En Afrique centrale et de l’Est s’est développé ces dernières années un vaste réseau de trafic d’or dans les zones de conflits et à haut risque. Entre groupes armés, commerçants criminels ou encore politiciens malveillants, ils sont nombreux à entretenir (et profiter de) la contrebande qui fait perdre des milliards de dollars chaque année aux pays de la région. Dans un nouveau rapport publié le 22 février, The Sentry dénonce le phénomène pour lequel il préconise comme moyen d’éradication une collaboration de tous les acteurs de la chaine de valeur de l’or.
4 milliards de dollars d’or exportés illégalement
Selon le rapport de The Sentry intitulé « trafic de l’or des zones de conflit » et datant de février 2021, l’or de contrebande rapporte chaque année des milliards de dollars aux groupes armés et aux réseaux criminels des zones de conflit d’Afrique Centrale et de l’Est.
Un marché de 4 milliards de dollars d’or issu des régions à haut risque.
L’organisation indique que les marchés internationaux reçoivent plus de 4 milliards de dollars d’or issu de ces régions à haut risque, alors que le prix du métal précieux a atteint des records historiques au cours des derniers mois en raison de la pandémie de Covid-19.
L’organisation indique que les marchés internationaux reçoivent plus de 4 milliards de dollars d’or issu de ces régions à haut risque, alors que le prix du métal précieux a atteint des records historiques au cours des derniers mois en raison de la pandémie de Covid-19.
« Les entreprises d’électronique, de bijoux et d’automobile doivent examiner de près leurs chaines d’approvisionnement en or, notamment les raffineries situées dans des pays voisins des zones de conflit. Ces Etats, comprenant l’Ouganda, le Rwanda et le Cameroun exportent des quantités considérables d’or en contrebande et présentent des risques majeurs pour les entreprises », a déclaré Sasha Lezhney, auteur du rapport et directeur adjoint des politiques chez The Sentry.
L’or extrait des zones de conflit passe beaucoup par Dubaï.
Dans le détail, le document explique, que contrairement aux autres métaux et minerais provenant de zones de conflit, l’or a été plus difficile à contrôler. Si de grandes avancées ont été faites ces dernières années pour un commerce licite de l’étain, du tantale ou du tungstène, les réseaux corrompus, commerçants criminels, unités armées ou encore des politiciens malveillants, continueraient de se servir de l’or comme moyen de survie. Ils exploitent des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui opèrent sur des mines artisanales et à petite échelle en Afrique centrale et de l’Est.
Des pays comme l’Ouganda et le Cameroun ont des taxes sur l’or bien plus basses que leurs voisins respectifs, la RDC et la RCA, ce qui rend la contrebande de l’or vers ces pays bien plus rentable.
« L’or provenant des zones de conflit est principalement acheminé en contrebande vers des pays voisins comme l’Ouganda, le Rwanda, le Cameroun, le Kenya, le Tchad et le Burundi, avant d’être exporté vers Dubaï et transporté vers les marchés internationaux », peut-on lire dans le document.
Les causes du mal et comment y remédier
Au cours de ces dernières années, plusieurs initiatives ont été mises en œuvre pour lutter contre le commerce de l’or provenant de zones de conflit. Malgré la prise de conscience globale qui en a résulté, le phénomène est loin d’être éradiqué, alors que subsistent encore des réseaux de trafic dans des régions comme l’Afrique Centrale et de l’Est. Plusieurs facteurs favorisent le développement du phénomène, et il faudra des actions coordonnées à différents niveaux pour en finir avec l’approvisionnement des marchés internationaux en or issu de zones de conflit.
« L’or provenant des zones de conflit est principalement acheminé en contrebande vers des pays voisins comme l’Ouganda, le Rwanda, le Cameroun, le Kenya, le Tchad et le Burundi, avant d’être exporté vers Dubaï et transporté vers les marchés internationaux »
Par exemple, les chercheurs de l’ONG The Sentry expliquent que les affineurs et commerçants continuent de vendre de l’or extrait des zones de conflit parce qu’il n’existe pas ou peu de conséquences financières ou légales. Cela met en évidence la nécessité d’un durcissement des sanctions des grandes organisations que sont l’UE ou encore l’ONU.
