Ces dernières semaines, l’actualité est marquée par les difficultés notées dans la fourniture d’engrais aux paysans. Les regards sont naturellement tournés vers les Industries chimiques du Sénégal (Ics), principal acteur du marché. Dans cet entretien exclusif accordé au « Soleil », Alassane Diallo, Directeur général des Ics, clarifie le débat. Il fait le point sur la commande de l’État : à la date du 25 août 2021, sur 40 697 tonnes d’engrais commandées et payées, la société a livré 40 233 tonnes correspondant à 98,85 %, assure-t-il. Mieux, avec une capacité de 250 000 tonnes d’engrais par an, l’entreprise est largement en mesure de satisfaire toutes les demandes d’engrais du Sénégal. M. Diallo démonte aussi les accusations selon lesquelles, les Ics privilégient les exportations au détriment de la demande intérieure et évoque l’impact de la Covid-19.
Le monde rural est confronté, cette année, à un manque d’engrais. Pouvez-vous nous faire le point sur la quantité d’engrais que devaient livrer les Ics à l’État ? Autrement dit, les Ics ont-elles respecté leurs engagements à ce jour ?
Je voudrais tout d’abord saluer l’initiative du journal « Le Soleil » de nous contacter afin d’avoir notre version des faits. S’agissant de la campagne d’engrais, il convient de préciser que les volumes d’engrais dont l’État a besoin sont répartis entre plusieurs opérateurs économiques sénégalais qui, à leur tour, s’adressent aux Ics et distribuent l’engrais dans les différentes régions du pays.
Dans un premier temps, les Ics établissent des factures pro-forma que la plupart desdits opérateurs transforment en bons de commande. Durant la saison des pluies, les formules Npk 6-20-10 (arachide), 15-10-10 (mil), 15-15-15 (maïs) et Dap (riz) sont ciblées. Pour les formules maraîchères Npk 10-10-20 et 9-23-30, la production démarre en septembre pour des livraisons à partir d’octobre.
À la date du 25 août 2021, sur 40 697 tonnes d’engrais commandées et payées aux Ics, la société a livré 40 233 tonnes correspondant à 98,85 % des commandes reçues et payées. Nous continuons de recevoir des commandes pour diverses formules et pour des volumes plus modestes qui ne nous posent pas de problème.
S’agissant du Dap, les commandes reçues par les Ics s’élèvent à 1750 tonnes pour le moment. Nos stocks de Dap dépassent 3000 tonnes et un programme de production de 8000 tonnes de Dap est en cours.
Dans la deuxième quinzaine de septembre ou avant, si nos clients le demandent, la société démarrera une production de 11 000 tonnes de Npk 10-10-20 et de 2800 tonnes de Npk 9-23-30. Ces deux formules d’engrais sont destinées au maraîchage.
Pour éviter tout malentendu, il y a lieu de rappeler que les engrais ne se vendent pas à crédit ; les Ics se faisant un devoir d’honorer scrupuleusement les commandes ayant fait l’objet d’un paiement. Il est également nécessaire de rappeler que les Ics sont une entreprise industrielle et doivent, à ce titre, planifier leurs productions et, contrairement à ce que l’on a pu entendre ou lire ces derniers temps, il n’y a jamais eu aux Ics un système dans lequel la société gardait un important stock d’engrais et attendait que des opérateurs veuillent bien l’acheter.
Il y a toutefois eu l’épisode douloureux de 2018, la société s’étant retrouvée, à la fin de la campagne, avec un stock invendu de l’ordre de 15 000 tonnes à la suite d’importations d’engrais effectuées par certains distributeurs. Il faut aussi expliquer que l’engrais ne se conjugue pas au singulier, mais au pluriel puisque les Ics produisent plusieurs formules d’engrais (arachide, mil, maïs, riz, légumes, coton, etc.) ; la production des différentes formules étant planifiée en fonction des besoins exprimés.
De quelle manière la Covid-19 a-t-elle impacté l’activité des Ics ?
