Dans la commune de Richard Toll, une localité étonne par la maîtrise de ses populations de la culture bio de la feuille de menthe (nana), utilisée pour le thé et la boisson. Depuis des lustres, elles perpétuent ce savoir-faire ancestral, même si les écueils ne manquent pas.
SAINT-LOUIS – En route pour Ndombo Nana, on embarque un collègue-passager, novice de l’axe Saint-Louis-Richard Toll. La mission fut pour lui, comme une découverte, avec plein de questions pour satisfaire sa curiosité de…commercial. Adama Traoré, c’est également la perspicacité et la générosité, puisqu’il s’occupe du calepin, pour griffonner nos impressions de voyageur. Il demeure, néanmoins, une machine à questions. Il veut tellement comprendre, lui l’administratif, qui n’a l’habitude de ces genres de virées, propres aux journalistes. Surtout que la veille, les pluies ont considérablement adouci la température. Le voyage fut doux, et la route excellente, pour les automobilistes. Pas de stress naturellement. Adama voulait comprendre le visage qu’offre Ross Béthio, commune du défunt maire Bécaye Diop, gorgée d’eau. Les inondations et le manque d’assainissement sont passés par-là. Un peu plus loin, le village peul de Colona offre la même carte postale : sous les eaux. Mais notre passager n’a pas eu le temps de poser davantage de questions, que Richard Toll se pointe à l’horizon. Il a tellement entendu parler des champs de cannes à sucre, dont les plants sur une belle symétrie et les boutures crinière au vent offrent un beau tableau. Adama Traoré est baba d’admiration, et à l’entrée de la ville, il découvre avec joie la cité ouvrière, qu’il traverse pour la première fois. Les chaumières fumantes avec la cuisson des cannes, les bâtiments de la Compagnie sucrière sénégalaise, tout lui est si étranger. On lui fait un peu d’histoire en lui parlant de la Taouwey, cette étendue d’eau qui alimente le lac de Guiers, ce réservoir qui étanche la soif des Dakarois et autres parties du pays. Il découvre la Laiterie du Berger de Bagouré Bathily avec joie. Son contact avec ses produits, c’était seulement le super marché et autres grandes surfaces.
Richard-Toll – Ndombo Nana : routes inondées et défoncées
Quand on sort du tronçon Richard-Toll – Ndombo, on ressemble à un cycliste ayant sillonné Paris-Roubaix, la célèbre course sur les pavés surnommée « l’enfer du Nord ». Tellement le parcours est lourd avec des crevasses, de la boue et des dénivellements. Parfois, le passager s’agrippe, de peur de se retrouver dans le décor. Le pauvre ! La végétation drue qui borde la Taouwey n’est pas de nature à rassurer les couards. Après la pluie, la galère. La voiture, elle, se retrouve badigeonnée avec l’argile qui forme des croutes. Au bout de quelques mètres de supplice, enfin le pont qui mène à Ndombo Nana apparaît. Cette bourgade lovée au bout du goudron, en paix avec elle-même, se laisse découvrir. Ici, les pluies des dernières heures ont adouci le mercure, rendu le ciel azuré et assurément beau. Notre contact est tiré du lit à la hâte. Elle convoque ces braves dames qui, depuis plus de 50 ans, exploitent différentes saveurs de nana. Généreuses, elles donnent temps, force et engagement à la terre « qui ne nous le rend pas, actuellement, car avec les averses, le fleuve déborde de son lit et inonde nos plans de nana », souligne Diariatou Taye, d’un âge assez avancé. La saison des pluies reste problématique à Ndombo Nana. Entre inondations et présence des serpents, et autres reptiles, il est difficile de travailler. Et pourtant, sur cette vaste étendue, les effluves du nana montent à plein nez, avec divers parfums. Parfois c’est la menthe, parfois l’ordinaire, le Fès, la pastille… Un ensemble de types de nana peuplent le paysage, pour le bonheur des narines. Cette belle alchimie faite de bonnes senteurs et une belle verdure est une aubaine pour le visiteur. Petit à petit, le périmètre se peuple de ces braves dames qui, à la force de leur poignet, tirent leur subsistance de la terre. Les complaintes sont nombreuses, mais le sourire orne ces visages sereins. Dans la douleur, elles ne perdent jamais leur humanité. En effet, même assaillies par une horde de problèmes, ces femmes telles des pieux droits plantés restent dignes et inoxydables.
Congés forcés durant l’hivernage
Le rituel est le même tous les jours. Dès le matin à 7 heures, elles sont au champ, se reposent le temps de la prière de 14 heures, puis repartent, et restent jusqu’en début de soirée au champ. Un emploi du temps chargé, confie Diariatou Taye qui, depuis plus de 50 ans, exploite une parcelle de Nana. Selon elle, cette activité a permis à des populations de se marier, de baptiser leurs enfante et de payer les scolarités et autres dépenses. Mais, après les pluies, « il est difficile d’exploiter nos parcelles inondées par les crues, ou en proie aux reptiles ». Et pourtant, poursuit-elle, l’hivernage est le meilleur moment pour la culture du nana ; mais cela nécessite des ressources pour un bon entretien. La vieille Diariatou, la mort dans l’âme, le moral au plus bas, souligne que, chaque année, c’est comme cela, et « on se retrouve avec 3 mois de congés forcés ». Et pourtant, informe-t-elle, « nous n’avons que cette activité pour notre subsistance, et depuis plus de 50 ans, notre vie tourne autour de la culture de nana ».
