Bastonner les adversaires de leur recruteur, leur faire passer de sales quarts d’heure mais également perturber la quiétude des populations. Tels sont les passe-temps favoris des gros bras ou nervis au Sénégal.
Depuis quelques jours, ces gros bras, encore appelés nervis, font encore parler d’eux. Et c’est au cours de la tournée « économique » du président de la République dans le Nord, le département de Matam plus précisément, qu’ils ont braqué les projecteurs sur eux avec des actes pas du tout catholiques. Mais, force est de reconnaître que ces agissements violents de nervis ne datent pas d’aujourd’hui.
Des présidents Abdou Diouf à Macky Sall en passant par Me Abdoulaye Wade, ces gros bras ont dicté et continuent de dicter leurs lois. Du temps du régime socialiste, ils étaient surnommés « Tontons Macoutes ». Lorsque Me Abdoulaye Wade était le chef de l’opposition, on les appelait les « Calots bleus ». Depuis 2012, ils ont changé de nom pour devenir les « Marrons du feu ».
Quelle que soit leur appellation, les nervis ont accompagné les différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays. Une pratique qui donne l’impression qu’il y a deux catégories de forces de sécurité au Sénégal : celle des forces légales comme la Police et la Gendarmerie, et une autre constituée des milices au service des partis politiques ou des guides religieux.
Des « Tontons Macoutes » aux « Calots Bleus »
Habillés en vert, les « Tontons Macoutes » ont terrorisé les adversaires du régime du président Abdou Diouf durant tout son règne. Ils traquaient les opposants et les adversaires du deuxième président du Sénégal, accusés de vouloir mettre le pays sens dessus dessous afin de permettre à leur champion de gouverner en toute quiétude.
Face aux dangers qui guettaient l’opposant Abdoulaye Wade, d’autres « gros bras » se sont alors portés volontaires pour constituer le service d’ordre de l’opposant Abdoulaye Wade. Ils étaient prêts à « tout » pour leur « chef ». Ils constituaient une organisation paramilitaire illégale utilisant la force pour parvenir à ses fins. Autrement dit, c’était une milice au service du Pape du Sopi.
Bras armés du secrétaire général national, les « Calots bleus » exécutaient les désirs les plus zélés de leur leader. Des tâches parfois moralement inacceptables pour des personnes douées de bon sens qu’ils ont continué à accomplir pour leur leader, même lorsqu’il s’est retrouvé à la tête de l’Etat. Ainsi, au cours des 12 années de règne de Wade, nombreux ont été les calots ou anciens « calots bleus» impliqués dans des affaires louches, des scandales, voire des agressions et autres crimes.
D’ailleurs, ils ont été cités dans l’agression de Talla Sylla à coups de marteau, dans la nuit du 5 au 6 octobre 2003 à côté du restaurant « Le régal ». Lamine Faye, neveu du président Wade et membre de sa garde rapprochée, avait été même auditionné, lui et son collègue Baye Moussé Ba alias « Bro », par le doyen des juges d’instruction sur l’agression contre le leader du «Jëf-Jël». Et pourtant, à cette période, tous deux avaient fini d’être intégrés dans la police nationale avec le grade d’officiers.
Le troisième « calot bleu » impliqué dans cette affaire, à savoir Ismaïla Mbaye, a été rappelé à Dieu à la suite d’un accident de la circulation sur la route de Touba, la veille même de son audition. Des années plus tard, dans l’« affaire Barthélemy Dias», le premier nom qui est sorti parmi les assaillants était celui de Baye Moussé Ba alias « Bro ».
Le 6 janvier 2012, quelques semaines après les incidents, la gendarmerie nationale avait mis la main sur ce garde du corps du président de la République avant de le déférer au parquet sur instruction du doyen des juges qui avait décerné un mandat contre lui. Quelques mois avant l’« affaire Barthélemy Dias», le 12 juillet 2011, un autre ancien « calot bleu » s’était attaqué à Me El Hadj Diouf « sur ordre de Doudou Wade ». Il s’agit de Famara Senghor, député de la dernière législature.
La liste est loin d’être exhaustive, mais on retiendra que, durant tout le magistère du président Abdoulaye Wade, ces gros bras appelés « calots bleus » étaient libres de faire ce que bon leur semblait. Agresser, violenter, intimider, semer la zizanie étaient, entre autres, leurs principales tâches. Hélas, quelle que fût la gravité de leurs délits ou crimes, ils n’ont jamais été derrière les barreaux. Pour cause, ils ont toujours bénéficié de la couverture du chef et, donc, d’une totale impunité.
Les « Marrons du feu » sur les pas des « Calots Bleus »…
Lors de la tournée économique du président Macky Sall, des gros bras armés de bâtons, gourdins, matraques ont imposé une sorte de loi du plus fort à ceux qui ont osé manifester leur opposition au régime en place. Ou, tout simplement, exprimer leurs doléances. Sans sourciller ces « voyous » ont bastonné, giflé et battu à coup de pieds ou de poings toute personne qui a osé manifester publiquement son mécontentement au régime du président Macky Sall.
Après avoir pris une pause durant la dernière présidentielle, ces « gros bras » ont repris du service lors des évènements du mois de mars qui ont causé plusieurs victimes au Sénégal. Des vidéos qui circulaient sur les réseaux sociaux les montraient en train de passer à tabac des manifestants. Sous le regard des forces de l’ordre. Chaque jour, on entend parler de ces personnes aux gros muscles qui se distinguent par leurs tenues. Et leur violence.
Les opposants aussi ont leurs «nervis»
Même s’il faut reconnaître que les pouvoirs en place sont plus prompts à recruter des « nervis », force est de constater que tous nos hommes politiques font recours à ces derniers pour assurer leur sécurité mais également attaquer leurs adversaires en cas de besoin. Qu’ils s’appellent Ousmane Sonko, Bougane Gueye Dani ou autres, chacun en ce qui le concerne se déplace avec des dizaines de « gros bras » pour assurer sa sécurité.
Nous avons d’ailleurs vu comment les gros bras, qui avaient accompagné Bougane Gueye Dani lors de sa tournée « Tibeu Tank » dans le Nord, s’étaient défoulés sur les populations qui les auraient attaqués à Matam. Durant les événements de mars dernier, des proches du leader de Pastef n’avaient pas eux non plus hésité à s’attaquer et même brûler les maisons ou édifices de certains proches du pouvoir en place. Les exemples sont nombreux…
Les nervis constituent comme une grosse plaie dans le système démocratique. Si, pour d’aucuns, ils étaient engagés au départ que pour un service d’ordre du fait que la plupart des opposants n’avaient jamais la possibilité de bénéficier les forces de sécurité républicaines, on a noté depuis le régime du président Abdou Diouf, en passant par ceux de Me Abdoulaye Wade et de Macky Sall, des dérives graves des nervis.
Des dérives qui restent impunies parce que souvent ces nervis sont beaucoup plus utilisés par les régimes en place. Dont les responsables devraient pourtant être les premiers à interdire le recours à de telles milices puisqu’ils bénéficient largement de la protection des forces de sécurité.
Le Témoin