Accord historique pour l’Afrique, la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) opérationnelle depuis le 1 janvier 2021, fait encore face à d’énormes challenges, notamment pour l’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) et petites et moyennes industries (PMI) du continent. Ceci afin qu’elles soient compétitives et répondent aux besoins du marché national, régional, continental et même international. C’est ce qui a été relevé hier, lors du webinaire organisé par la Banque africaine de développement et ses partenaires internationaux.
L’Afrique veut développer son commerce entre ses différents pays, mais aussi à travers le monde. D’où la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) opérationnel depuis le 1er janvier dernier.
Cependant, pour que l’accord puisse apporter les résultats escomptés, beaucoup de challenges sont à relever, aussi bien du côté des acteurs que des Etats et structures de soutien au commerce. ‘’Ce que nous proposons comme schéma, c’est d’avoir un tandem institutionnel, public comme privé. Dans le public, nous proposons que les chambres de commerce et les agences de promotion des exportations représentent le point d’ancrage de l’implémentation et de l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange. Quant au secteur privé que nous ayons le tandem ‘réseau d’entreprises’, en plus des réseaux d’accompagnement petites et moyennes entreprises (PME), petites et moyennes industries (PMI). Parce qu’il est clair que ce qui manque, c’est l’accompagnement’’, affirme l’entrepreneure béninoise et présidente du réseau Entreprendre au Bénin.
Glwadys Tawema, par ailleurs cofondatrice et gérante de Karethic Benin Sarl, s’exprimait hier, lors d’un webinaire de la Banque africaine de développement (Bad) sur la Zlecaf et l’implication du secteur privé africain. D’après cette entrepreneure, la logistique pose aussi problème. ‘’Et le fret aérien est tellement cher que parfois, nous préférons faire passer nos produits par l’Europe et les ramener en Afrique, pour éviter que cela ne revienne trop cher. Donc, tous ces défis que rencontrent les entrepreneurs, surtout les femmes, ne pourraient être adressés que si nous avons un accompagnement sur le long terme.
Les challenges liés à l’accès au financement n’arrivent qu’en aval. En amont, il faut la formation, l’éducation financière, etc. Tout cela doit se retrouver dans un système institutionnel public-privé et adressé pour que les entreprises, notamment celles détenues par les femmes, puissent bénéficier réellement des avantages de la Zlecaf’’, fait-elle savoir.
Placer le digital au cœur du business des entrepreneurs
La Zlecaf ne pourra être effective, selon Mme Tawema, que si le tissu économique national, régional et continent est fort. Et pour cela, elle pense qu’il faut un ‘’réel accompagnement’’ des entrepreneurs pour que le développement et la croissance partagée soient de mise. ‘’Réellement et concrètement, la piste de solution que nous proposons, c’est un accompagnement public-privé. Avec la Covid, lorsque nos boutiques ont été fermées, c’est la vente en ligne qui nous a permis de ne pas nous retrouver totalement étranglées par la crise. Le digital, le numérique, la vente en ligne, doivent désormais être au cœur du business des entrepreneurs et surtout des femmes. Et mon plaidoyer à l’endroit des institutions financières et d’accompagnement, c’est de faire en sorte que la femme entrepreneure commerçante qui se trouve dans son village qui est dans l’informel et qui n’arrive pas à s’en sortir, devienne une entrepreneure formelle. Qui réussit et qui entretient sa famille grâce à ses revenus’’, lance-t-elle.
A ce propos, le directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (Onudi), Li Yong, reconnait aussi que la pandémie a transformé la vie de toutes les personnes. ‘’Ces 12 derniers mois, les économies africaines se sont contractées pour la première fois depuis 20 ans, d’environ 2 à 4 % du produit intérieur brut (PIB) en 2020 et leur déficit budgétaire et leur endettement se sont dégradés. Il faut donc reconstruire en mieux et avec un engagement, une participation du secteur privé. La Zlecaf est une plateforme prometteuse pour l’avenir de l’Afrique, pour un développement inclusif et durable avec les investissements requis’’, témoigne-t-il.
Le décideur économique et financier chinois a aussi relevé que le secteur privé représente 80 % de la production, 2/3 des investissements et 3/4 du crédit, et emploie 90 % de la population active. Mais aussi 90 % des entreprises du secteur privé africain sont des PME. ‘’Pour permettre une participation effective du privé, des facteurs clés du succès sont notamment un environnement des affaires favorable, une connectivité abordable, une numérisation accélérée, l’existence d’un dialogue public-privé et la possibilité de renforcer le partenariat public-privé (PPP) avec toute une gamme de partenaires’’, affirme le patron de l’Onudi.
Pour M. Li, la durabilité de la Zlecaf dépend de la production industrielle pour alimenter un marché de presque 1,3 milliard de consommateurs et des dizaines de millions de personnes pourront sortir de l’extrême pauvreté. ‘’Mais cette transformation nécessitera des investissements, un financement, de l’innovation que le secteur privé à lui seul ne pourra pas assurer. Pour atteindre le programme de développement durable à l’horizon 2030 et les objectifs de l’Agenda 2063 qui exigent l’implication du secteur privé, le privé, les institutions financières et les partenaires au développement ont un rôle transformateur à jouer pour le développement de l’Afrique, par le biais de cette Zone de libre-échange continentale historique’’, dit-il.