La discussion est rythmée. Les autres responsables de la parcelle rappellent les complaintes liées à l’hivernage, avec les mauvaises herbes tenaces, qui les indisposent, mais également le manque d’appui de la part des autorités locales. Des griefs gérables, comme une digue pour retenir les eaux en cas de crues, des motopompes pour vider les champs ou faire venir le liquide précieux, lors de la saison sèche. Mais le plus important, « nous devons nous organiser, afin de bénéficier d’appui, mais également exploiter de nouveaux créneaux comme le séchage du nana, pour une utilisation future par les hôtels et autres structures qui travaillent dans l’alimentaire », souligne Diariatou Taye.
Travailler sur le conditionnement
Diablo Menthe, thé à la menthe, assaisonnement pour salade de fruits, dessert et autres gâteaux, les feuilles peuvent être utilisées, dans bien des domaines de la cuisine. Ce qui devait être une aubaine pour ces populations productrices de nana bio de bonne qualité. Mais aujourd’hui, à Ndombo, les femmes peinent à tirer leur épingle du jeu, malgré leurs efforts. « Nous n’utilisons pas de pesticides, ce qui fait que notre production est très saine », souligne Bineta Thiam. Aujourd’hui, à l’image de ce qui se fait avec les autres produits, ces femmes veulent se structurer, pour capter des financements, ou encore bénéficier de formations dans la cadre de la transformation. Mieux encore, poursuit Bineta Thiam, beaucoup de personnes, de manière informelle, viennent s’approvisionner en quantité. Mais « une unité de séchage et de conditionnement serait une bonne chose, afin que dans les périodes de grande production, l’on puisse sécher la production, pour une utilisation future par les usagers. Ou, mieux, exporter avec le label Ndombo Nana, au-delà de nos frontières et faire davantage connaître notre savoir-faire, acquis depuis des dizaines d’années », soutient Bineta Thiam. Elle pense également qu’il est important de ne pas être tributaire de la pluie, et avoir la possibilité d’exploiter durant l’hivernage. Mais, ceci passe par une gestion concertée, avec la mise en place d’une organisation, capable de fédérer les femmes de Ndombo Nana. Aujourd’hui, poursuit-elle, la feuille de menthe est consommée partout à travers le monde et est très appréciée pour sa fraîcheur inégalable. En cuisine, elle se glisse facilement dans les plats et desserts auxquels elle apporte une agréable saveur. Côté nutrition, la menthe est un véritable allié santé puisqu’elle favorise la digestion et nous fait profiter de sa teneur intéressante en vitamines et minéraux.
Des prix variés
La dame Ndèye Diop est à l’aise dans sa position. Accroupie, un couteau à portée de main, elle coupe tige par tige les brins de menthe, pour, après, les mettre en motte. Sans se lasser, avec une belle prestance, elle maîtrise sa partition comme un as. Après récolte, le produit est envoyé à Richard-Toll, Ross Bétio et même au-delà, pour écoulement. Et souvent, « nous pouvons avoir 10 000 FCfa le jour, mais de plus en plus, le travail rapporte peu ». La ressource devient rare, le travail prenant, pour ces quelques 350 femmes qui exploitent différentes surfaces à Ndombo Nana.
À côté d’elles, des hommes également tirent leur subsistance de la culture du nana, comme Cheikh Mbodji, relai communautaire, qui est venu appuyer ses sœurs et mamans dans le plaidoyer. « Depuis des décennies, nous maitrisons la culture de la feuille de menthe et avons capitalisé beaucoup d’expériences dans ce domaine. Il ne nous reste maintenant qu’un accompagnement pour être plus autonome », souligne Cheikh Mbodji. En effet, durant la saison sèche, les femmes puisent l’eau du fleuve, dans les récipients parfois inadéquats, qu’elles portent sur la tête jusqu’à leurs champs, distants quelquefois de plusieurs centaines de mètres. Cette activité destinée à la consommation familiale et à diversifier les ressources du ménage n’est pas économiquement rentable, pour permettre à ces femmes de se payer une motopompe, d’où la nécessité pour les pouvoirs locaux de les appuyer dans ce sens. Cette motopompe aura un double usage. D’abord pour « amener l’eau au niveau des périmètres maraîchers durant la saison sèche, mais également permettre de lutter contre les crues lors de l’hivernage », souligne Cheikh Mbodji, pour qui les femmes ont une importance capitale dans l’économie au sein de Ndombo Nana. C’est pourquoi, pense-t-il, « le développement de la filière nana va impacter positivement la vie de toutes les populations de la localité ».
On rentre sur le même tempo à Saint-Louis, la tête dans les étoiles, l’âme laissée dans ces champs parfumés, avec des interrogations plein la tête. Il suffit de peu pour ces dames, afin d’avoir une réelle autonomie. C’est sur cette cogitation que l’on arrive à la ville tricentenaire. On s’affale de fatigue et pique un somme réparateur, avant qu’Adama Traoré ne nous réveille avec du thé fumant, bien assaisonné à la menthe de Ndombo Nana. Ça a du bon, ces types de reportage.