Comme la plupart des entreprises, la Covid-19 a bien évidemment impacté les Ics. D’abord, sur le plan interne, il a fallu réorganiser le travail dans nos bureaux et ateliers pour sécuriser nos agents ; beaucoup d’entre eux travaillant depuis leurs domiciles. Les difficultés notées partout dans le monde sur le transport aérien ont aussi rendu impossibles les visites d’experts internationaux qui viennent de temps en temps nous conseiller sur les problèmes de maintenance et de production.
Sur le plan externe, la situation de l’épidémie en Inde a affecté les exportations des Ics, notamment en mars-avril 2020. Concrètement, l’impact de la Covid-19 se traduit aussi au niveau de la raréfaction des matières premières essentielles pour les engrais (urée, potasse, ammoniac), en raison de la fermeture de beaucoup d’usines dans le monde. Je précise que les Ics importent l’urée, la potasse et l’ammoniac et doivent les payer au prix du marché international. Certains pays sont allés jusqu’à interdire l’exportation de certaines de ces matières premières. Avec l’appui du groupe Indorama, le problème de l’approvisionnement en matières premières, y compris le soufre, a pu être résolu.
Ce contexte s’est tout naturellement traduit par une augmentation très importante des prix des matières premières, rendant très élevé le prix de vente des engrais. C’est pourquoi, en vue de contribuer aux importants efforts de l’État, les Ics n’ont pas répercuté sur le paysan sénégalais le prix réel des engrais et ont accepté de subir des pertes sur les engrais livrés au titre du programme de l’État qui, lui-même, subventionne, de façon significative, les engrais destinés au Sénégal.
Des opérateurs privés reprochent aux Ics de privilégier le marché extérieur au détriment de la demande intérieure et le « manque de transparence » dans l’attribution des quotas. Qu’en est-il au juste ?
L’exportation est la vocation naturelle des Ics. Toutefois, pendant la période de production des engrais pour le Sénégal, il n’y a pas d’exportations. Exporter des engrais n’a, par ailleurs, jamais empêché les Ics de répondre à la demande intérieure. Cependant, la règle aux Ics est de toujours donner la priorité absolue aux commandes reçues au titre du programme engrais de l’État. Ce programme est important en raison des volumes d’engrais, de l’effort budgétaire et du fait qu’il couvre l’ensemble du territoire sénégalais. À nos yeux, le programme engrais de l’État est si important que même les mentions inscrites sur ces sacs ne sont pas identiques à celles figurant sur les engrais destinés aux privés. S’agissant de l’attribution des quotas, je ne suis pas compétent pour me prononcer. Les Ics ont reçu une commande de 3218 tonnes d’engrais d’un opérateur privé sénégalais. Cette commande ayant été payée, les Ics ont livré les 3218 tonnes.
Face aux difficultés que rencontrent les importateurs, le Ministre de l’Agriculture fait état de négociations pour que les Ics produisent 10 000 tonnes supplémentaires pour le marché local. Où en sont ces négociations ?
Nous assurons la production des engrais pour le Sénégal en étroite coordination avec le Ministère de l’Agriculture et de l’Équipement rural. Les Ics produiront sans limitation les volumes commandés. Notre site de production d’engrais est, pour ainsi dire, dédié au Sénégal au moins jusqu’à octobre, les exportations ne reprenant qu’en novembre ou décembre.
Les Ics sont-elles en mesure de satisfaire la demande intérieure de fourniture d’engrais ?
Les Ics sont en mesure de produire 250 000 tonnes d’engrais par an. Par conséquent, notre société est largement en mesure de satisfaire toutes les demandes d’engrais du Sénégal. En 2021, nous devrions logiquement fournir sur le marché sénégalais, à peu de choses près, les mêmes quantités d’engrais qu’en 2020. Les livraisons d’engrais au Sénégal en 2018, 2019 et 2020 permettent, à cet égard, de se faire une idée des volumes (voir graphique). Ces dernières années, certains opérateurs ont eu tendance à importer des engrais, sachant qu’en tout état de cause, les Ics assurent l’essentiel des besoins du Sénégal. Cette année, l’importation est pratiquement impossible en raison de la rareté de l’offre et de la hausse vertigineuse des prix de l’engrais sur le marché international. Aucun fournisseur étranger ne peut proposer les prix que pratiquent les Ics sur le marché sénégalais. Il faut aussi signaler que les engrais importés ne sont pas nécessairement adaptés aux sols sénégalais.