L’initiative ‘’Aide pour le commerce’’ mise en place pour mobiliser des financements
Ainsi, le DG de l’Onudi trouve que l’initiative ‘’Aide pour le commerce’’ joue un rôle fondamental pour encourager les pays en développement et les donateurs à remédier aux contraintes liées au développement et à les aider pour développer une infrastructure de commerce. ‘’Nous comptons nous focaliser sur les coopérations pour le développement, en accompagnant la transformation économique et encourageant les flux d’aide pour le commerce des donateurs bilatéraux et multilatéraux’’, déclare Li Yong.
L’aide pour le commerce peut aider les entrepreneurs africains de trois manières, d’après la directrice générale du Centre du commerce international. ‘’D’abord, autonomiser le secteur privé formel et informel, avec des performances, des connaissances et du savoir-faire, mais également un renforcement de capacités pour correspondre aux attentes pour les exportations. Et là, nous aurons une possibilité d’accès au marché et aux renseignements commerciaux sur le long de la chaine de valeur. Deuxièmement, nous devons favoriser l’écosystème des entreprises en simplifiant les procédures d’enregistrement des entreprises, en offrant des incitations fiscales pour aider les PME à l’avenir. La Zlecaf doit notamment se pencher sur les opérations commerciales transfrontalières où beaucoup de femmes interviennent. Troisièmement, nous devons accroître les connexions entre les marchés, en utilisant les plateformes numériques pour assurer la promotion des produits africains des PME’’, souligne Pamela Coke-Hamilton.
L’objet de la rencontre de la Bad sur l’aide pour le commerce est, selon son vice-président, de mobiliser les ressources nécessaires pour faire face à des contraintes multiples, dans le cadre de la mise en œuvre de la Zlecaf. ‘’Les PME africaines sont censées être les bénéficiaires ultimes de la Zlecaf, si elle est mise en œuvre de manière efficace, et c’est primordial pour créer des emplois durables avec une population qui rajeunit. Les entreprises qui sont détenues par des femmes qui ne sont pas suffisamment soutenues dans notre continent. Il faut absolument associer les entreprises dans la mise en œuvre de la Zlecaf, car elles sont les instruments de nos économies. Elles sont créatrices d’emplois. Les initiatives d’aide pour le commerce sont de plus en plus importantes pour l’Afrique, pour le suivi des progrès et la coordination des actions’’, souligne Solomon Quaynor, par ailleurs Haut-Représentant de la Bad pour le commerce.
Le vice-président de la Bad assure, dès lors, que son institution poursuivra ses activités dans le domaine commercial, par le biais du financement du commerce directement ou dans le cadre de partenariats et jouera un rôle déterminant. Ceci en tant qu’institution qui finance l’infrastructure critique en Afrique.
D’autre part, étant donné les besoins importants de l’Afrique, elle compte encourager les partenaires à ‘’redoubler d’efforts’’ et positionner le secteur privé comme un moteur de la croissance.
‘’La Zlecaf n’est pas là pour se substituer aux exportations’’
Cependant, M. Quaynor signale que l’objectif, avec la Zlecaf, ce n’est pas de créer des champions africains qui vont exporter uniquement vers l’Amérique, l’Asie ou en Europe. Il s’agit essentiellement d’exporter en Afrique, puisque ce sont là les vraies opportunités dans le court terme. ‘’Nous voulons que les pays africains comprennent que la Zlecaf n’est pas là pour se substituer aux exportations. Il faut aller au-delà de la population nationale, tout en nous focalisant sur les chaines de valeur où l’Afrique peut être compétitive. Il s’agit aussi d’industrialiser l’Afrique. Et cela ne se fera pas seulement avec les grosses entreprises. C’est aussi les PME à l’intérieur de ces chaines de valeur. Si la Zone de libre-échange ne fonctionne pas correctement cette fois-ci, il sera difficile de corriger le tir à l’avenir. La meilleure façon d’avancer est de travailler sur des marchés plus importants, sur des chaines de valeur régionales’’, alerte-t-il.
Même s’il juge que la Zlecaf est tout de même ‘’prometteuse’’ comme instrument de transformation de l’économie africaine, le vice-président de la Bad liste également le problème de la diversification des économies pauvres, des déficits d’infrastructures, l’insuffisance des investissements favorisant le commerce, ce qui augmente le coût des opérations. ‘’La facilitation des échanges, les procédures douanières, la documentation, la bureaucratie représentent 40 % des coûts commerciaux pour les pays sans littoral en Afrique et 9 % pour les pays en développement. Les agriculteurs africains ne reçoivent que 20 à 25 % du prix définitif sur le marché, par rapport à 70 ou 80 % pour les agriculteurs en Asie. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous devons nous inspirer des succès de la bourse des produits de base en Ethiopie. Il faut donc passer à la vitesse supérieure’’, préconise Solomon Quaynor.
MARIAMA DIEME« ENQUÊTE »