient quitté la brigade de Néma pour aller les disperser. Des affrontements vont éclater et pour la première fois, des officiers des forces de défense et de sécurité vont tomber à cause du conflit », se souvient Mamadou Lamine Mané. Ce même jour précise-t-il, trois à quatre officiers avaient perdu la vie dans ce quartier et un autre s’en était sorti avec une grave blessure. D’ailleurs, poursuit notre interlocuteur, ce dernier avait été évacué à Dakar pour des soins intensifs. A la suite de cet événement dramatique poursuit Mamadou Lamine Mané, beaucoup de personnes qui pensaient ne pas être en sécurité avaient décidé de rejoindre les rangs du Mfdc. Situé dans la périphérie Sud de la ville de Ziguinchor, Diabir a subi de plein-fouet ; à l’image des villages de Mpack, Bissine, Bindialoum Manjacque ou encore Effock, les affres du conflit casamançais. «Tout est parti de Diabir. Et cette date du 18 décembre 1983 est une date qui symbolise beaucoup de chose. D’aucuns pensent même que, celle-ci a coïncidé avec le démarrage du maquis », rappelle le journaliste qui travaille pour la station privée Zig Fm.
L’endroit des affrontements devenu des champs de patate
Les années passent. Les souvenirs sont lointains. A Diabir, les populations ont la tête au développement. La preuve, le lieu où avaient eu lieu les affrontements est méconnu du grand public. Actuellement, on y cultive de la patate douce. Diabir n’a jamais abrité une base rebelle. Selon l’historien de formation, au fil du temps, cet endroit est devenu « un lieu banal puisque les grands arbres ont presque disparu ». Quartier tampon entre la ville et la grande brousse, Diabir « loti depuis très longtemps a besoin d’être modernisé davantage », affirme Mamadou Lamine Mané. Aussi, préconise-t-il, il faut doter ce quartier d’infrastructures, notamment un réseau routier moderne afin de désenclaver « totalement » Diabir et faciliter le déplacement des populations. « Il est vrai que Diabir est électrifié mais pas à 100%. Il reste encore à faire de l’extension. Les gens ont peur de construire des bâtiments modernes parce qu’ils ne savent pas par où une route ou une quelconque infrastructure pourra passer un jour (…) », indique l’homme des médias, soulignant l’importance de distribuer les lots pour permettre à tous de construire de jolies maisons en vue de rendre le quartier « plus attrayant ».
A l’origine, un verger qui nourrissait Ziguinchor
Dans le temps, avant de devenir le théâtre des affrontements souvent sépulcraux, Diabir était ce quartier où il faisait bon vivre grâce à sa diversité culturale et intensifiée. Ici, les populations cultivaient des hectares d’arachide, de patate, de riz etc., et pratiquaient également l’arboriculture (mangues, mandarines). Autrement dit, c’est Diabir, avec ses terres fertiles qui nourrissait Ziguinchor. D’ailleurs, ce quartier doit son nom à un producteur agricole venu de Diabir, village situé dans le département de Bignona. « Il y avait un vieux qui habitait au village Diabir, situé dans l’arrondissement d’Oulampane, département de Bignona. Ce dernier avait quitté son village pour venir s’installer dans cette brousse où il pratiquait la culture du riz, d’arachide et même de patate. A chaque fois, il y amenait ses enfants. Au village, quand il quittait pour Ziguinchor, il disait à ses parents qu’il se rendait à Diabir. C’est de là qu’est né le Diabir de Ziguinchor », relate-t-il.
Diabir, une réserve foncière si convoitée
Seule assiette foncière restante de la ville de Ziguinchor, Diabir attire toutes les folles convoitises provoquant même une spéculation foncière sans précédent. Car, outre l’Université Assane Seck, beaucoup d’infrastructures de l’État du Sénégal y sont prévues. En revanche, excepté le collège d’enseignement moyen en gestation, Diabir dispose déjà d’une école élémentaire, d’une case des Tout-petits et abrite en son sein le centre de formation du personnel de l’éducation. A l’horizon, ce sont des fonctionnaires « modestes » qui habitaient dans ce quartier. D’après l’historien de formation, Mamadou Lamine Mané, les enfants de ces derniers sont devenus « de hauts cadres » conscients du devenir de Diabir. Ce sont eux ajoute-t-il, qui, aujourd’hui portent le combat et la dynamique de développement. Toujours quadrillé par les militaires, avec au moins ces quatre cantonnements, Diabir est l’un des quartiers les plus sûrs de la ville de Ziguinchor. Diabir, c’était l’enfer. Mais, aujourd’hui, c’est la renaissance. Il refait bon vivre dans cette zone qui dispose d’une des Associations sportives et culturelles (Asc) les plus dynamiques de la ville, car disposant d’un Ninea et d’un registre de commerce pour mener des activités génératrices de revenus. Mandigues, Diolas (Bayotte et du Kassa), Bissau-guinéens, Chrétiens et Musulmans se côtoient dans ce quartier si paisible. Diabir où les affrontements armés avaient démarré en décembre 1983 a fini de panser ses plaies. Le crépitement des armes a laissé la place au cri de la modernité. C’est peut-être à partir de Diabir, point de départ du grand ratissage de Kassana où la paix définitive en Casamance va être lancée. Les populations y croient. Car, Diabir progresse en même temps que le conflit.