Les experts de la mission d’audit du fichier électoral recommandent une révision de la loi électorale pour remédier à l’exclusion sur les listes électorales. Mais, à en croire des spécialistes, pour les cas de Karim Wade et Khalifa Sall, une amnistie serait la voie idéale pour leur faire retrouver leurs droits civils et politiques.
Le rapport provisoire des experts de la mission d’audit du fichier électoral remis au Comité de suivi de la Commission politique du dialogue national comporte une recommandation qui pourrait être favorable à Karim Wade et Khalifa Sall, deux leaders politiques de l’opposition qui, du fait de déboires judiciaires, ont perdu leurs droits civiques et ont été exclus du fichier électoral. Pour ces experts, «la permanence de l’exclusion sur les listes électorales (article L.31 du Code électoral), viole l’esprit de l’article 25 de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme». En d’autres termes, il faudrait une révision de la loi électorale pour permettre aux concernés de jouir de leurs droits et ainsi prendre part aux prochaines joutes électorales. Mais une telle ‘’réhabilitation’’, par le biais du dialogue national, serait-elle avantageuse pour les probables futurs candidats à la présidentielle que sont Karim Wade et Khalifa Sall ? Une amnistie ne serait-elle pas la porte de sortie la plus adéquate et la plus sûre pour leur avenir politique ?
Pour le Pr de Droit public Abdou Aziz Mbodj, l’amnistie serait une voie idéale pour les réhabiliter dans leurs droits civiques et politiques. «L’article 67 de la Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 énumère les domaines de la loi et y prévoit l’amnistie en matière pénale. L’amnistie est comme une mesure devant entraîner le pardon du peuple et l’oubli des faits, en ce sens qu’elle efface les faits. Elle accorde un droit à l’oubli.
Pour les cas Karim Wade et Khalifa Sall, une loi d’amnistie effacerait les infractions délictuelles et criminelles pour lesquelles ils ont été condamnés et écartés de la présidentielle de février 2019. L’amnistie est une voie idéale pour les réhabiliter dans leurs droits civiques et politiques. L’adoption d’une loi d’amnistie serait une voie pour contourner les difficultés des articles 31 et 57 du code électoral, les faits une fois amnistiés, les interdictions prévues par cette loi seraient sans effet.» Poursuivant, le spécialiste rappelle que c’est une pratique connue dans l’histoire politique du Sénégal. «Comme l’avaient fait le Président Senghor sur les crimes et délits politiques, le Président Diouf sur les événements dits «de Casamance» et le Président Wade sur tous les crimes politiques commis entre 1983 et 2004 en relation avec les élections (loi EZZAN).» Considérée comme une «mesure d’oubli», grâce à l’amnistie, la peine prononcée est effacée du casier judiciaire.
«Supprimer l’abattoir de l’article 57 du Code électoral»
Mais s’il faut passer par une modification de la loi électorale, comme le recommande la mission d’audit du fichier électoral, on pourrait simplement modifier l’article 57 du Code électoral, une disposition que le Pr Mbodj juge scélérate et créée par le Président Macky Sall uniquement pour éliminer des adversaires. «L’article 57 de la loi numéro 2018-22 du 04 juillet 2018 dispose que «tout Sénégalais électeur peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par loi».
Le retour au format de l’article 57 de la loi 2017-12 du 18 janvier 2017 pourrait être une possible voie de sortie. Il faut supprimer la liaison de la condition d’éligibilité à la qualité d’électeur. Il faut supprimer cet abattoir politique de l’article 57 créé par Macky Sall et son pouvoir.» Cependant, une telle ‘’réhabilitation’’ à travers une modification de la loi électorale, pourrait se révéler être un boulet à traîner, une ombre à leur image d’homme politique. Car les faits seront toujours là, des faits que leurs adversaires pourront toujours brandir à leur encontre. Mais pour le Pr Mbodj, l’essentiel c’est que l’obstacle judiciaire qui les empêche d’être candidats soit levé. «Ce qui est nécessaire, c’est que les conditions soient remplies pour qu’ils puissent être candidats, ensuite c’est le peuple sénégalais qui choisira.»
«La réhabilitation n’est pas une initiative gouvernementale»
Outre l’amnistie et la modification de la loi électorale, une troisième solution s’offre à Karim Wade et Khalifa Sall pour retrouver leurs droits civiques et revenir dans le jeu politique, à savoir la réhabilitation ou action en réhabilitation judiciaire. «Il s’agit d’une procédure judiciaire qui intervient après l’exécution de la peine sur demande de la personne condamnée, explique Abdou Aziz Mbodj.
Elle aura pour effet d’effacer le passé pénal et s’applique à toutes les peines criminelles ou correctionnelles. Avec cette procédure, les condamnations seront effacées, de même que toutes les incapacités.» Le Pr de Droit public précise que la réhabilitation n’est pas une initiative gouvernementale, mais une requête de la personne condamnée elle-même.
«Selon l’article 754 du Code de procédure pénale, ‘’la réhabilitation efface la condamnation et fait cesser pour l’avenir toutes les incapacités qui en résultent’’. La demande en réhabilitation est formulée après un délai de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle et de trois ans pour les condamnés à une peine correctionnelle. Ce délai part, selon l’article 743 du Code de procédure pénale pour les condamnés à une peine privative de liberté, du jour de leur libération définitive. La demande en réhabilitation est adressée par le condamné au Procureur de la République de sa résidence habituelle, conformément à l’article 747.» Le député Alioune Souaré signale, pour sa part, que la Déclaration universelle des droits humains est une loi supranationale, donc au-dessus des lois nationales des pays signataires. «S’il s’avère que l’article 31 est bien en violation avec les termes de l’article 25 de cette Déclaration, les concernés doivent donc être rétablis dans leurs droits», indique-t-il.