Ces trois dernières décennies ont été marquées par les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTICs) qui ont vu émerger des plateformes en ligne qui offrent de nouveaux espaces à travers lesquels les citoyens exercent leur liberté d’expression. Avec les médias traditionnels : la télévision, la radio, la presse, et, le développement rapide des réseaux sociaux et médias sociaux, les Etats tardent également de faire accompagner les mesures législatives et réglementaires.
La question des réseaux sociaux se pose avec acuité dans un contexte où la liberté d’expression est de plus en plus menacée en Afrique. Le Sénégal n’est pas en marge concernant ce débat. En effet, lors du conseil des ministres du 03 février 2021, le Président de la République Macky Sall a instruit le gouvernement de mettre en place un “dispositif de régulation et d’encadrement spécifique aux réseaux sociaux. Et, l’a réitéré le 1er mai dans son discours lors de la cérémonie de remise des cahiers de doléances.
En tant qu’Organisations de la Société Civile et des droits humains attachés à la liberté d’expression nous sommes très préoccupés par ce projet car s’il est mis en œuvre, il s’agirait d’une violation des principes de la liberté d’expression consacrée par la constitution Sénégal et les normes internationales auxquelles le Sénégal a souscrit.
En effet, le Sénégal dispose déjà d’un arsenal juridique riche relatif à la liberté d’expression (Constitution, code de la presse qui manque aux exigences du droit international et le code pénal qui criminalise les délits de presse). Et d’autres lois comme celles de la cybercriminalité, la cryptologie, la protection de la réputation, les transactions électroniques, la protection des données à caractère personnel.
De plus, l’article 4 de la Déclaration des droits sur l’Internet prévoit que : « Toute personne a droit à ce que les données qu’elle transmet et reçoit sur Internet ne subissent aucune discrimination, restriction ou interférence en ce qui concerne l’expéditeur, le destinataire, le type ou le contenu des données, le dispositif utilisé, les applications ou, en général, les choix légitimes des personnes. Le droit d’accès neutre à Internet dans sa totalité est la condition nécessaire pour que les droits fondamentaux de la personne aient un caractère effectif ».
Malgré cette richesse juridique, l’environnement dans lequel les médias opèrent reste difficile au Sénégal. Et, il n’est pas opportun de réguler les réseaux sociaux. Certains Etats en voulant réglementer les réseaux sociaux se sont souvent concentrés sur le contenu et l’approche
législative aboutit facilement à des concepts juridiques vagues qui peuvent se traduire par des abus, ou s'accompagner de sanctions disproportionnées, qui encouragent une censure excessive et ne protègent pas la liberté pas la liberté d’expression. Ce qu'il faut, par conséquent,
c’est un modèle d’autorégulation adapté qui pourrait offrir plus de flexibilité tout en protégeant la liberté d’expression.
Au-delà de cet environnement déjà difficile, la régulation des réseaux sociaux ne répond pas aux standards régionaux et internationaux portant sur la liberté d’expression. L’article 38 intitulé « la non-ingérence », de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique stipule que : les États ne portent pas atteinte au droit des individus de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations par le biais de tout moyen de communication et des technologies numériques. A cela s’ajoute de vives préoccupations de l’ancien Rapporteur Spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye, qui, dans son rapport en 2017, a appelé les Etats à veiller à leur obligation de protéger et de promouvoir la liberté d’expression en ligne, en soulignant que les États ne peuvent pas interférer avec, ou en aucune façon ou restreindre de quelque manière que ce soit la liberté d’opinion.
De ce qui précède, nous recommandons au gouvernement :
De limiter son ingérence dans la Gouvernance des médias sociaux et réformer les dispositions liberticides du code pénal et de la presse ainsi que la politique actuelle de régulation des médias.
De promouvoir des mécanismes inclusifs et participatifs d’auto-régulation et l’éducation des citoyens à la communication numérique pour améliorer la modération du contenu, garantir la liberté d’expression et le droit à l’information en ligne.
De respecter les normes internationales des droits humains, y compris celles de la
transparence, lorsqu’il s’agit de réglementer ou influencer l’expression sur des
plateformes de médias en ligne.
De saisir cette occasion pour améliorer de manière significative la liberté d’expression
sur internet et pour promouvoir une vision ambitieuse de la protection du droit à la liberté d’expression ;
De prendre toute mesure utile, pour renforcer la protection des libertés fondamentales s’exerçant sur internet, notamment la liberté d’expression ;
De se garder de mettre en place tout dispositif liberticide ou anti-démocratique qui serait une voie ouverte à la mise en place d’une politique répressive de la liberté d’expression sur internet ;
D’associer tous les acteurs de l’écosystème d’internet, des acteurs de la société civile aux processus politiques et législatif de régulation ou d’encadrement de la libre expression sur internet ;
De veiller à ce que les droits de l’homme soient respectés en ligne et hors ligne, notamment le droit à la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ;
De réaffirmer son engagement total à respecter les obligations découlant de toutes les conventions relatives au droit international des droits de l’homme.
Les signataires :
APPEL (Association des Editeurs et Professionnels de la Presse en Ligne) Article19 Sénégal/Afrique de l’ouest
Citoyens Numériques
JONCTION
Organisation des Volontaires d’Afrique « OVA »
RADHO (Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme)