Il voulait « décoloniser les mentalités » dans son pays et en Afrique où il est devenu une icône, mais Thomas Sankara, jeune président du Burkina Faso, n’a pu réaliser son rêve: en 1987 il est assassiné, quatre ans après le coup d’Etat qui l’avait porté au pouvoir.
Le procès des auteurs présumés de son assassinat, dont son ancien ami Blaise Compaoré qui lui a succédé et est resté au pouvoir pendant 27 ans, s’ouvre lundi à Ouagadougou où Thomas Sankara reste une figure populaire et emblématique.
« Sankara, c’est toute une philosophie, c’est une manière de penser et d’être, un mode de vie. Sankara c’est une fierté africaine », déclare Serge Ouédraogo, professeur de lycée.
Lors des manifestations de 2014 qui ont abouti à la chute de Blaise Compaoré, les jeunes qui n’ont pas connu son bref passage au pouvoir, brandissent pourtant son portrait avec fierté.
« Aujourd’hui, on peut dire que Sankara représente une boussole pour le peuple burkinabè. C’est un guide, c’est lui qui a tracé le chemin de l’espoir pour le peuple », estime M. Ouédraogo.
Plus d’une dizaine de partis politiques se réclament de l’idéal de Sankara, dont le principal est l’Union pour la renaissance-Parti sankariste, (Unir-PS).
Né le 21 décembre 1949 à Yako (nord), Thomas Sankara, élevé dans une famille chrétienne et dont le père était un ancien combattant, a douze ans au moment de la décolonisation.
Après l’obtention de son baccalauréat à Ouagadougou, il suit une formation militaire à l’étranger, notamment à Madagascar où il assiste en 1972 à l’insurrection qui renverse le président Philibert Tsiranana, considéré comme inféodé à la France, ex-puissance coloniale.
A son retour en 1973 dans son pays qui s’appelle alors la Haute-Volta, il est affecté à la formation des jeunes recrues et se fait remarquer lors d’un conflit avec le Mali, en 1974-1975.
Après un coup d’Etat en novembre 1980, le nouveau chef de l’Etat, le colonel Saye Zerbo, lui confie le poste de secrétaire d’Etat à l’Information. Ses idées progressistes lui font claquer la porte du gouvernement un an et demi plus tard.
Mais il revient à la faveur d’un autre putsch et est nommé Premier ministre, en janvier 1983. Une sourde lutte pour le pouvoir s’engage alors entre militaires.
D’abord arrêté en mai 1983, il ressurgit en août, cette fois pour de bon, à la suite d’un nouveau coup d’Etat mené par son ami intime, le capitaine Blaise Compaoré.
Agé de 33 ans, Sankara symbolise l’Afrique de la jeunesse et de l’intégrité. Il rebaptise d’ailleurs son pays Burkina Faso, le « pays des hommes intègres ».
Une main de fer
D’allure sportive et élancée, souriant et charmeur, le jeune dirigeant est toujours vêtu d’un treillis, portant à la ceinture un pistolet à crosse de nacre offert par le dirigeant nord-coréen Kim Il-Sung.
Vivant modestement avec sa femme et ses deux fils dans un palais présidentiel délabré, il n’a pour tout bien que sa guitare et une Renault 5 d’occasion, petit véhicule qu’il impose comme voiture de fonction à tous les membres de son gouvernement habitués aux luxueuses berlines.
Ses priorités: dégraissage d’une fonction publique « pléthorique », amélioration de la situation sanitaire, désenclavement des campagnes, éducation, promotion de la femme, politique en faveur des paysans.
Cette politique volontariste est menée d’une main de fer. « Il faut décoloniser les mentalités » clame-t-il.
La population est surveillée par les Comités de défense de la révolution (CDR) et sanctionnée par les Tribunaux populaires de la révolution (TPR).
Il brise une grève des instituteurs en les licenciant et l’opposition syndicale et politique est réprimée.
Ses relations avec l’ex-puissance coloniale française et plusieurs pays voisins, dont la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët Boigny et le Togo de Gnassingbé Eyadéma, sont tendues.
Ses prises de position, ses liens avec la Libye de Mouammar Kadhafi et le Ghana de Jerry Rawlings, inquiètent.
Au président français François Mitterrand, qui avait accueilli officiellement à Paris le rebelle angolais Jonas Savimbi et le président du régime d’apartheid sud-africain Pieter Botha, il donne une leçon de droits de l’homme, lors d’une visite à Ouagadougou en 1986. « Il va plus loin qu’il ne faut à mon avis », rétorque Mitterrand.
Sankara appelle l’Afrique à ne pas payer sa dette aux pays occidentaux, dénonce devant l’ONU les guerres « impérialistes », l’apartheid, la pauvreté, défend le droit des Palestiniens à l’autodétermination.
La parenthèse sankariste sera de courte durée: le 15 octobre 1987, alors qu’il se rend à un conseil des ministres extraordinaire, il est assassiné lors d’un putsch qui laisse Blaise Compaoré seul au pouvoir. Il n’avait que 37 ans. AFP