Les non-alignés, qui regroupent les partis politiques refusant le « diktat » de la mouvance présidentielle ou celui de l’opposition, présentent deux visages sur le terrain politique sénégalais. Ils sont une force de proposition qui participe aux décisions liées à la vie politique, le processus électoral en particulier. Ces partis peinent aussi à peser sur le plan électoral.
Ils ont un côté pile- être une force de propositions- et un côté face, la quête de l’électorat. Il s’agit des partis politiques membres du pôle des non-alignés. Cette entité regroupant une trentaine de partis dont des membres du pôle des indépendants et celui des coalisés, s’est distinguée, lors du Dialogue politique, par ses recommandations. Celles-ci ont permis de dégager des positions consensuelles sur plusieurs questions jugées importantes. Le Coordonnateur du pôle des non-alignés, Déthié Faye, met en exergue la portée et la profondeur de la contribution de leur courant durant les différentes concertations politiques.
Pour sa part, Abdoul Aziz Paye, expert fiscal et Secrétaire général du Mouvement républicain du Sénégal (Mrs), indique que leur groupe réunit des adeptes du respect de la liberté. À son avis, le non alignement traduit l’indépendance de pensée, la liberté d’expression et d’action, lesquelles sont intimement liées à la démocratie. Selon ses explications, le pôle a réussi, sur la base de son argumentaire, à intégrer le rang des grandes forces politiques qui influencent les actions politiques dans notre pays. L’une des raisons majeures qui explique leur non alignement, c’est leur refus de souscrire aux principes de fonctionnement des partis politiques.
« Nous refusons le diktat. Nous ne nous alignons pas sur des positions de pouvoir ou de non pouvoir. Le respect de la volonté du peuple sénégalais dicte notre conduite. Nous ne sommes pas non plus de la société civile », a-t-il ajouté. Les membres du pôle des non-alignés disent créer cette synergie pour éviter une prise en otage du pays par les politiques, soutient M. Paye.
Pour se démarquer des autres partis, les non-alignés ont fait le choix de s’appuyer sur la profondeur de leur pensée, laquelle est souvent saluée par des hommes politiques et des acteurs de la société civile participant au Dialogue politique. « Nous nous sommes positionnés par le poids de nos idées et recommandations en faveur de la préservation des acquis démocratiques. Nous jouons presque le rôle de régulateurs dans l’espace politique. Sans le pôle des non-alignés, nous sommes convaincus qu’il y aurait difficilement des consensus », estime El Hadj Fall, Secrétaire général du pôle.
Il tient d’emblée à apporter une précision. « Nous ne sommes pas un mouvement, mais nous constituons un véritable pôle qui regroupe des chefs de partis adossés sur une même philosophie. Nous ne nous alignons ni avec le régime ni avec l’opposition », ajoute notre interlocuteur.
Son camarade Pape Diop, chargé des élections de l’Alliance démocratique, s’inscrit dans la même veine. « Notre force et notre envergure reposent sur notre participation citoyenne et nos idées émises dans le sens de renforcer la démocratie », dit-il. L’autre particularité du pôle, selon ses membres, est son attachement aux principes démocratiques. « Nous discutons en interne, de façon démocratique, avant d’adopter une position consensuelle. Chez nous, il n’y a pas une seule voix dominante comme dans d’autres partis politiques », indique le Sg El Hadj Fall.
Une force de propositions
L’adhésion de la trentaine de partis politiques à ce pôle se fonde, dit-il, sur leur volonté de dépasser les clivages partisans. « Nous avons déploré l’absence de démocratie interne dans certains partis politiques mais aussi cette propension de l’opposition à critiquer tout ce que fait le Gouvernement. Nous optons pour la neutralité et nous pouvons dire que nous sommes une opposition plus ou moins républicaine », explique Pape Diop.
D’ailleurs, poursuit-il, ce n’est pas fortuit si le pôle a toujours constitué le troisième groupe politique dans le cadre des concertations initiées par le Ministère de l’Intérieur au lendemain des élections, après la majorité présidentielle et l’opposition.
Le Coordonnateur de cette structure, Déthié Faye, remonte aussi le fil du temps. « Il est de tradition qu’après les élections, le Ministre de l’Intérieur organise des concertations avec les partis politiques légalement constitués. C’est dans cette logique que depuis l’adoption du Code électoral consensuel de 1992, des partis politiques se regroupent en plusieurs entités. Ils étaient au nombre de cinq groupes jusqu’en 2014. C’est après qu’ils ont décidé de se regrouper en trois entités. Le pôle des non indépendants et celui des non coalisés se sont regroupés en Assemblée générale pour porter le nom de pôles des non-alignés », rappelle M. Faye.
Lui, tout comme les autres membres, insiste sur l’importance de leur indépendance d’esprit et d’initiative. « Nous sommes composés de formations politiques qui s’opposent à toute forme de « caporalisation » et de dictature. Elles ont conjugué leurs efforts pour défendre toutes les questions débattues dans l’intérêt des populations. Elles se départissent de tout calcul et de toutes pratiques assimilables à de la politique politicienne », ajoute Déthié Faye.
