Le compte à rebours du Magal, en souvenir du 18 Safar 1313 du calendrier hégirien, correspondant au 10 août 1895 et marquant le départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba, a commencé et est intensément vécu à Thiès. La commémoration de cette date qui, pour l’année 2021, intervient le 26 septembre, mobilise déjà les talibés mourides avec en première ligne les « Baye Fall » et « Yaye Fall ».
THIÈS – Dans la Cité du rail, les « mbootaay » (associations de femmes), les amicales comme celles des « jakartamen » (conducteurs de mototaxi) de Moussanté, les « dahiras » (groupements religieux) de quartier, les différents acteurs des marchés, etc., sont dans des actions de grâce pour faire honneur à Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur du mouridisme dont le Magal, le 18 Safar, est institué pour sublimer le Seigneur et rendre hommage au Prophète Mouhamad (Psl).
Exilé pendant près de huit ans au Gabon, Cheikh Ahmadou Bamba, revenu au Sénégal en 1902, demande à tous les croyants du pays, en particulier les talibés mourides, de s’associer à lui, à chaque 18 Safar, pour ensemble sublimer, avec faste, le Créateur. « Nous sommes dans cette disposition », dit Serigne Mbaye de l’amicale des « jakartamen » de Moussanté. Idem pour Ndèye Anta Tall, une couturière affirmant que « du 1er au 17 Safar, les membres de chaque secteur d’activité vont faire manger et boire les autres composantes du marché Moussanté, avant de se retrouver tous à Touba le 18 Safar pour la célébration du Magal ». Dans ce lieu d’échanges, les forgerons, les premiers à servir les assiettes du cœur, sont imités par les poissonnières, chevillards, tailleurs, légumières, « jakartamen », quincaillers, etc.
Aussi, s’organise-t-on dans les quartiers où « mbootaay », « dahiras » et familles rivalisent d’ardeur pour faire manger et boire le plus grand nombre. Au quartier mouride Serigne Abdoulaye Yakhine, Adja Ndèye Awa, avec ses deux brus Alima et Awa Cheikh financièrement appuyées par leurs époux, a servi un « berndé » (copieux déjeuner) aux femmes du « mbootaay » qu’elle dirige pour « faire vivre l’esprit du Safar qui appelle à des largesses ». Des anonymes mais des inconditionnels de Serigne Touba préparent des repas qu’ils mettent dans des barguettes qu’ils offrent à leurs voisins immédiats et à tout éventuel passant se trouvant à l’endroit au bon moment.
Au rythme des « zikrs »
Pour un Safar dont on se souviendra longtemps, il faut se rendre à Médina Fall, la principale zone d’habitation des « Baye Fall » et « Yaye Fall » de Thiès. Situé dans la commune d’arrondissement nord, le site qui fait office de quartier religieux est un titre foncier acquis vers 1919-1920 par le vénéré Cheikh Ibra Fall pour des champs réservés aux cultures d’hivernage. En 1950, suite au décès de Serigne Moustapha Fall, premier khalife de Cheikh Ibra Fall, son successeur Serigne Mor Talla Fall demanda à Serigne Fallou Mbacké, deuxième Khalife de Cheikh Ahmadou Bamba, d’autoriser le morcellement de ce vaste espace en parcelles à usage d’habitation. Il accorda une suite favorable à cette requête et donna au quartier le nom de Médinatoul Mounawara, aujourd’hui Médina Fall.
Dans ce populeux quartier de 30 000 âmes, l’écrasante majorité est composée de croyants d’obédience mouride, principalement du mouvement « Baye Fall » qui s’inspire de Cheikh Ibra Fall qui fit don de sa personne à Cheikh Ahmadou Bamba. Ici, on vit au rythme des « zikrs » (exaltations de Dieu) et des « xasaïd » (panégyriques) du fondateur du mouridisme. Dans cette partie de Thiès, la dévotion à Cheikh Ahmadou Bamba est totale et l’enseignement du saint homme portant sur l’entraide et la solidarité est assimilé par tous. Pour s’en convaincre, il faut aller, un après-midi, assister au Safar des « Baye Fall » et « Yaye Fall ». Avec leurs parades çà et là, le spectacle est magnifique.
Au son entraînant du tambour et des mélopées de louanges crachées par des voies chaudes, les disciples avancent, esquissant, par moments, des pas de danse. « Gloire à toi Bamba! » (Jaajëf Bamba !), scandent des fidèles dont les approbations sont noyées par le roulement des tam-tams. Des cohortes d’inconditionnels de tous sexes et de tous âges envahissent, durant les jours qui nous séparent du Magal, Médina Fall, remettant en scène l’allégeance de leur maître à penser Cheikh Ibra Fall à Cheikh Ahmadou Bamba. Pour les uns et les autres, la religion s’arrête aux consignes données par le guide religieux qu’ils vénèrent plus que toute autre chose.
En imitation à Cheikh Ibra Fall, ils se soumettent entièrement à l’autorité religieuse de Touba. Membres d’une famille confrérique foncièrement communautaire, les « Baye Fall » et « Yaye Fall » utilisent l’intégralité des contributions (argent et denrées) pour faire manger et boire, chaque jour, une partie du peuple de Dieu. D’où leur sens aigu de la solidarité qui fait de chaque fidèle le maillon d’une chaîne ininterrompue. Et pour le Safar, ils sont imbattables sur le terrain de l’organisation, de la mobilisation et de la participation. Pendant ces 17 jours, ils préparent et servent les repas, le café, etc., comme ils vont aussi le faire pendant le Magal.