L’or est plus difficile à contrôler que d’autres métaux.
Dans le même temps, les entreprises de bijoux et d’électronique, consommatrices du métal précieux, ont un rôle à jouer en cela qu’elles peuvent arrêter de s’approvisionner auprès de commerçants ou raffineurs qui achètent leurs minerais dans des régions de conflits. Cela forcera tous les commerçants à s’assurer que le produit qu’ils vendent, respecte les normes responsables et la traçabilité.
D’un autre côté, il est important de noter que les politiques régissant le commerce de l’or sont faibles et mal appliquées dans les centres aurifères mondiaux, notamment à Dubaï ou en Inde, ce qui ne fait qu’encourager le phénomène. Ce n’est pas anodin que Dubaï soit souvent cité quand il est question de parler de trafic d’or. Le système de contrôle de ce grand centre souffre en effet de failles réglementaires qui facilitent le fléau. S’il est essentiel que des efforts soient consentis sur ce plan, le gros du travail revient sans aucun doute aux Etats africains concernés et évoqués dans le rapport.
Ce n’est pas anodin que Dubaï soit souvent cité quand il est question de parler de trafic d’or. Le système de contrôle de ce grand centre souffre en effet de failles réglementaires qui facilitent le fléau.
Ces différents pays peuvent mettre en œuvre des politiques harmonisées pour rééquilibrer notamment les taxes imposées sur les exportations de l’or. En effet, le fait que ces taxes ne soient pas du même niveau favorise la contrebande. Le rapport de The Sentry indique par exemple que des pays comme l’Ouganda et le Cameroun ont des taxes sur l’or bien plus basses que leurs voisins respectifs, la RDC et la RCA, ce qui rend la contrebande de l’or vers ces pays bien plus rentable.
La solution : réguler l’orpaillage et l’exploitation aurifère à petite échelleAu-delà de tous les axes de travail ci-dessus mentionnés, une question subsiste, celle du contrôle de l’orpaillage et de sa résolution dépendra le succès de la lutte contre le commerce illégal de l’or issu de zones de conflits. Les véritables bénéficiaires de cette contrebande continuent de se multiplier et de financer la poursuite des conflits dans la région parce qu’ils peuvent compter sur les exploitants artisanaux pour les approvisionner.Alors que les Etats africains d’une manière générale ont longtemps considéré l’orpaillage comme source de problèmes et un frein au développement de l’industrie minière, les mineurs artisanaux trouvent leur salut dans les opérations clandestines. Ils n’ont aucun mal à écouler leurs productions avec l’existence de réseaux de trafic comme ceux que dénonce The Sentry.Pour le Cameroun, la RDC, l’Ouganda ou encore la Centrafrique et le Rwanda, il faut plus que jamais essayer de régulariser l’orpaillage au lieu de chercher à le décourager.Il faut régulariser l’orpaillage au lieu de chercher à le décourager.Accepter que l’exploitation des ressources aurifères de leurs sols ne se fera pas uniquement de manière industrielle leur permettra d’œuvrer pour développer un cadre réglementaire pour le secteur artisanal et à petite échelle. Si les mineurs artisanaux ne sentent plus le besoin de se cacher et peuvent obtenir des permis comme c’est le cas dans certains pays africains, ils préfèreront vendre leur produit à travers les circuits officiels.Toutefois, comme le dit un adage, « il y a loin de la coupe aux lèvres ». Il ne fait aucun doute que les pays susmentionnés sont conscients de perdre plusieurs milliards de dollars dans la contrebande d’or.Les actions menées pour lutter contre le phénomène dans chacun de ces pays sont encore bien trop timides pour espérer des résultats concrets. Il faudra encore beaucoup de détermination pour obtenir des progrès substantiels, mais le fruit à la fin mérite la peine : davantage de profits pour ces Etats producteurs d’or et moins de conflits dans la région. |
Louis-Nino Kansoun