Un poids électoral en question
Les non-alignés, se définissant comme une force de propositions, n’apprécient pas le débat sur leur poids électoral. Cette position se justifie. Aucun des membres de ce camp n’a été candidat à une élection présidentielle. Le Pôle n’a pas de représentant à l’Assemblée nationale de même qu’au Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct). Toutefois, ses membres se targuent d’avoir des Conseillers municipaux et départementaux tout en apportant des précisions. « Les pôles n’étant pas des coalitions qui présentent des listes, il est difficile d’avancer un chiffre sur leur poids électoral », précise son Coordonnateur. De l’avis de Déthié Faye, la question relative à leur poids électoral « n’est pas opportune ». Mais, pour El Hadj Fall, « le pôle est incontournable dans l’espace politique et son poids ne se mesure pas à l’électorat ». « Nous sommes bien représentés à l’échelle nationale », assure-t-il. Tous partagent cette conviction.
Déthié Faye d’évoquer cependant la difficulté de répondre à cette question. « Aucun parti ne va seul aux élections pour que cela (son poids électoral), puisse être quantifié. Il est clair qu’aucun dirigeant de ces coalitions ne saurait prétendre avoir un pourcentage correspondant à sa représentativité. Ce sont plusieurs partis qui se sont retrouvés autour d’un candidat lors de la dernière présidentielle », argumente-t-il. Le Coordonnateur du pôle des non-alignés estime que cette question ne pourra être résolue que grâce à la tenue d’élections de représentativité auprès de l’opinion politique. « Tant que cela ne sera pas fait, toute appréciation relèvera de considérations crypto-personnelles. Elle ne reposera sur aucune base scientifique », indique-t-il.
Pape Diop explique qu’ « il est permis aux membres du pôle, durant chaque élection, d’aller en coalition avec le parti de leur choix. Notre parti Alliance démocratique s’était, par exemple, rangée du côté de « Taxawu Senegal » pour la présidentielle ». D’après lui, « rien ne s’oppose à ce qu’un parti membre du pôle des non-alignés se range du côté de la majorité ou de l’opposition, sur la base des principes qui lui sont propres ».
Mais, il s’empresse de préciser que l’éventualité de dépasser le stade de coalition politique pour passer à une coalition électorale n’est pas encore à l’ordre du jour. M. Diop pense comme d’autres que ceux qui revendiquent un poids électoral sont ceux-là qui ont été à la station présidentielle par l’entremise des coalitions électorales. El Hadji Fall d’ajouter que l’idée de franchir un nouveau cap n’est pas à écarter. Il est bien possible, selon ses explications, d’aller au-delà de ce non-alignement. « Nous pouvons même nous présenter à la présidentielle. Le pôle des non-alignés pourra, d’ici là, désigner son candidat », fait-il savoir. Pour lui, l’enjeu est de poser des débats idéologiques et intellectuels afin de faire rayonner l’esprit des Sénégalais.
ABABACAR FALL, SÉPCIALISTE DES QUESTIONS ÉLECTORALES
« La force des idées n’est pas suffisante »
« Le poids des idées n’est pas suffisant pour assurer une représentativité d’une formation politique », estime le spécialiste des questions électorales, Ababacar Fall. Il fait ainsi allusion à l’existence du pôle des non-alignés qu’il définit comme un regroupement de partis hybrides. S’il est parvenu à tisser sa toile, ce pôle ne pèse pas lourd électoralement parlant, dit-il. « Il est composé de partis proches du pouvoir, d’autres s’allient avec l’opposition, au moment où certains sont indécis. Ils participent bien au débat politique, mais ils ne sont pas présents dans les grandes institutions électives, comme l’Assemblée nationale », souligne M. Fall.
Le concept même de non-alignés est lié à cette volonté des autorités étatiques de mieux organiser les partis politiques lors des discussions portant sur le processus électoral, poursuit notre interlocuteur. « Il y a eu la nécessité d’organiser les partis en pôles au lieu de se retrouver avec 300 partis politiques dans un cadre d’échanges. Il y avait ceux qui étaient autour de la majorité, ceux qui étaient de l’opposition pure et radicale, et à côté, un pôle un peu hybride », explique-t-il.
Pour conforter cette thèse, Ababacar Fall cite l’exemple des membres du pôle ayant soutenu la coalition Idy 2019 à la dernière présidentielle au moment où certains s’étaient rangés du côté de la majorité présidentielle.
Toutefois, il reconnaît le rôle important joué par cette entité durant le Dialogue politique non sans souligner qu’il ne faut pas se voiler la face. « Tous les camps ont discuté et chacun a assoupli sa position sur des questions d’intérêt national. Tous les pôles ont vu leur position prise en compte. Ce n’est pas l’aura personnelle d’un pôle qui a prévalu sur un autre », constate le spécialiste.
Pour lui, même si aucun parti politique n’est allé seul en élection, certains ont une histoire, une trajectoire et un poids, et n’ont pas besoin de s’adosser sur une coalition électorale pour exister. « Du point de vue de la personnalité, de la composition de leur instance exécutive, même si la tendance est d’aller en coalition, il existe des partis politiques en mesure de se lancer seuls dans une compétition électorale ». Pour notre interlocuteur, le pôle qui a apporté sa contribution dans l’apaisement du climat politique n’a pas encore l’étoffe d’une coalition où ses membres s’entendent sur des règles par rapport aux grandes échéances.