A Dakar, les habitudes alimentaires ont considérablement évolué, ces dernières années. Les Sénégalais, emportés par la routine des activités quotidiennes, ont de plus en plus tendance à manger n’importe où surtout pendant le Ramadan. Conséquence : l’on note dans plusieurs quartiers de la capitale une floraison de restaurants qui se soucient rarement des règles d’hygiène. Ce qui pose un véritable problème de santé publique en cette période de Covid-19. Reportage !
Samedi 24 avril 2021. Un vent sec mélangé d’une poussière menaçante dicte sa loi à la cité Scat Urbam de Hann Maristes. Comme tous les soirs, après la rupture du jeûne, l’ambiance est vivante dans cette commune débordante de vie. Véhicules, motos et piétons, dans un charivari monstre, se disputent la route qui traverse le quartier semblable à un sentier. Sur un tableau noir bien scotché au mur d’un immeuble imposant, est mentionné avec de la craie le menu du jour d’un restaurant : « Domada-thiebou djeun-thiebou guinar ». Bienvenue chez « Lalla resto » ! A l’intérieur de la pièce exiguë située au rez-de-chaussée, clients et serveurs discutent de tout et de rien. C’est l’heure du déjeuner. Sur les lieux, le constat est inquiétant : les mesures barrières indiquées contre la pandémie de Covid-19 sont complètement bafouées. Pas de gel antiseptique, encore moins de masque et les clients se bousculent autour des tables en plastique.
Coronavirus
Devant son petit poste téléviseur, la télécommande à la main, Amy, une des gérantes, s’en explique. « C’est l’un des restaurants les plus prisés du quartier », lâche-t-elle, le sourire aux lèvres. Elle ajoute : « on avait l’habitude de mettre du gel sur les tables, mais à un moment donné, beaucoup de clients ne l’utilisent plus, c’est pourquoi on ne l’achète pas ».
Pour la restauratrice, le respect des règles d’hygiène est une obligation. « Je suis dans ce milieu depuis plusieurs années et j’ai toujours respecté les normes d’hygiène requises. C’est une obligation pour nous, il s’agit d’une question de santé publique », se défend-t-elle, l’air fatiguée.
En discussion avec un client, sous le bourdonnement assourdissant des mouches qui envahissent les restes des plats, Astou, l’une des trois serveuses du restaurant, déclare : « c’est parce que nous respectons les règles hygiéniques que nous sommes envahis à chaque heure du diner ». Avec un signe fait de la tête, Abdoulaye confirme son amie. « Elles sont propres et accueillantes, vraiment. Je suis abonné, ici, depuis que je suis installé dans ce quartier », raconte-t-il, montrant, du bout du doigt, son atelier.
Mécanicien de 45 ans, les habits tachés, il doute encore de l’existence de la maladie de Covid-19. Et par conséquent, il ne porte de masque que dans des circonstances très précises. « Même si le Coronavirus existe encore, il n’est pas aussi grave comme on le décrit en Occident », jure-t-il, s’empressant de finir son plat. Comme beaucoup d’autres consommateurs, il se régale goulument et s’empiffre joyeusement, ne prêtant guère attention aux mouches et autres insectes qui pullulent autour.
Des plats entre 600 ou 700 de FCfa
A la grande porte, Moustapha Samb, jeune marchand ambulant, pose ses produits composés d’accessoires de téléphone. Il passe sa commande en attendant impatiemment d’être servi. « J’ai choisi les restaurants parce que c’est plus rapide et comme je ne reste pas sur place, je mange n’importe où. Avec 600 ou 700 de FCfa, on mange bien dans ces types de restaurants », insiste cet originaire de Khombole.
A quelques jets de pierres de là, se trouve un autre restaurant, visiblement moins fréquenté. A l’intérieur, deux jeunes hommes, bercés par le vent frais d’un ventilateur, sont en train de commenter tranquillement le résultat d’un match de football de la Liga espagnole, de ce jour-là.
El Hadj Ndiaye, étudiant en Droit dans une université privée de la place, avoue que ce n’est pas très hygiénique comme il l’aurait souhaité dans ce restau, « mais c’est délicieux. Et ce n’est pas cher comparé aux restaurants chics ». Ce que confirme son ami, Djiby Leye. Les doigts manipulant son téléphone, il dit avoir une alternative. « Moi je prends toujours la peine de laver à nouveau les cuillères, il m’arrive même d’y mettre du gel pour tuer les microbes avant de manger », dit-il avec une voix à peine audible, probablement pour éviter d’être entendu par la maîtresse des lieux.
Cette dernière s’appelle Mariama Baldé. La mère de famille d’origine guinéenne, un bébé criant sur son dos, hésite avant de lâcher. « C’est ma fille-ainée qui m’aidait. Mais, aujourd’hui, elle est un peu souffrante. C’est moi qui prépare le repas et sers les clients », dit-elle, la sueur au front. Sur le non-respect des règles d’hygiène, elle martèle, en sanglots : « Personne n’est à l’abri de cette maladie, seul Dieu peut nous protéger !»
Autre lieu, même décor. Vers l’école japonaise, le flux humain est impressionnant et l’animation est à son comble. Hommes, femmes et enfants, dans un empressement sans nom, vaquent à leur occupation après une longue journée de jeûne.
Devant « Mia restaurant », un homme d’une trentaine d’années, le corps imposant, est préposé à la sécurité des lieux. Une bouteille de gel à la main gauche, un thermo flash à la main droite, il veille au respect strict des consignes indiquées par les autorités sanitaires. Ici, contrairement aux lieux, c’est le calme plat. Les tables sont bien dressées. Une quinzaine de clients, assis généralement à deux, discutent, regardant de temps en temps une série télévisée qui passe sur un écran plat installé au fond du restaurant. Sous la terrasse, d’autres clients, autour d’une grande table, sont bien pris en charge : c’est la partie réservée aux VIP. Occupé à débarrasser des tables, Edouard, jeune serveur, sapé en chemise blanche assortie d’une cravate rouge, jure que les règles d’hygiène sont bien respectées dans ces lieux.
« Nous tenons à la santé publique et surtout celle de nos clients », rembobine-t-il. Selon lui, les entrées sont filtrées. « Tous nos clients sont contrôlés, nos plats et ustensiles sont lavés et réchauffés avant d’être réutilisés », précise notre interlocuteur.
A quelques mètres, Adama tient, depuis 2014, son restaurant de fortune à ciel ouvert qu’elle aménage, tous les jours, devant un magasin, avec l’aide d’un grand morceau de tissu. Très populaire dans ce lieu, cette lebou originaire de Yoff, est prise d’assaut. Ses plats sont vendus entre 500 à 600 de FCfa. Les clients, généralement des commerçants, sont conscients de l’insalubrité sur les lieux, mais certains disent ne pas avoir le choix. « On ne mange que ce que l’on voit. Après la rupture, nous les Sénégalais, on pense au riz et là il n’y a que ces restaurants. De l’autre côté, vers le croisement, il y en d’autres mais leurs plats sont, la soixantaine. « Moi, avec le Coronavirus, je commande des plats à emporter pour manger dans mon commerce. C’est plus sûr. Les gens sont nombreux et on ne sait pas s’il y a un malade ou pas ».
A l’image d’Adama, elles sont nombreuses les dames qui gagnent leur vie dans la restauration dans les populeux quartiers de Ouakam et dans Dakar, mais qui, malheureusement, font fi de l’hygiène. Ce qui pose un réel problème de santé publique surtout dans ce contexte marqué par la pandémie de Covid-19.